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Billet de blog 28 mars 2013

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Les "Musulmans" - Quand la haine soude les Juifs aux Musulmans !

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J'étais là sans être là. Homme ou femme, femme ou homme.

Il y avait un groupe d'humains. Tout autour.

Ils apportèrent d'abord la mère. Elle était encore vivante.

Je ne me rappelle plus. Si elle marchait ou si elle était portée.

Ils la couchèrent ou couchèrent le corps, car ce n'était plus qu'un objet, sur une sorte de civière.

Elle avait les yeux ouverts et contemplait déjà le ciel. Elle ne pleurait pas.

Puis, ils apportèrent ou portèrent la fille. Sa fille ? Je ne sais pas.

Elle devait avoir quatorze ou quinze ans. Elle aussi était encore vivante.

Elle pleurait doucement, en silence. Les larmes coulaient sur son visage sale, sali par la morve qui avait coulé de son nez. Pendant la mise à mort, la torture ?

Ils couchèrent le corps plus léger et meurtri qui respirait encore sur le corps de la mère, pieds en avant, tournés vers la mort.

Puis ils apportèrent ou portèrent l'autre fille. Sa fille ? Sa soeur cadette ?  Je ne sais pas.

C'était insupportable. Je détournai les yeux.

Lorsque je me forçai à regarder, ils avaient déposé le petit corps de cette gamine de sept ou huit ans sur le corps de sa soeur ou sa mère, coincée entre les deux vies qui partaient vers la mort.

Au bout du tunnel. Voyage au bout de l'enfer !

Le corps de la petite glissait, refusait de rester entre ces deux faux cadavres.

Pourtant elle, elle était déjà morte. Son corps rigide refusait une deuxième mort : sa disparition.

Alors un homme s'approcha, vêtu d'une blouse.

Il se saisit d'un grand baton sur lequel était enroulé une sorte de chiffon qu'il roula dans de la poix, ou de la graisse, ou quelque chose d'équivalent.

Il y avait un seau posé par terre à côté de la civière où il plongeait le bâton.

Je ne comprenais pas son but. Qu'allait-il faire ?

Il introduisit le bâton entre les jambes de la femme encore vivante, l'air encore plus allumé que le feu qui venait d'être ravivé dans la noire gueule d'un four.

Puis il plongea le bout de bois dans le sombre récipient, pour l'enduire à nouveau de cette matière visqueuse et en frotter les cuisses internes et les chevilles de la mère.

Il fit de même pour la petite de quatorze ans. Son corps se cabra, comme une ultime révolte, lorsqu'il enfonça le bout visqueux entre ses cuisses. Elle ouvrit grand les yeux, horrifiée, perdue. L'homme releva la tête et parut sourire. Avait-il jouï ?

J'espérais malgré moi que ce cabrage fut le sursaut de l'agonie. Hélas,non ! Lorsque l'ouvrier, l'infirmier de la mort ou le médecin, je ne sais, frotta les cuisses, puis les jambes, puis les chevilles de la jeune fille, elle tourna la tête et fixa son tortionnaire, sans jamais croiser les yeux de cette incarnation de la haine  qui semblait refuser de la voir vivante, de la voir comme un être humain, sauf pour violer son intimité.  

Le "monstre" médicalement sadique  ignora le corps froid de la cadette.

Je ne sus pas si les autres rajoutaient encore par-dessus la mort un autre corps.

Je ne pouvais plus regarder.

Alors deux ou trois hommes s'approchèrent.

Un "ouvrier" saisit les jambes de la mère et de sa fille encore vivantes pour les tenir serrées, qu'elles puissent bien rentrer dans la gueule immonde  trop étroite.

Les deux autres se placèrent de chaque côté de cette civière et la poussèrent vers le fond du four.

De la fumée sombre et grise commençait à s'échapper d'un trou oblique creusé dans le mur.

Le feu grondait.

Je compris qu'ils étaient en train d'enfourner vivantes les deux malheureuses avec le corps de la fillette.

Les autres regardaient, comme moi ou vous-mêmes regardons un match de football à la télévision.

Ils parlaient entre eux, semblaient même se congratuler pour la rapidité (très important, cet objectif de rapidité !) avec laquelle la crémation avait eu lieu.

D'autres encore se tenaient debout, déjà morts.

Ils n'existaient plus, ils n'existaient pas.

Ils brûlaient les corps des leurs, leurs propres corps dans les fours crématoires des Camps de la Mort.

Je me suis réveillée.

Heureusement, ce n'était qu'un cauchemar. Un horrible cauchemar que je tente de m'extirper de mon corps à moi, car c'était à vomir, d'une violence extrême, avec dans la bouche le goût âcre de cette fumée épaisse et suintante.

C'était le 26 mars 2013.

Je ne sais pas pourquoi j'ai fait cet horrible cauchemar.

Dans ma tête revenait le mot "musulman".  

Crève, crève, c'était tout ce que j'entendais dans ma tête de ce groupe d'hommes qui avaient fait brûler vivantes une mère et sa fille. Etait-ce sa mère ? Etait-ce sa fille ? Je ne sais. Eux-mêmes semblaient tellement s'en moquer. Ils chargeaient des corps vivants ou morts vers la gueule noire et suintante d'un four qui exhalait des fumées nauséabondes. 

 Cet horrible cauchemar me collait à la peau comme de la suie. Il fallait que je sache.  

Et tout à coup l'horrible mot est tombé : "four crématoire". Horrible, je vais le répéter souvent.

Horrible fut ce cauchemar.

"Horrible", savez-vous seulement ce que signifie dans votre chair qui se consume, sous votre peau qui part en lambeaux, ce que signifie le terme "horrible" ? Avoir les poils de sa peau hérissés comme un animal terrifié par ce qu'il voit, avoir "la chair de poule", du nom des pores de la peau qui se dilatent sous le coup d'une émotion mortelle, juste avant qu'on égorge la poule..., avoir une "boule dans la gorge", comme si on hésitait, impuissant(e), entre hurler et pleurer ! 

J'avais la tête basse, je me souviens. C'était trop insoutenable. Etais-je visible ou invisible dans cette partie du temps que je refuse de reconnaître comme étant mien, faisant partie de mon humanité ?  Pourtant j'ai vu. J'étais loin, mais près à la fois. Je devais regarder ce que j'ai toujours refusé de voir. 

Pourquoi ?  

"Musulman". Le passé court après le présent. Le passé rejoint l'avenir. 

Vocabulaire nazi désignant les déportés juifs décharnés, à l'état de squelettes, les "zombies" du Camp de Travail.          

"Null Achtzehn préfigure ce que les autres sont appelés à venir. Il est, en chair et en os, le résultat de l’opération en cours, quelqu’un qui a perdu le souvenir de sa propre identité. Il est exemplaire de ce qu’on nomme au Lager Musulman. Le terme désigne les déportés complètement vidés de leur propre nature d’homme. Ne plus pouvoir combattre, ne plus pouvoir résister a pour résultat l’état de Musulman. La même thématique se retrouve par exemple à la fin du chapitre K.B. (p.59) :

« (...) et nous, devenus esclaves, nous avons fait cent fois le parcours monotone de la bête au travail, morts à nous-mêmes avant de mourir à la vie, anonymement. Nous ne reviendons pas. Personne ne sortira d’ici, qui pourrait porter au monde, avec le signe imprimé dans sa chair, la sinistre nouvelle de ce que l’homme, à Auschwitz, a pu faire d’un autre homme. »

On pourrait dire que la première fois que la question se trouve posée, c’est dans le chapitre Le Voyage, où un Allemand demande : Wieviel Stück ? (p.15). La déshumanisation est, là, symboliquement exprimée de façon forte. Un peu plus loin, on retrouve l’idée de métamorphose :

« deux groupes d’étranges individus... (p.19), mais une chose était claire : c’était là la métamorphose qui nous attendait. Demain, nous aussi nous serions comme eux (p.20). »

Extrait du Livre de Primo LEVI "  Si c'est un homme"...        

Non je n'ai pas fait ce cauchemar par hasard.

Ou peut-être, si :  c'est aujourd'hui que l'Assemblée  Nationale a décrété la Journée Nationale de la Résistance.  

Avant, je ne me serais pas arrêtée à ces "Journée de  ceci" ou "Journée de cela" qui finissent par ressembler aux Saints du calendrier français, nous donnant plus un repère chronologique qu'une incitation éthique au "bien-agir".

Mais à cause de cet horrible cauchemar qui m'a obligée  à vérifier si un four crématoire ressemblait à ce "four à pains" qui attendait gueule ouverte ces victimes humaines expiatoires, si on positionnait les corps humains comme je l'avais vu faire, pieds en avant, pour les brûler (pourquoi "pieds en avant" ?), s'il était bien vrai qu'il fallait faire vite avec des contraintes ryhtmiques de temps, même exigence froide et dépersonnalisée pour nos objectifs chiffrés d'activité d'aujourd'hui, si un infirmier ou médecin, que sais-je, enduisait certaines parties des corps humains d'une matière grasse et suintante (là je n'ai pas pu vérifier ce fait), si et surtout si "ils" avaient été capables de brûler vifs, vivants, encore en vie, des femmes et des enfants ! (là je n'ai pas voulu vérifier !, mea culpa, maxima mea culpa), j'ai été interpellée, questionnée, presque "torturée" moralement par le fait que ce Jeudi saint est devenu aussi celui de la création de la Journée Nationale de la Résistance française.

 Alors je lance un appel à tous nos concitoyens français, juifs, chrétiens et musulmans.

Nous les Chrétiens, nous sommes tous Juifs, puisque le Christ est juif.

Vous les Juifs êtes des Sémites, comme les Musulmans.

Vous les Musulmans, êtes Juifs, puisque dans le monde de la Haine néo-nazie, Juifs et Musulmans, c'est pareil. 

A bon entendeur, chalut !

Je retourne voir et caresser mes chats.

Et aussi mon chien, qui apprécie ces petits riens de la vie qu'on appelle le bonheur. 

Les êtres humains, ça me fait peur par moments. Par moments.

Heureusement, j'oublie. Et puis surtout, je ne veux rien savoir. Rien savoir du tout !   

  • Et puis non ! Je ne me sens pas encore rescapée de cette "Shoah" immonde.

La Haine qui envahit ce monde me colle à la peau, comme l'odeur de la mort.

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