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Billet de blog 19 octobre 2014

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Mes réflexions sur l'enseignement (Présentation)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J’enseigne les mathématiques depuis septembre 1988. Je commence donc à avoir une petite expérience dans le domaine de l’enseignement, même si celle-ci est tempérée par un parcours atypique.

En effet, j’ai commencé ma vie professionnelle en 1986, avec un diplôme de l’Ecole des Mines de Paris en poche, comme ingénieur en R&D. Rien ne me destinait à devenir enseignant, rien… sauf une vocation que j’avais refoulée quelques années durant. Aussi, quand l’occasion s’est présentée, j’ai sauté dans l’inconnu, d’abord dans le privé hors-contrat, puis dès l’année suivante, sous-contrat suite à ma réussite à l’Agrégation. Mais toujours dans la même classe ; à savoir une math spé dans une prépa intégrée.

Pour ceux qui ne connaissent pas ce système, c’est une prépa dite « sécurisée », au sens où nos étudiants ne passent pas les concours nationaux, mais sont évalués par un contrôle continu et, si les résultats sont jugés satisfaisants, passent dans le cycle ingénieur de l’école dont dépend cette prépa. Il n’y a ni le stress, ni les aléas des concours.

Commencer sa carrière de professeur en classes préparatoires est un luxe rare, en principe réservé aux normaliens. Je mesure tout à fait la chance que j’ai eue, et que j’ai encore, ne serait-ce que pour le salaire et l’avancement, par rapport à la plupart de mes collègues de lycées et de collèges. D’un autre côté, ma première année fut assez « sportive » avec 84 étudiants – bonjour le paquet de copies ! – le cours à préparer, et le passage de l’Agrégation en fin d’année sans avoir pu bénéficier d’une préparation à ce concours assez spécial. Passons.

Je ne peux donc pas parler de ce que je n’ai pas vécu ; problèmes de discipline ou cas d’élèves en grande difficulté scolaire. J’ai des étudiants de vingt ans, bien élevés et respectueux. D’un certain côté, je suis à l’abri dans une sorte de bulle, ce qui me permet de me livrer à des réflexions moins terre-à-terre que le « Que faire quand un élève téléphone à un pote pendant mon cours ? ». Loin de moi l’idée de mépriser celles et ceux qui doivent gérer de telles situations ! Je les admire plutôt car je serai bien en peine de supporter ce genre de choses.

Qui est plus, de par mon parcours, je n’ai jamais reçu de « formation pédagogique ». Pas eu le temps, ni l’occasion. Personne ne m’a jamais expliqué comment faire cours. J’ai appris sur le tas, j’ai expérimenté ; bref j’ai fait comme « je le sentais » et cela me permet, je crois, d’avoir un œil, disons « extérieur », en quelque sorte, à l’idéologie officielle.

Après cette longue, mais nécessaire, introduction, je vais passer à ma première réflexion. Le sujet est banal, classique. Il s’agit de cette fumeuse distinction entre « bon/mauvais élève » et, par la même occasion, entre « bon/mauvais professeur ».

Attaquons franchement. Pour moi, il n’y a pas de bon ou mauvais élève, ni de bon ou mauvais professeur. Sophocle, par exemple, était-il un bon professeur ? Si l'on pense qu'il a enseigné à Platon, cela ne fait aucune doute. Mais tous les élèves de Sophocle ne sont pas devenus par la suite des Platon ! Et Platon serait-il devenu ce qu'il a été avec un autre Maître que Sophocle ? La réponse n'est pas évidente.

Pour moi, il y a seulement une bonne ou mauvaise entente entre un élève et un professeur, autrement dit entre deux personnes. Car l’enseignement est avant tout une relation humaine, et à ce titre, elle est soumise à des notions très subjectives ; notamment la sympathie, l’antipathie ou l’indifférence. Or cela ne se commande pas !

Evidemment, d’aucuns vont dire que je me dois de trouver tous mes élèves sympathiques, que c’est une obligation, que cela fait partie de mon travail, etc… Sans doute, mais je ne peux tout simplement pas ! Un « sentiment » ne s’impose pas. Il est ou il n’est pas. Il peut, certes, évolué dans le temps, dans un sens comme dans l'autre, mais il sera toujours subjectif. De plus, il n’est pas nécessairement symétrique. Je peux trouver sympathique un élève qui, lui, me percevra comme antipathique. Ou inversement.

Prenons un exemple tiré de la Vie. On ne peut pas dire d’un homme dont la légitime a demandé le divorce qu’il est un « bon mari », sinon sa femme ne le quitterait pas, n'est-ce pas ? Mais cela ne l’empêchera pas de trouver, éventuellement, une autre femme avec qui il s’entendra, formant ainsi un « bon couple ». Eh oui ! On ne peut juger que de l’entente d’un couple, et en aucun cas des mérites ou démérites de l’un des membres de ce couple. Je mets, bien évidemment, de côté les cas extrêmes. Un homme qui rentre ivre tous les soirs et flanque une rouste à sa femme a très peu de chance de pouvoir former un jour un « bon couple » avec quiconque.

Bref, pour moi, la relation élève-professeur est du type « couple ». Ils s’entendent ou pas, au pire s’ignorent. Mais aucun des deux n’en est pleinement responsable. Il va sans dire – mais c’est mieux en le disant – que lorsque le « couple » s’entend bien, l’enseignement a plus de chance de passer. Dans le monde utopique des pédagogogues (sic !), ce devrait d’ailleurs être la norme. Ceux-là n’ont pas dû voir un élève depuis bien longtemps, si tant est qu’ils en aient déjà vu !

Bien entendu, comme dans la Vie, vous allez me dire qu’il y a moyen de susciter la sympathie. Certes, on peut se montrer agréable, d’humeur égale – et ce n’est pas toujours facile quand on a des soucis extra-professionnels – mais cela ne fonctionne pas à tous les coups ; ce serait trop simple. De plus, il est parfois nécessaire de sévir. On ne peut pas féliciter un élève qui n’a pas fait son exercice ou qui n’a pas appris son cours. Un professeur est aussi un éducateur, au sens plein du terme, comme le sont les parents. Je crois avoir eu de bons parents, mais j'ai aussi souvenir d'avoir reçu des fessées !

L’un de mes collègues m’a dit un jour, en parlant de nos élèves : « Avant d’essayer de leur apprendre quelque chose, il faut les séduire ! ». Cette séduction est évidemment purement intellectuelle, n’allez pas croire que c’est un pervers qui draguent ces étudiantes. D’ailleurs, il parlait aussi des garçons, et il est hétéro, je vous l’assure. Enfin, je pense... Passons.

J’ai, pendant des années, ruminé cette phrase. Elle me paraissait démagogique, presque incongrue. Diantre ! Je n’étais pas là pour séduire, mais pour enseigner, pour enfoncer, de force s’il le fallait, théorèmes et définitions dans le cerveau de mes étudiants. Pour cela j’appliquais une maxime attribuée à l’empereur Tibère : « Qu’importe qu’ils m’aiment, pourvu qu’ils me craignent ! ». Vous pensez sûrement que je devais être un professeur détesté ? Que nenni ! J’ai eu, de nombreuses fois, des avis très positifs de certains de mes anciens élèves, et des avis donnés plusieurs années après, ce qui me laisse la faiblesse de penser que ceux-ci étaient sincères.

Et maintenant, me demanderez-vous ? Eh bien, je me suis rallié à cette théorie de la « séduction », mais ce qui est très étonnant, c’est que j’ai toujours, grosso modo, la même proportion d’élèves qui m’apprécient, et qui sont donc, comme je le disais plus haut, plus susceptibles d’être réceptifs à mon enseignement ! Est-ce donc un mieux ? Dans l’absolu, non, pas vraiment, mais, en tout cas, je trouve que mon « rôle » est plus agréable à tenir. Assez égoïstement, cela me suffit. Qui plus est, cela me conforte dans ma thèse sur le fonctionnement fondamental de l'enseignement ; à savoir une relation entre personnes. Et je crois que cela est trop rarement pris en compte. Il est évidemment plus simple de faire du manichéisme ; bon... mauvais. Rien d'autre et tout est dit. Trop simpliste à mon goût.

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