La ville de Vichy se prépare à un afflux de manifestants en soutien à une mère de famille et à deux jeunes hommes qui ont été accusés d’être les instigateurs, en juillet et en août 2021, de quatre manifestations anti-pass non déclarées, ce qu’ils nient. En effet, les premières manifestations anti-pass auraient été organisées toutes en même temps dans une centaine de villes de France, et n’avaient pas pour origine des militants locaux. Les manifestations de Vichy n’ont occasionné ni violences, ni dégradations.
La garde à vue de ces trois citoyens français, et surtout les conditions draconiennes de leur remise en liberté, ont suscité la formation d’un collectif (cf plus bas), ainsi que des centaines de messages de soutien. Leur jugement étant prévu le 3 février 2022, ces restrictions hors norme vont donc durer près de 6 mois.
Quoique présumé innocent, Isham D.*, 22 ans, modeste employé dans la restauration, a dû immédiatement quitter le département de l’Allier et a été, de facto, expulsé de son lieu de résidence (cf document). Son contrôle judiciaire en fait donc un Sans Domicile Fixe. Depuis il navigue précairement entre ceux, amis et famille, qui veulent bien l’héberger : « Je n’ai même pas eu le temps de dire au revoir », regrette-t-il.
Pour lui comme pour les deux autres, tout a commencé le 18 août au matin par des policiers armés sonnant à leur domicile et leur demandant de signer une convocation au Commissariat. Le jour dit, ils sont tous trois immédiatement placés en garde à vue, avant même d’être entendus. Isham se voit confisquer, entre autres, son téléphone portable, qui va être mis sous scellés et fouillé sans son autorisation.
« J’ai été placé dans une cellule de dégrisement sans lumière, avec des toilettes à la turque. Le lit, en béton, était recouvert d’un mince tapis de gymnastique. Pas d’oreiller. La couverture sentait l’urine. » La garde-à-vue dure 33 heures interminables. « C’est long, et on n’a aucune notion de l’heure. Le plus dur, c’est qu’on ne sait pas combien de temps il nous reste. »
Quelques phrases restent gravées dans sa mémoire :
« Je vous préviens, vous allez être traités comme des terroristes », a menacé le Procureur du Tribunal Judiciaire de Cusset, Eric Neveu. « Et si jamais il y a encore une manifestation après-demain, c’est vous qui allez prendre : je vous fais mettre immédiatement en prison pour deux ans. »
La menace est prise au sérieux, et des messages suppliants circulent sur les réseaux, pour que n’ait pas lieu la manifestation du surlendemain.
Eric Neveu ne fait pas dans la dentelle : cet homme au regard dur et au visage carré a fait la première moitié de sa carrière dans les troupes de marine, appelées autrefois « troupes coloniales ».[1]
A leur sortie, les trois citoyens ont l’interdiction d’entrer en communication, et disent être peut-être sous écoute téléphonique.
Dans les cortèges du samedi, on s’étonne : « Quand j'étais en activité, notre syndicat a toujours fait des manifestations non déclarées, sans aucun souci. »
Florence B.* n’arrive toujours pas à comprendre ce qui lui arrive : « J’ai l’impression d’être dans un mauvais polar. » A quarante-deux ans, elle est auxiliaire de vie et mère de deux enfants. Elle aide les personnes âgées et dépendantes dans leur vie quotidienne.
Florence était, elle aussi, aux manifestations. Après tout, cette obligation vaccinale lui a coûté son travail : « Je ne veux pas qu’on m’injecte un vaccin expérimental », témoigne-t-elle.
Ce qui l’a marquée le plus dans cette garde à vue, ce sont les pressions morales et la culpabilisation : « Le Procureur m’a dit que j’étais une mère indigne. Il m’a fait comprendre que les services sociaux pourraient me retirer la garde de ma fille de 10 ans. Ca m’a fait beaucoup de mal. Ils m’ont dit aussi que mon fils de 17 ans était dans le viseur.»
Le Procureur lui signifie également qu’étant au chômage, elle « profite du système ». Pourtant, avant l’obligation vaccinale, elle avait travaillé pendant près de 15 ans.
Au contraire, les policiers du Commissariat l’ont reçue avec gentillesse, elle et ses deux compagnons d’infortune, comme ils continuent à le faire lorsqu’elle s’y rend deux fois par semaine, au petit matin, dans le cadre de son contrôle judiciaire. Elle n’habite pas à Vichy mais à Cusset, une ville voisine, et curieusement, elle se voit interdire le territoire de la ville de Vichy pendant six mois. « Et ne vous avisez pas de tricher, il y a des caméras de surveillance partout, » a averti Eric Neveu. Elle aperçoit même souvent une présence policière lors de ses déplacements quotidiens, ce qui ne l’aide pas à surmonter le traumatisme de cette singulière garde à vue.
Ce contrôle judiciaire hors norme était-il nécessaire, et même légal ? D’après l’article 137 du code pénal « Toute personne mise en examen, présumée innocente, demeure libre. Toutefois, en raison des nécessités de l'instruction ou à titre de mesure de sûreté, elle peut être astreinte à une ou plusieurs obligations du contrôle judiciaire … » Les documents remis aux trois manifestants indiquent que leur contrôle judiciaire a pour but d’éviter qu’ils ne se dérobent à la Justice, et de « mettre fin à l’infraction ou éviter son renouvellement ».
Or, forcer un prévenu à quitter son département de résidence est totalement contre-productif si on veut s’assurer que la personne ne parte pas et reste disponible pour des convocations de Justice et pour « les nécessités de l’instruction ».
Les mesures prises ne semblent pas non plus avoir pour but de « mettre fin à l’infraction ou éviter son renouvellement », puisqu’hormis le samedi suivant (un cas particulier dont nous reparlerons), les rendez-vous hebdomadaires des manifestations continuent, comme chacun pouvait s’y attendre.
En réalité, ces trois manifestants se sont vus infliger des punitions arbitraires, sans jugement, et cela de façon particulièrement inhumaine.
Ainsi, Florence ne peut pas se rendre à Bellerive-sur-Allier, le « poumon vert » de l’agglomération vichyssoise, avec ses parcs, son Centre Omnisport et ses promenades le long de la rivière Allier. Et tant pis pour l’enfant. Une privation vexatoire, punitive, sans motif d’ordre public. L’interdiction d’aller à Vichy et à Bellerive la prive aussi des magasins low cost où sa famille modeste avait l’habitude de se fournir. « Pour ma fille, j’ai dû demander à quelqu’un de l’amener faire ses courses de rentrée. » Une déchéance symbolique de son rôle de mère.
La privation de sport et de grand air est aussi au programme dans le contrôle judiciaire du troisième manifestant pacifique retenu en garde à vue, Samy R*, 21 ans.
Interdit lui aussi de se rendre à Vichy pendant 6 mois malgré sa présomption d’innocence, Samy doit renoncer à ses activités au club de foot du Racing Club de Vichy.
Il a failli perdre également sa formation de manager : « J’ai insisté, et le juge des libertés a accepté de me laisser aller à mon école une fois par semaine. Mais pour le Procureur, c’était ‘Tu changes d’école, tu changes d’entreprise, tu te débrouilles.’ » La précarité, délibérément imposée.
Dans une interview mise en ligne sur Facebook, Samy témoigne de sa garde à vue et de sa vie depuis : obligation de pointer deux fois par semaine au Commissariat, interdiction de manifester dans l’Allier, de communiquer avec ceux qui avaient partagé la même épreuve…
Lui aussi est encore sous le choc de sa garde à vue, de ses privations de liberté et des propos déstabilisants qui ont rythmé ces trente heures de détention : « On n’arrive pas à relativiser. »
Ils ont tous dû signer une autorisation de perquisition (« Vous n’avez rien à cacher, de toute façon ? »), qui pèse sur eux comme une épée de Damoclès.
« La première chose que je fais en me réveillant le matin, témoigne Samy, c’est de guetter pour voir s’il y a la police, car ils doivent venir faire une perquisition dans ma chambre, on ne sait pas quand, ni comment. Souvent, je vois des policiers qui sont autour de ma voiture, qui sont en train de regarder ma voiture et vraiment, on vit avec cette peur. » Sa gorge se serre, ses yeux se troublent : « J’ai voulu témoigner parce que quand on ne parle pas, on se ronge à l’intérieur, et ce n’est pas bon. »
Dans l’émotion, Samy a été pris d’un malaise respiratoire lors de sa garde à vue et transporté à l’hôpital – mais avec des menottes. Une seule consolation : la présence d’amis et de soutiens devant le Commissariat, un groupe qui s’est organisé par la suite sur Facebook sous l’appellation « Tous Organisateurs #SIF ».
« Ils sont restés pour nous jusqu’à trois heures du matin ! Quand on les a entendus, ça nous a mis les larmes aux yeux, on s’est collés aux vitres : ‘Tu entends, tu entends?’ On aurait dit qu’on était redevenus des enfants de 10 ans. Parce que réellement, ce soutien, il n’y a rien de plus beau. Ce soutien nous a aidé à garder la tête haute, la tête froide, à se dire ‘On n’est pas seuls’. Le gouvernement est en train de détruire la liberté et l’égalité, mais je peux vous dire que la fraternité, elle existe encore… »
Contacté, le Juge des Libertés et de la Détention du Tribunal Judiciaire de Cusset (03) a indiqué que les délibérations étaient secrètes et qu’il ne pouvait pas commenter.
Une cagnotte en ligne a été organisée pour aider à financer leurs frais d’avocats : https://www.paypal.me/TousOrganisateurs.
*nom d’emprunt
[1] https://jorfsearch.steinertriples.fr/name/Eric%20Neveu

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