Auguste V

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Billet de blog 11 avril 2023

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Comme disait Nietzsche...

Vous souvenez-vous des "manifs pour tous" ? Moi oui. (À propos du témoignage de Louis).

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"Comme disait Nietzsche : 'Les vérités tuent. Celles que l'on tait deviennent vénéneuses'."

Ces mots me gênent. Ils sont prononcés à l'Assemblée nationale, le 23 avril 2013, lors du vote définitif de la loi sur le mariage pour tous. Christiane Taubira s'adresse, à l'ultime fin de son discours, "aux adolescentes, aux adolescents de ce pays qui ont été blessés". Or, j'éprouve, à cette occasion, le sentiment contraint d'être concerné. Je suis bouleversé contre mon gré. 

J'ai construit, en quelques années, une fiction - celle de l'hétérosexualité. Un mensonge qui avait une signification intime : le rejet de soi. Cette fiction, en réalité, n'était pas destinée à camoufler aux autres la véritable nature de mes sentiments. Elle agissait surtout malgré moi. Contre moi peut-être. Elle témoignait de la résistance organisée en moi-même. Si bien que je ne me sentais pas - uniquement - seul face aux autres, j'étais isolé, finalement, dans mon propre rapport à moi. 

Aussi, pendant "les manifs pour tous", les débats quotidiens à la télé, les tags dans la rue, les discours de mes profs, les militants dans les transports, les camarades aux récréations, les oncles aux repas de famille nourrissaient un discours qui aggravait - en moi - l'isolement. Je ne me refoulais pas, au fond, je me réprouvais. La fiction de l'hétérosexualité était fragile et ne résistait pas à l'introspection. 

Comment, en effet, me convaincre de mon hétérosexualité, quand mes désirs sont constitués uniquement du corps des hommes ? Cette contradiction était douloureuse. Précisément parce que l'objet de cette fiction n'était pas mon rapport aux autres mais mon rapport à moi. Cette question révélait la tromperie finalement. 

Et puis, il y'a ces mots qui me touchent. Et, ils ne devraient pas. "Comme disait Nietzsche : 'Les vérités tuent. Celles que l'on tait deviennent vénéneuses'." Dans mon monde, je suis hétéro et Christiane Taubira s'adresse aux homos. Je savais, sans doute, que le venin était déjà là. Qu'il circulait dans mon corps tranquille. Que je ne lui opposais aucune résistance. Pire, que je le nourrissais. Et je me demandais : comment vaincre ce poison ? J'ai envisagé deux antidotes : Conserver le silence ou prendre la parole.

Conserver le silence, d'abord. Ce remède n'en est pas un. Il permet au venin d'agir jusqu'au silence final : la mort par suicide. Cet "antidote" doit, pourtant, être pris au sérieux. Les taux de suicide dans la population LGBTI sont alarmants, en particulier chez les personnes trans. Ce constat engage notre responsabilité collective. Il nous appartient de lutter contre tous les mouvements réactionnaires : la manif pour tous hier, ses déclinaisons transphobes aujourd'hui. Ces idéologies tuent. Et nous voulons vivre.

Prendre la parole, ensuite. J'ai 24 ans maintenant. Et je tente de m'exprimer pour "conjurer le silence". J'ai honte encore parfois. La réprobation de soi par soi marque. Mais j'écris par nécessité. Pour faire cesser la progression du venin. Peut-être que c'est un sentiment similaire qui a conduit Louis à témoigner pour Médiapart ? (cf. Enfant de La Manif pour tous, Louis a depuis fait son coming-out : « On nous a volé des années »). Je lui suis, en tout cas, infiniment gré. 

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