Je vais déplaire à beaucoup, sans forcément plaire au reste.
C'est la vie. On ne peut pas toujours avoir l'air de...
Débitrice à vie, je reste indéfectiblement et indéniablement attachée à cette création française que sont les préfets, les missi dominici :
" Les hommes de Napoléon
Après son coup d'Etat du 18 brumaire (9 novembre 1799), Bonaparte ressuscita les Intendants sous la forme des préfets. Dans le département, "le préfet sera chargé seul de l'administration" (loi du 28 pluviôse, an VIII - 17 février 1800). Le préfet est assisté de sous-préfets dans les arrondissements. Nommé par le Premier Consul, intermédiaire obligé entre le département et l'Etat, le préfet, qui est aussi l'organe exécutif unique du département, contrôle et anime le conseil général. Les membres du conseil général sont également choisis par Bonaparte.
Le préfet désigne les maires et les adjoints des communes de moins de 5 000 habitants et propose au Premier Consul, plus tard à l'Empereur, la nomination des autres. "Ils (les préfets) étaient eux-mêmes des empereurs au petit pied" reconnaîtra Napoléon à Sainte-Hélène.
Le 2 mars 1800, 97 préfectures étaient attribuées à des hommes triés sur le volet, souvent d'anciens révolutionnaires mais épris d'ordre et de discipline et passionnés de grandeur nationale. Bonaparte leur recommandera : "Ne soyez jamais les hommes de la Révolution mais les hommes du gouvernement... et faites que la France date son bonheur de l'établissement des préfectures."(Le Citoyen français, ventôse an VIII). De tempérament actif, doués du sens de l'Etat, qui plus est couverts d'honneurs (ils furent tous anoblis à partir de 1810), les préfets de Napoléon, agents de l'absolutisme impérial, forgèrent une solide administration territoriale." Extrait du site du Ministère de l'Intérieur - Histoire
L'ENA, cette école que nous envient beaucoup de pays étrangers, concentre l'élite de la nation, une élite républicaine, curieusement formée à l'ancienne, marquée par les Lettres et l'Humanisme dans un monde dominé par la technocratie. Dire d'un préfet que c'est un technocrate me paraît être une erreur. L'économie n'est pas leur livre de chevet et leur culture vaut celle d'un normalien en lettres classiques. C'est pour cette raison que beaucoup d'agrégés passent le concours de l'ENA.
J'ai eu la chance de travailler directement avec des préfets. Leur culture polyvalente, leur puissance de travail (non, de travail, les filles ! ) et leur fulgurance intellectuelle font qu'après les avoir fréquentés, on a subitement l'impression de tomber en terre inconnue, chez les Pygmées "Ouhlala", lointaine tribu du Sud de la France : -" Ouh la la, vivement la retraite !" "- Ouh la la, encore du travail !" "Ouh la la, qu'est-ce qu'elle va encore écrire !".
Certes tous ne sont pas parfaits. N'est pas Cathare qui veut !
Mais si je n'avais pas eu cette chance extraordinaire de travailler avec quelques uns d'entre eux qui ont marqué ma mémoire et ma carrière, je serais aujourd'hui rendue et pendue à la plus haute branche d'un arbre. Quoiqu'à Pépère-Les-Gnons, à force de couper les arbres, il va être difficile de me pendre. Ils n'aiment pas les arbres à Pépère-Les-Gnons. Ils préfèrent le bitume et les poubelles. Ils font des... Mais je m'égare. Difficile de savoir où est le nord dans ce sud sans arbres ? Allez trouver la mousse. Pierre qui roule n'amasse pas mousse. Il n'y a plus que de la pierre et du ciment.
C'est un peu comme le silence de l'autisme, enfermé dans son incompréhension des codes sociaux et tétanisé par l'hypocrisie des hommes, ceux qui disent qu'ils font pour leur bien et qui font mal pour leur bien à eux, pas pour le bien des autistes. Un autiste, c'est rien, même pas un chien. Parce qu'un chien, on ne l'abandonnerait pas. Même que c'est triste de ne vouloir que le bien des siens, ceux qui sont pareils, pas différents. Un monde sans différence, comme une terre sans arbres, une vue uniforme et monocorde.
J'avais écrit, c'était une interrogation, point d'interrogation à la fin de la phrase : "un préfet à la botte des chefs de service ?" Parce que le chef d'un service de police un peu chien (chien policier) ne voulait plus faire sien un travailleur handicapé.
Sauf qu'il me faut bien admettre, sans me démettre dans ma protestation indignée sur cette façon d'agir et de trahir les idéaux humains, qu'il n'était pas facile à un préfet de savoir ce que moi-même j'ignorais.
Je m'explique : le travailleur handicapé n'a pas été convoqué devant un comité médical. Il n'a pas eu non plus communication de son dossier médical. Même moi qui le suis et l'assiste quasiment au quotidien, je n'ai pas su qu'un comité médical allait donner un avis sur la demande de congé d'office formulée par ce chef de service, un 13 décembre [Décidément, ils aiment bien le chiffre 13 dans ce département. Il y en a à qui ce chiffre porte chance.]
Donc comment un préfet de département aurait-il su, donc pu éviter la saisine de ce comité médical et sa tenue expresse, aux fins d'exclusion de ce travailleur handicapé, si moi-même je l'ignorais ? Sachant que, si ce travailleur handicapé avait bénéficié d'un congé de longue maladie, comme les textes réglementaires le précisent, il serait encore compté dans les effectifs de la CRS de Pépère-Les-Gnons et pourrait réintégrer son poste de travail, à l'issue de son congé-maladie. Le placement d'office en congé de longue durée du travailleur handicapé a eu le mérite d'extraire cette tumeur humaine, cet abcès qui rongeait les nerfs de toute une compagnie "normale" ne supportant pas l'anormal (a privatif de sens de l'humour et d'un peu d'amour).
Donc j'ai été injuste, évoquant le bruit des bottes qui résonnaient déjà à mes oreilles. Parce que le jour où les préfets seront à la botte de la hiérarchie policière, il en sera fini de la France républicaine. J'ai tellement eu l'habitude, une mauvaise habitude, je le concède, que les préfets interviennent et corrigent, sinon préviennent les erreurs de gestion de chefs emportés par leur vindicte personnelle dans des combats d'arrière-garde et d'arriérés, que j'attendais ce geste, le sauvetage de mon travailleur handicapé.
C'est vrai quoi ! Ce n'est pas ma faute si les préfets m'ont habituée à "corriger" ces, euh, erreurs de gestion [Il paraît !], exclure définitivement de son service un travailleur handicapé [Une simple erreur de fond. Parlons juste de la forme !]. J'avais oublié qu'avant, c'était moi, Bibi, qui les prévenais, les préfets. Et que là, ai pas pu ! Parce que ai pas vu. Donc, pas vu, pas pris ! Quels malappris, ces chefs ! Sinon il aurait été sauvé, mon travailleur handicapé, par le préfet. Je n'ai aucun doute, vu la colère justement manifestée par le préfet qui a appris trop tard, comme moi, ce haut fait d'armes ou de larmes, la tentative de radiation des cadres pour invalidité de ce travailleur handicapé. [Tentative bien engagée.] Chaque fois que j'ai porté à l'attention d'un préfet la situation d'un agent, je n'ai pas souvenir qu'il l'ait laissé mourir ou dépérir.
Oui, j'ai pris de mauvaises habitudes, à cause de ces hauts fonctionnaires, particulièrement deux d'entre eux, préfets que Manuel VALLS a choisis pour le servir au plus près de lui. Souventes fois, il m'est arrivé de toquer à leurs portes et de demander pitié pour l'agent harcelé ou l'agent malade ou l'agent handicapé. Parfois l'agent handicapé tombe malade parce qu'il est harcelé. Jamais ces hauts fonctionnaires ne se sont drapés dédaigneusement dans leurs toges, ignorant la situation de ces plébéiens obscurs et sots. Et j'en suis.
Donc oui, je leur suis infiniment débitrice, n'étant en rien actrice du salut de mes ouailles.
"Lire : "Préfet des autres", récit d'un homme ambitieux et courageux
Dans son livre Préfet des autres, Jean-Christophe Parisot, tétraplégique diplômé de Sciences Po, raconte, avec humour, son parcours difficile qui l'a mené jusqu'à la sous-préfecture de Montpellier.
Sélection 2012 Prix Pèlerin du Témoignage - Préfet des autres de Jean-Christophe Parisot, Ed. DDB, 188 p. ; 15 €.
Premier tétraplégique diplômé de Sciences Po, Jean-Christophe Parisot raconte avec humour le chemin parsemé d'embûches qui l'a mené jusqu'à la sous-préfecture. Nommé secrétaire général de la préfecture du Lot à Cahors, en 2008, puis sous-préfet à Montpellier, chargé de l'égalité des chances, ce fonctionnaire, privé de l'usage de ses mains et de ses jambes, travaille au quotidien avec un logiciel informatique de reconnaissance vocale.
Son parcours dans les méandres de l'administration témoigne d'une réussite, mais aussi des difficultés auxquelles sont confrontés bon nombre de handicapés. " Fier " de servir l'État, il veut aussi " changer le regard des personnes handicapées sur elles-mêmes ".
Auteur(s) : Catherine Lalanne , Isabelle Marchand , Illustration © Pascal Redoutey - Paru dans Pèlerin N° 6767-6768 du 09 août 2012"
J'ai été injuste. Je ne suis pas préfète, monsieur le préfet, donc pas parfaite.
Je dois reconnaître en plus, qu'être préfet à Pépère-Les-Gnons, c'est de la cuisine aux petits oignons avec des lardons dans un pays de chapons qui se prennent pour des coqs. "Un coq y paraissait en pompeux équipage, Qui, changeant sur ce plat et d'état et de nom, Par tous les conviés fut appelé chapon " BOILEAU Sat. III
Lèche-bottes !
Parce que je parle popotte ? Je savais que cet article ne plairait pas à tout le monde.
Mais pourquoi dire du mal d'un homme ou d'hommes de bien ?
Ou ne pas reconnaître son erreur, une interrogation qui peut jeter un doute ? Je laisse l'interrogation parce qu'elle traduit mon désarroi dans un instant de grave désespérance, la demande de radiation des cadres d'un travailleur handicapé. Mais je lève le doute.
Et franchement, pour gérer ce département, il faut en avoir... du courage, bien sûr !
M'enfin, ce n'est pas un chapon, lui.