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Billet de blog 23 octobre 2014

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Mes réflexions sur l'enseignement (Yakadomia)

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’autre jour, dans le métro, je faisais face à un encart publicitaire du groupe qui se revendique comme le numéro 1 du soutien scolaire, et qui avait été épinglé, il y a quelques temps, pour des propos fleuris qui poussaient dans ses fichiers. Pour autant que je m’en souvienne, le corps du texte était le suivant :

Sophie a installé son premier antivirus bien avant d’étudier le système immunitaire.

 Les élèves ont changé, leur façon d’apprendre aussi.

Je suis resté perplexe, pantois, stupéfait, subjugué, pétrifié, songeur, tout ce que vous voulez. J’ai d’abord envisagé de l’ironie, une sorte de second degré moquant les pédagogogues en vogue. Mais non. Rien de tout cela n’était apparent. Ils avaient l’air d’y croire, ou plutôt de vouloir nous faire croire que la réussite était là, à portée de main, puisque cela n’était destiné, comme toute publicité, qu’à appâter le chaland.

J’ai donc commencé à me poser des questions. La seconde partie du message est la plus simple à analyser. Il sous-entend que l’école traditionnelle n’a pas suivi l’évolution de la Société, que ses méthodes sont dépassées, et que si votre enfant ne réussit pas, c’est uniquement la faute à cette institution sclérosée et peuplée de « movés profes » incapables de reconnaître le potentiel énorme de votre progéniture. C’est classique. Doit-on encore répondre à ces propos éculés et usés jusqu’à la corde ? Enseigner, c’est répéter, donc allons-y.

Pour cela, laissons d’abord Bill Gates le faire : « Très peu d’employeurs sont prêts à vous aider à vous assumer. » Oui, c’est de lui. Bon. Je n’ai pas un amour immodéré pour Monsieur Gates, ni pour ce qu’il représente de plus odieux dans le capitalisme effréné, mais on peut au moins lui reconnaître le mérite d’être arrivé là où il est, et quand il parle du « monde du travail », de savoir de quoi il parle. Alors, oui, je trouve que cette réponse pour les parents est, certes, moins politiquement correcte que de taper sur les enseignants – sport national français – mais permet de leur rappeler que la vie professionnelle n’est pas un lieu où leur rejeton trouvera une écoute adaptée et pourra évoluer selon ses propres désirs ou envies. Non. Il devra se plier aux règles, et si cela ne lui convient pas, aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte. On reproche suffisamment à l’Ecole de ne pas préparer les élèves à la « vraie vie », que l’on pourrait, peut-être, reconnaître que c’est heureux, parce que sinon une grande partie de la population scolaire serait au chômage ! Mais cela est connu de tous, au moins de ceux qui ont plus de deux neurones et savent s’en servir. J’ai répondu.

La première partie du texte me semble la plus intéressante. De prime abord, on ne voit pas trop le rapport entre installer un antivirus et étudier le système immunitaire, sauf à jouer sur les mots « virus » et « virus ». C’était peut-être censé être drôle ? Je trouve l’effet consternant. Installer un antivirus – ou plus généralement un programme – sur un ordinateur est une opération qui ne nécessite aucune connaissance, mise à part celle de l’utilisation basique de cette machine. Ouvrir une fenêtre, cocher la case « Oui, j’ai pris connaissance des lois qui régissent, etc… et j’accepte », cliquer sur continuer un certain nombre de fois, attendre, cliquer pour terminer. A aucun moment une connaissance quelconque n’a été utilisée. Et vous ne savez même pas ce qu’il s’est passé au cours des étapes ! Des fichiers ont été installés un peu partout sur votre disque dur, mais ne savez pas lesquels, ni où ils ont été mis, des valeurs ont été ajoutées au registre, une tâche a été lancée, et vous n’avez rien vu ! Vous n’avez d'ailleurs même pas besoin de savoir ce qu’est ce fameux registre, ni une tâche. Bref, vous n’avez utilisé aucune connaissance et, qui plus est, vous n’avez rien appris en effectuant tout cela. Rien, pas même ce qu’est un programme antivirus, pas même ce qu’est un virus informatique ! Comment peut-on donner en exemple une action aussi vide de contenu en matière de pédagogie ?

Passons à l’étude du système immunitaire. Vaste sujet ! On étudierait donc le système immunitaire à l’Ecole ? Diantre ! Les chercheurs n’ont qu’à bien se tenir ! Que l’on aborde le sujet, je veux bien, mais de là à dire qu’on l’étudie… Qu’est-ce que recouvre ce terme générique et général ? Etudier. J’ai eu un cours de deux heures sur le système immunitaire, je l’ai donc étudié, c’est ça ? Je dirais, tout au plus, aborder quelques notions simples et apprendre un peu de vocabulaire. Ce n’est pas la même chose, mais là, au moins, on parle de connaissance – à défaut de compétence – et c’est bien alors du domaine de la pédagogie, et il se peut qu'alors l'élève apprenne quelque chose . Oui, j’insiste sur le peut, parce que cela suppose que l’élève fasse l’effort de comprendre, puis de mémoriser. On oublie trop souvent ce petit détail qui fait pourtant toute la différence entre assister à un enseignement et acquérir une connaissance. S’il suffisait d’assister, tous les étudiants valideraient leurs modules, même la seconde année de Droit… ce qui n’est malheureusement pas donné à tout le monde ! Hein, Jean ? Passons.

Chaque partie du texte ayant été analysée, essayons d’en saisir maintenant l’ensemble. Il semblerait que, au-delà du jeu sur les mots virus que j’évoquais plus haut, il se trouve une sorte de hiérarchie renversée dans l’apprentissage. D’abord la pratique, avec l’installation de l’antivirus, pratique où il n’y a pas besoin de professeur, où l’élève apprend par lui-même, construit son propre savoir par son expérience, et puis ensuite la théorie qui vient apporter de solides notions, qui vient mettre en forme ce que l’élève avait simplement vaguement appréhendé, qui vient combler sa soif de curiosité et le remplir d’émotions, et qui, elle, nécessite l’intervention d’un enseignant. Outre le fait que je mets au défi Sophie de mieux comprendre son cours sur le système immunitaire après avoir installé un antivirus, il y a, derrière cela, l’idée qu’un élève ne saurait être intéressé par une notion s’il n’a pas été, auparavant, confronté à la dite notion ; cette confrontation ayant eu lieu, de préférence, en dehors du cadre scolaire.

Pour moi, cela s’appelle « mettre la charrue avant les bœufs ». Ainsi, il faudrait attendre qu’un élève ait envie de lire un roman de Maupassant pour lui apprendre à lire, attendre qu’il ressente l’impérieuse nécessité d’écrire un poème pour lui apprendre à écrire, attendre qu’il se pose des questions métaphysiques avant d’envisager de lui donner des cours de philosophie, attendre qu’il se demande comment est constituée la matière avant de lui donner un cours sur les molécules et les atomes, attendre qu’il se demande comment reconstituer un signal périodique avant de lui donner un cours sur les séries de Fourier. Et ainsi de suite. Dans certains cas, on risque d’attendre longtemps ! Dans d’autres, il faudrait faire vite, car on peut, dès l’âge de 7 ou 8 ans, rien qu’en regardant le ciel, se demander d’où viennent toutes ces lumières, se demander ce qu’est une étoile. Faut-il alors envoyer immédiatement le gamin suivre un cours d’astrophysique pour exploiter au mieux ses bonnes dispositions et son intérêt du moment ?

Le temps des précepteurs est révolu. On ne peut plus papillonner, au gré des envies de l’enfant ou des circonstances, entre lecture, écriture, calcul, histoire ou sciences naturelles. C’est bien dommage, dans un sens, mais c’est ainsi. Pourquoi dommage ? Mais c’est bien évident ! Quand la question vient de l’élève, il a plus de chance de retenir la réponse ! Mais combien d’entre eux vont poser une question intéressante, dans le sens où elle amènerait des développements connexes ? Peut-on construire un enseignement de masse sur de telles hypothèses ? C’est utopique, irréaliste, typique de la pédagogogie sur papier où l’élève est une notion virtuelle, un être infiniment intelligent, infiniment curieux, infiniment concerné. C’est même dangereusement démagogique, pour ne pas dire nuisible.

Pour finir, je souhaite clarifier ma vision de l’enseignement. Prenons la lecture, cela me changera des maths. Pour commencer, on doit apprendre l’alphabet, puis reconnaître les mots, puis comprendre leur sens. J’appelle cela bâtir les fondations. C’est aride, certes, mais indispensable. Sans fondation, un immeuble s’écroule. Ensuite, dès que l’on peut, il faut lire. C’est à ce moment précis que l’enseignant est en mesure d’éveiller, ou pas, l’intérêt de l’élève. Certes, le choix des textes n’est pas anodin, et il est sûrement difficile de respecter les sensibilités diverses et variées des élèves. Mais, en multipliant les genres, on devrait y arriver. Enfin, on devrait… Soyons fous ! Pour finir, on peut aller plus loin que le simple conte, où seule l’histoire racontée importe, et commencer à travailler sur le style, sur l’œuvre, et pourquoi pas sur l’auteur, sur le contexte historique, etc... Il y aura donc bien un travail d’intéressement à mener, mais il viendra en son temps, et on ne saurait motiver des élèves de CP en leur demandant, dès le début de l’année, de réaliser une étude sur le romantisme en France au XIXième siècle, au fallacieux prétexte que c’est plus intéressant que d’apprendre l’alphabet, et leur laissant alors le soin de l’apprendre par eux-mêmes pour arriver au but, reléguant ainsi l'enseignant à un rôle de Gentil Accompagnateur qui se permettrait simplement, de temps à autres, de donner des indications à l'élève construisant triomphalement son propre savoir.

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