Elle est blonde aux yeux clairs. C'est un enfant aryen.
Ils sont bruns aux yeux marron ou noirs. Ce sont des gens de rien.
Sur les ondes, on ne voit qu'elle, toute blonde et si pale, la peau bien blanche, assise entre ces deux parents adoptifs, sa mère et son père, la peau couleur foncé, le teint "bistre" et l'air triste.
En une semaine, que dis-je !, en une journée, la Grèce s'emballe, l'Europe s'enflamme et la petite infante se trimballe sur nos écrans de France et de Navarre, évanescente et incandescente, comme peut l'être la rumeur des peuples de l'Occident. Les bonnes âmes se pâment d'indignation et l'émotion envahit les dames de la haute société.
Pensez donc, une enfant blonde chez ces gens-là ! Si blonde et si belle. Belle parce que blonde, ou blonde et belle, parce que blanche ? Je penche pour la seconde hypothèse : parce que blanche, blonde et belle.
Les Roms ne méritent pas d'avoir des enfants blonds. Pour les enfants bruns, on s'en fout, s'ils sont malheureux, s'ils sont "volés", comme ils disent, les gens "bien", enfants volés devenant mineurs voleurs, enfants de la rue devenus enfants sans noms et sans âge, parce que tous de la même grande famille, la tribu des Roms, faits à leur image, l'image qu'on s'en fait. Qui les en défait ?
Un moment, j'ai eu peur, je l'avoue. Ne comptant pas leurs heures, les policiers grecs avaient réussi à retrouver les parents de l'Ange blond. Rendez-vous compte : des Roms bulgares ! La caméra nous fait pénétrer dans leur univers de misère où la soeur aînée erre, si semblable à l'Ange blond, presque semblable, comme un futur coupable, un enfer probable, l'enfer de la faim, pour une fin de vie, pas une vie, pas la Vie. Et surtout pas la vie qu'on souhaite pour un Ange blond... Quelle fête, cette course des policiers à la recherche d'une mère biologique sans visage et d'un père biologique de passage !
Que cherchaient-ils en réalité, ces policiers bruns méditerranéens ? A prouver quoi ? Trouver quelle vérité ? Une vérité qui devait satisfaire l'air populaire et populiste de : - "Les Roms sont tous des trafiquants et des marchands d'enfants." C'était évident.
En France, en Grèce, dans l'Europe toute entière, combien d'enfants et d'adolescents disparaissent ? Combien ? On ne le sait même pas. Ils n'ont pas tous la chance d'être blonds aux yeux clairs, adoptés par un couple de Roms. On ne sait pas. On ne saura jamais. Les policiers remplissent un imprimé, un papier qu'ils diffusent ou pas, disparitions pas si inquiétantes, disparitions mineures pour enfants et adolescents, humains mineurs, en France, pour adolescents en fugue, adolescents des foyers de l'ASE, fugues en lutte mineure et en butte majeure à l'indifférence de la bonne société française.
Les mineurs en France ne sont pas des problèmes majeurs. Il suffit d'écouter tous les jours les informations locales, régionales et nationales. Tous les jours, un enfant meurt en France de maltraitance. On s'en fiche ! Et lorsqu'il disparaît, à moins d'être un Ange blond enlevé par des Roms, plutôt élevé par des Roms, pas vraiment éduqué, puisque les enfants Roms ne sont pas éduqués, on s'en fiche tout autant. La vie d'un enfant n'a pas de prix en France. Il vaut mieux déclarer le vol de sa BMW ou de sa Mercedes, de sa voiture, de sa bagnole, de sa babiole, que venir déclarer la disparition d'un enfant ou d'un adolescent dans un commissariat en France.
Le jour où les assureurs devront rembourser le prix de la vie des mineurs disparus aux parents si peu bienvenus dans certains services, ce jour-là, je le prédis sans risque de me tromper, ce jour-là, enfin, les adolescents en fugue seront recherchés. Et peut-être la France sera-t-elle en capacité de tenir des statistiques exactes sur le nombre de mineurs disparus, retrouvés, dans quel état !, ou pas. Et pourquoi. Et par qui. Et comment !
Il est moins intéressant, semble-t-il, de rechercher les ravisseurs potentiels d'un enfant dont les parents sont bien identifiés, biologiques ou pas, que de lancer une traque à l'homme, une chasse aux Roms, dans le but de pouvoir prouver que ces gens de rien, ils volent vos gosses, en plus de vos poules. Quelle claque magistrale que de découvrir qu'entre Roms, dans la grande tribu des Roms, les enfants sont à ceux qui veulent bien s'en occuper, quand les parents n'ont plus les moyens de le faire. Qui le niera ? L'aînée de la famille de l'Ange blond fait peine à voir, si maigre dans ses vêtements trop petits qu'elle me fait penser à certaines images de certains camps de concentration : la peau sur les os, titubante et vacillante, mais encore debout. A comparer avec l'Ange blond potelé et les joues rondes, on pourrait comprendre peut-être que la mère Rom, la mère biologique, ait préféré donner à son bébé une autre vie que celle qui l'attendait, elle et ses enfants, en Bulgarie. Voir sur la deuxième photographie, derrière la maman toute de vert habillée, l'adolescente blonde aux mèches rousses,une allure reconnaissable, celle de la famine, une mine de fouine, la mine de ceux qui cherchent la nourriture dans la poubelle des riches.
Vraiment notre monde est devenu fou. La preuve : les frères et soeurs adoptifs de l'Ange blond n'ont pas été retirés à leur famille adoptive ou biologique. On s'en fiche. Ils sont bruns.On n'en saura pas plus. Si ce sont des trafiquants d'enfants, ces gens-là, il faudrait s'en assurer, non ? Je vais encore oser une comparaison. Les policiers auraient trouvé un collier en or, une rivière sertie de rubis, ou tout autre butin, le camp Rom aurait été perquisitionné, les caravanes et les véhicules tous fouillés. Mais voilà des bruns méditerranéens ont découvert un objet blond chez des "sous-bruns", des Roms. Ils ont récupéré la marchandise, l'enfant blond, et laissé, délaissé les autres enfants bruns, des sous-bruns. Pas des Aryens !
Un frisson me parcourt l'échine dorsale. Nous allons fêter nos morts. Nous allons fêter la Mort, quand la Mort est plus forte que la Vie, quand la haine est plus forte que l'amour. Le mal absolu est cette volonté de vouloir deshumaniser l'autre, en faire moins qu'un homme, vouloir prouver qu'il n'est pas un homme, "Si c'est un homme..." comme l'écrivait si bien Primo LEVI.
Et s'il n'est pas blond, l'enfant Rom, il est moins qu'un homme, "Si c'est un homme..."