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Billet de blog 21 mars 2015

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"Movés profes", le retour...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En me promenant sur les sites des grands quotidiens, je suis tombé, presque par hasard, sur cet article : http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2015/03/19/01016-20150319ARTFIG00072-les-mauvais-profs-mis-au-pilori-dans-le-livre-d-un-enseignant.php

 Encore du « prof bashing » ! Mais là, c’est différent, car cela a été écrit par un enseignant n’en pouvant plus d’être cerné de toute part par des incompétents et des sadiques quasi-hystériques, et qui veut – enfin – briser le tabou. Bref, l’auteur, Stéphane Furina, professeur d’anglais, serait une sorte de courageux Snowden, un lanceur d’alerte héroïque venant conforter les parents d’élèves dans leur idée que si leur progéniture échoue à l’école, c’est, évidemment, à cause des « movés profes ».

Autant l’avouer de suite, je n’ai pas lu le livre « Pire que les élèves », et je ne compte pas le lire. Certains vont sûrement me reprocher de vouloir me voiler la face, ou de parler de ce que je ne connais pas, mais citons l’article :

« Stéphane Furina alterne d'un chapitre à l'autre, entre ses souvenirs d'élève très sensible confronté à la maladresse de ses enseignants à la fin des années 1980, avec son témoignage de jeune professeur nommé dans une quinzaine d'établissements dans le nord de la France. Morceaux choisis de cet ouvrage très touffu qui aurait mérité quelques élagages. »

Et ces « morceaux choisis » ne me donnent pas envie. Des histoires d’élèves et de profs, ayant été l’un pendant seize ans et étant l’autre depuis vingt-cinq ans, j’en ai des caisses. Alors comme le journaliste reconnaît lui-même que c’est « touffu » (sic) et un tantinet longuet, peut-être même lassant comme la lecture du catalogue de La Redoute, non, décidément cela ne donne pas envie.

Commençons par le plus important. La critique est aisée mais l’art est difficile. Rien de plus, mais rien de moins. Dans toutes les professions, il y a des personnes plus ou moins compétentes, plus ou moins impliquées. Qui n’a jamais eu affaire à un garagiste maladroit ou un plombier négligeant ? Cela mérite-il d’en faire pour autant un livre ? Quitte à cracher dans la soupe, on attend impatiemment les ouvrages suivants : « Pire que les électeurs » par le député Machin, « Pire que les condamnés » par l’avocat Truc, « Pire que les clients » par le banquier Bidule, « Pire que les fidèles » par l’évêque Cochon, « Pire que les lecteurs » par le journaliste Chose, « Pire que les patients » par le chirurgien Dugenou. Tout le monde sait qu’il y a des députés véreux, des avocats marrons, des banquiers corrompus, des prélats pédophiles, des journalistes affligeants, des chirurgiens-bouchers… et qu’il y a des professeurs qui auraient dû choisir un autre métier.

Bien entendu, cela ne veut pas dire qu’on doive s’interdire toute critique, mais encore faut-il savoir y mettre les formes, ne pas tout mélanger, ne pas se croire investi d’une mission quasi divine de purification de sa profession. Il faudrait surtout, et c’est là l’essentiel quand on critique de l'intérieur, donner l’exemple. Avez-vous pensé, Monsieur Furina, à demander à vos élèves ce qu’ils pensent de vous ? Non ? Dommage, nous aurions sûrement eu droit à quelques propos malveillants car on ne peut pas plaire à tout le monde, vous savez. En tout cas, j’espère que dans un prochain ouvrage, vous nous expliquerez, à nous autres « movés profes », comment vous faites progresser vos élèves pour les rendre quasiment bilingues en moins d’un an, même les dyslexiques, et comment vous transformez un élève asocial et agressif en premier de la classe. Parce que, personnellement, c’est plutôt ça qui m’intéresserait ; que dis-je, qui intéresserait TOUS les professeurs, voyez-vous ? Dans les extraits cités dans l’article du Figaro, il n’est jamais question de vous, toujours des autres. N’avez-vous donc rien à nous dire sur vos méthodes, sur votre façon de faire ? A n’en pas douter, vous avez sûrement des qualités exceptionnelles que d’autres n’ont pas. N’avez-vous donc rien à dire de positif ? A quoi sert alors votre brûlot ? Papy Mougeot répondrait « A rien, c’était juste pour faire avancer le schimili schimilblick… » Mouais, sauf qu’ici, je ne crois pas que cela fasse avancer beaucoup les choses, justement.

Je vais poursuivre par quelques exemples tirés de ma propre expérience. Dans le temps, je faisais passer des interrogations orales aux élèves de Maths Sup… et j’en récupérais donc certains l’année d’après. Il m’arrivait de parler de ces élèves avec leur professeur de Sup. Nous étions souvent d’accord, mais pas toujours. Le plus bel exemple de désaccord est survenu par le biais d’une étudiante que je jugeais capable, mais très timide et manquant clairement de confiance en elle. C'était là mon opinion d'interrogateur. Son professeur de mathématiques avait, lui, un avis plus tranché, un avis méprisant au sens Furinarien du terme. Pour lui, elle était « bête » (sic) ; ce qui voulait dire qu’elle n’avait pas les capacités requises pour suivre de telles études. J’entends déjà certains ricaner. Voilà une preuve de plus que les enseignants méprisent bien les élèves ! Ah ? Ce langage vous choque ? Mais, dans ce cas, tout le monde méprise tout le monde. Combien de fois, dans votre vie, avez-vous dit de quelqu’un qu’il était « bête », ou même « con », en guise de résumé ? Passons.

Voulant prouver à mon collègue qu’il se trompait, j’ai expressément demandé au censeur des classes préparatoires de mettre l’étudiante objet du litige dans ma classe l’année suivante. Je relevais le défi. Le début a été laborieux ; elle oscillait entre 5 et 7, ce qui n’était pas très bon. Pire, mon collègue de physique la jugeait également « bête » (re-sic) et prévoyait, au mieux, un redoublement, compte tenu de ses notes qui étaient aussi basses dans sa matière que dans la mienne. Moi je gardais sereinement mon propre jugement. Je la savais capable. Il suffisait d’un déclic pour qu’elle prenne confiance. Oui, mais comment le faire survenir ?

Cela s’est produit de manière inattendue au début du deuxième trimestre. Après un devoir particulièrement raté, elle s’est mise à pleurer quand je lui ai rendu sa copie. Je l’ai prise à part à la fin du cours. D’abord, je lui ai fait remarquer que cela ne servait à rien de pleurer, et qu’elle connaîtrait des situations autrement plus graves dans sa vie. Elle s’est excusée et m’a expliqué que c’était la déception car elle aurait tellement voulu réussir.  Encourageant. Je lui ai alors simplement dit : « Ce n'est pas grave, je sais que tu vaux mieux que ça… ». Le sourire est revenu sur son visage.

Par la suite, ses notes sont passées à 10, puis à 14, d’abord avec moi... puis en physique au grand étonnement de mon collègue ! Elle a terminé l’année de manière très satisfaisante, est passée dans le cycle ingénieur et a eu son diplôme… terminant au deuxième rang de sa promotion ! Pas mal, non ?

Oui, je sais. Vous allez me dire que je fais là du Furina dans le texte ; accusant implicitement mes collègues d’incompétence et me vantant d’avoir su, moi, la faire progresser. Sur ce cas précis, j’avoue que je suis en effet assez fier du résultat obtenu, mais, bien entendu, s’il suffisait de prononcer les mots d’encouragement que j'avais eu envers elle comme une formule magique pour obtenir de tels progrès, cela se saurait ! Sur d’autres, cela n’a strictement aucun effet, je vous rassure tout de suite. Et puis, je serais malhonnête de me limiter à ce seul exemple entièrement à mon avantage. Il m’est arrivé aussi de produire l’effet inverse, d’avoir des élèves qui avaient été brillants en Sup, estimés et loués par leurs professeurs, et qui échouaient dans ma classe. Et là, j’ai eu droit à des remontrances. On me reprochait d’avoir gâché ces élèves, de ne pas avoir su les comprendre, de ne pas avoir su comment les prendre, etc…

Conclusion ? Je vous renvoie à la seconde partie de mon billet http://blogs.mediapart.fr/blog/vicens/191014/mes-reflexions-sur-lenseignement-presentation

Je vais terminer avec le cas de la dyslexie. Disons d’abord que j’ai un effectif qui varie entre quarante-deux et cinquante étudiant(e)s, plus souvent vers cinquante que vers quatre-deux, malheureusement. Ensuite, j’ai un programme assez conséquent à enseigner. Il m’est donc matériellement impossible de faire un enseignement différencié et adapté à chacun, surtout pour ceux qui souffrent d’un tel handicap, car je n’ai pas huit bras et quinze têtes comme les divinités hindoues. Et que personne ne s’avise de me parler, ici, de préserver l’égalité des chances, parce que j’enseigne en classe préparatoire, et que tout le monde n’est pas capable de suivre une telle formation sans pour autant être idiot ou condamné à une vie infamante. J’ai beaucoup de respect, et même d’admiration, pour des personnes qui ne comprennent rien aux mathématiques… à commencer par ma femme ! Alors ? Au nom de l’égalité, tout le monde devrait avoir le droit de rentrer à Polytechnique ? Ridicule.

Il m’est arrivé d’avoir un cas, un vrai. En plus de sa dyslexie, cet élève était évidemment complètement dysorthographique et même à un point étonnant. Il était néanmoins en Maths Spé… donc avait eu son bac alors qu’il écrivait phonétiquement et sans aucune ponctuation. Cela m’obligeait d’ailleurs à lire à haute voix ses copies pour comprendre ce qu’il avait écrit, car je ne reconnaissais plus les mots, avant de m’apercevoir que cela ne voulait quand même rien dire parce qu’il avait utilisé un terme à la place d’un autre. Bien évidemment, ce genre de trouble lui nuisait gravement en mathématiques, à l’écrit comme à l’oral. Comment pouvait-il produire un raisonnement un tant soit peu élaboré avec un tel handicap ? Or, à ce niveau d’études, c’est essentiellement le raisonnement que l’on prend en compte, pas le calcul.

Il était donc logiquement dernier de la classe en mathématiques, avec environ 2 de moyenne, et sa mère a commencé à s’inquiéter. Elle m’a demandé un rendez-vous et a attaqué, tout de go, par un : « Mon fils a des résultats certes moyens, mais corrects, dans les autres matières scientifiques, est-ce que vous allez le faire redoubler ? ». Elle me prêtait des pouvoirs que je n’avais pas. Ce n’était pas moi, seul, qui décidait, mais le jury. Je lui ai donc répondu que je donnerai un avis négatif – et comment aurai-je pu faire le contraire à la vue de ses notes ? – mais que je n’avais pas de droit de veto. Elle a paru soulagée, mais surtout, elle m’est apparue complètement inconsciente. Ayant été pendant deux ans ingénieur, j’avais eu le temps de me rendre compte que le monde de l’entreprise n’était pas un lieu où l’on favorisait l’épanouissement des « gens à problèmes ». Un employeur qui recrute un ingénieur veut en avoir pour son argent. Il veut quelqu'un d'efficace. Si la personne n’est pas capable, elle ira voir ailleurs. Simple et impitoyable. Je me suis donc permis de lui dire que son fils, même muni d’un diplôme d’ingénieur, allait au devant de sérieuses difficultés s’il n’arrivait pas à s’exprimer correctement. Sa réponse m’a laissé sans voix, car elle m’a dit : « Il a toujours eu ce problème, mais cela ne l’a jamais empêché de passer dans la classe supérieure, et il a eu son bac. Il ne sait pas écrire, c’est vrai, et il ne saura jamais, mais comme il aura une secrétaire, ce ne sera donc pas bien grave. » Que dire en effet devant de tels arguments ? Voilà un élève qui n’est visiblement pas suivi par un spécialiste et dont les parents ont simplement acté le handicap, sans essayé de le corriger, parce qu’il n’y avait jamais eu de « sanctions » ! Quel monde merveilleux que celui de l’Éducation Nationale ! Si indulgent, si compréhensif, si douillet… si éloigné de la Vraie Vie.

 Aujourd’hui, après la lecture de l’article susmentionné du Figaro, j’aurais su quoi lui répondre, à cette brave dame. Quelque chose comme : « Contactez Monsieur Stéphane Furina, c’est un excellent professeur qui amènera votre fils à un remarquable niveau malgré son handicap. »

 Sans rancune, collègue ?

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