"Si c'était à refaire, je commencerais par la culture". Jean Monnet [1] avait mille fois raison. L'Europe aurait peut-être dû se construire par la culture avant l'économie. Mais la culture, l'inculture et les différences ayant charrié ses guerres, il était prudent de commencer par l'économie. Pari réussi.
Pour quelques années seulement. 60 ans plus tard, force est de constater que l'économie au détriment de la culture semble nous entrainer vers une guerre d'un nouveau genre. Il ne s'agit plus de conquérir des territoires, mais de mettre fin à l'idée ingénieuse de « rassembler les hommes [2]». Et cette guerre là sera difficile à gagner car il n'y a pas d'armée, pas de déclarations, pas de stratégie militaire. Seulement des soldats autoproclamés prêts à partir sans ordres, mus par des certitudes politiques et religieuses. Anders Behring Breivik a annoncé lui-même être en guerre. Pourquoi devrait-on en douter ? Pourquoi la guerre sainte musulmane est-elle plus acceptable psychologiquement que celle d'un « croisé » ?
Il est très réconfortant de penser que le terroriste norvégien aux yeux bleus est un fou dont l'acte est isolé. Il évite la remise en question et calme les peurs face à un réel danger. Mais Anders Behring Breivik n'est pourtant rien d'autre qu'un des enfants d'une Europe malade de ses Hommes, enlisée dans ses extrémismes politiques et religieux, tournant le dos depuis des années à ses valeurs et ses principes de base sur laquelle elle s'est construite.
Ce n'est pourtant pas faute de mises en garde. Le séisme entre l'idée géniale de Robert Schuman et ses citoyens a débuté il y a bien longtemps, atteignant son apogée avec le traité de Lisbonne quand les référendums gagnaient en non (France, Pays-Bas, Irlande). Le traité était une excuse pour crier le malaise d'une Europe qui perdait de son humanité pour se diriger sans cesse vers la gloire économique, d'une Europe qui ne fédérait pas mais engendrait des haines communautaires. Il fallait être sourd pour ne pas entendre le cri. Et l'Europe l'a été. Au lieu de tendre une oreille attentive aux revendications certainement mal exprimées, l'Europe a fermé la porte. Pire, elle a tournée la clef en forçant le traité, adopté dans certains pays par voie parlementaire après le refus des citoyens (France, Pays-Bas). Le bras de fer avec l'Irlande aurait dû alerter encore plus. Mais il n'est pire sourd que celui ne veut pas entendre.
Faute de réponse et quand la gloire économique se brise sur le rocher de la crise , on se rend compte que les valeurs comunes n'ont pas rassemblés. Les petites querelles ont engendré des haines qui ont enfanté des extrémismes trempées dans la religion et savamment séchées à l'air du nationalisme anti-européen. Le constat est affligeant : les partis nationalistes pullulent, les discours s'extrémisent et les politiques se galvanisent avec des mesures démagogiques.
Le séisme continue aujourd'hui avec l'attitude face à la crise. Le libéralisme à outrance a montré ses limites et pourtant aucune discussion de fond ne voit le jour, sauf en Islande, seul pays à avoir eu le courage de refuser des décisions iniques consistant à faire payer au citoyen une erreur qu'il n'a pas commise. Ailleurs la dette se paye au prix fort, au détriment des droits de base: l'éducation, la santé. Classes supprimées, droits d'accès aux universités augmentés, et autre exemple qui relève de l'ignominie : refus d'accès à la cantine pour des enfants de chômeurs. Comment va-t-on expliquer à ces enfants humiliés, futurs adultes rancuniers que l'Europe était une magnifique aventure humaine destinée à éviter les guerres ? Que l'autre n'est pas un ennemi parce qu'il est différent?
« Je refuse une Europe qui ne serait qu'un marché, une zone de libre-échange sans âme, sans conscience, sans volonté politique, sans dimension sociale. Si c'est vers ça qu'on va, je lance un cri d'alarme."[3] Il n'est peut-être pas encore trop tard pour repenser l'Europe avant que des extrémistes nous imposent leur vision.
[1] Père fondateur de l'Europe avec Robert Schuman.
[2] Jean Monnet : « Nous ne coalisons pas des Etats, nous unissons les hommes ».
[3] Jacques Delors, Président de la Commission Européenne de 1985 à 1995.