Avec ce qui convient d’appeler l’affaire Atlaoui, s’amorce, me semble-t-il, un n-ième débat sur la peine de mort.
Pour qu’il n’y ait pas d’ambigüité, je précise de suite que je suis CONTRE LA PEINE DE MORT ; et ce en toute circonstance. C’est une question de principe, et un principe ne saurait souffrir des exceptions.
Avant d’en venir au fond du débat, examinons la forme particulière qui le ramène sur le devant de la scène. Un pays souverain et démocratique condamne à la peine capitale neuf personnes ; un français, deux australiens, un brésilien, quatre nigérians et un indonésien. La France monte au créneau pour défendre son ressortissant. Et seulement celui-là. Même le Président, qui se fend d’une déclaration solennelle (voir par exemple : http://www.liberation.fr/video/2015/04/22/francois-hollande-je-lance-un-appel-pour-que-l-execution-de-serge-atlaoui-n-ait-pas-lieu_1259245 ), n'arrive pas à cacher que seul le sort du français l'intéresse. Bel exercice de style, d'ailleurs, que de se draper dans une posture internationale de militant pour l’abolition, mais je n’y crois pas, personne n’y croit, et personne n’y croira tant que le même appel n’aura pas été lancé à l’attention… des Etats-Unis, pour ne prendre qu'un exemple, au nom de cette nouvelle croisade hollandiste.
Je suis encore plus troublé par l’intervention de Ban Ki Moon. Certes, il ne fait, lui, aucune différence entre les condamnés, mais il met en avant la « légèreté » du crime (trafic de drogue) ce qui, selon lui, ne devrait pas justifier la peine de mort (voir par exemple : http://www.francetvinfo.fr/monde/asie/serge-atlaoui/affaire-atlaoui-ban-ki-moon-appelle-l-indonesie-a-ne-pas-executer-les-dix-condamnes-a-mort_886901.html ). Bref, même s’il rappelle au passage qu’il est abolitionniste, je me demande ce qu’il aurait-il pu dire si les coupables avaient été des meurtriers et des violeurs d’enfants ? Sans doute pas la même chose. En résumé, il est contre la peine de mort sauf si…
Il m’apparaît donc clairement que, derrière toutes ces interventions, une vaste hypocrisie règne en maîtresse, et tout cela parce que le pays en cause est l’Indonésie. L’Indonésie ! Une soi-disant démocratie avec une justice aux ordres et pas très crédible ! Un pays où les jugements sont douteux. Forcément. Hum ! Mais que dire de ça http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2014/02/04/un-nombre-record-d-erreurs-judiciaires-aux-etats-unis-en-2013_4359562_3222.html ?
Voilà qui me navre, car cela nuit grandement au débat de fond. La vie humaine est tout aussi précieuse en Indonésie qu’en France ou qu’aux Etats-Unis.
Allez ! Il est temps de passer en revue l’argumentaire classique des pro-dead.
1) La peine de mort est dissuasive.
Rien n’est plus faux. Il y a toujours des crimes et des viols en Chine et aux Etats-Unis, par exemple. Il y en a eu de très nombreux en France à une époque où l’on ne s’embarrassait pas trop de considération humaniste et où les coupables étaient roués ou pendus ou décapités en place publique. Je pense même qu’il y en a moins aujourd’hui qu’en ces temps où l’on pouvait vous couper la gorge pour un simple manteau, sur le bord d’un chemin.
2) La peine de mort n’est que justice envers la famille de la victime.
Faux, archi-faux. Ce n’est pas là de la justice, c’est de la vengeance. Certes, je suis tout à fait en mesure de comprendre ce sentiment, car c’est un sentiment humain, naturel. Si quelqu’un venait à assassiner ma femme, ma fille ou mon petit-fils, ma première pensée serait sûrement de souhaiter la mort du meurtrier. Mais cela me rendrait-il la personne disparue ? Mis à part un plaisir un peu malsain, qu’est-ce que je gagnerai à voir mourir le responsable ?
3) La peine de mort permet d’éviter la récidive.
Là, c’est déjà plus difficile à contrer. Il est clair que certaines personnes sont dangereuses. Les éliminer serait donc une protection envers la Société. Effectivement, c’est radical, mais, parce qu’il y a un « mais », comment être sûr de la culpabilité quand on dénombre autant de révisions de jugements ? Être emprisonné pour un crime que l’on n’a pas commis est déjà un préjudice difficile à compenser, la peine de mort est irrémédiable. Peut-être certains vont me dire que l’erreur étant humaine, on peut tolérer des « bavures ». Mouais. Ceux qui disent cela ont-ils déjà envisagé être eux-mêmes parmi ces bavures ? Sont-ils prêts à donner leur vie pour la bonne cause ? J’en doute. Maintenant, il ne faut pas non plus laisser des psychopathes en liberté. La prison ne me semble d’ailleurs pas la place adaptée, car ces gens ont le droit d’être soignés, même si le traitement miracle n’existe pas encore. A tout le moins, on se doit d’essayer.
Alors, Monsieur le Président, le combat pour l’abolition de la peine de mort ne passe pas par des postures de donneurs de leçons de circonstance, ne passe pas par la défense exclusive de ses ressortissants, ne passe pas par un silence complice envers les Etats-Unis, le Japon, l’Inde, et même l’Arabie Saoudite parce que ce sont des « pays amis ». Ce combat n’autorise aucune compromission. Il est universel ou il n’est pas. Et je suis au regret de vous dire que vous ne lui avez pas rendu service avec vos gesticulations hypocrites. Bien au contraire, vous l’avez desservi et rabaissé. C'est triste.