Victimes du tabac

Abonné·e de Mediapart

21 Billets

0 Édition

Billet de blog 8 avril 2013

Victimes du tabac

Abonné·e de Mediapart

Portrait d'un français qui a réussi,

Victimes du tabac

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Faire le portrait de quelqu’un que l’on n’a jamais rencontré, je l’avoue c’est quand même gonflé !

Il s’agit d’écrire sur une personne qui n’a pas une activité illégale a priori, et qui pourtant ne va crier sur les plateaux de télévision ce qu’il fait. Vous allez comprendre pourquoi…

Dans le domaine de l’industrie du tabac, ils sont les penseurs, les cadres dirigeants.  Si on ne les connait pas c’est que personne ou presque  ne s’intéresse à eux.

Alors, il faut mettre un peu de lumière dans cet univers discret et pourtant si important.

Les dirigeants des compagnies de tabac gagnent, vous vous en doutez, beaucoup d’argent. En ces temps d’accroissement des inégalités, il y a de quoi être triste et indigné de cet état de fait.

Mais que perdent-ils en échange ? leur honneur ? bof,pas de quoi en faire un article ;  leur âme ? bof aussi, finalement la morale n’a rien à faire là dedans.

Ils sont trop nombreux pour faire un portrait de chacun d’entre eux. Et puis, les dirigeants des cigarettiers ne sont pas pour la plupart issus de notre si beau pays, la France. Alors, il a fallu en choisir un, un peu par hasard aussi, il est français, il est élégant, sans doute très brillant, il s’appelle Pierre de Labouchere.  

A mes questions si je le rencontrai, peut être il me répondrait et peut-être il dirait « Je me fais des c....... en or en vendant de la drogue, j’ai un train de vie exceptionnel, je gagne en 1 semaine ce qu’un planteur de tabac africain ou brésilien ne gagnera même pas pendant toute sa vie d’esclave, j’emm.... les médecins et les cons fouille m.... comme toi ! »

Peut-être serait-il plus réservé  et plus hypocrite « Je n’ai rien à dire si ce n’est que chacun est libre de fumer ou non et que mon boulot c’est de vendre des produits que les gens demandent »

 Je lui demanderai « Comment devient-on marchand de mort ? »

Ou pour être plus sympathique, « comment devient-on patron d’une firme de tabac ? »

Que se passe t-il dans le cerveau d’un homme, qui aurait très bien pu diriger une entreprise de chaussures ou de télécommunication, lorsqu’il postule puis est engagé chez un cigarettier ?

Combien de temps a-t-il réfléchi avant d’y aller ?

Quelles motivations ? Quelles ambitions ? Quelles craintes ?

Etait-ce une sorte d’american dream of the american way of life ?

Les rémunérations attractives ont-elles eu le dessus sur d’éventuelles objections éthiques ou  morales ?

Croit-il en Dieu d’ailleurs ? Au Dieu dollar sans doute, mais à autre chose, vous savez, cette forme d’accomplissement de l’homme dans son environnement, dans l’harmonie de la nature , cette paix intérieure, ce moment où l’on se sent bien quand nos principes et nos actes ne sont pas antagonistes mais se rejoignent en bonne intelligence.

Mon esprit cherche à comprendre qui se cache derrière ces hommes et ces femmes de l’ombre et qui pourtant ont plus de pouvoir sur nos vies que toutes les marionnettes que l’on nous vend en spectacle, cette comédie de guignols qui s’agitent en tous sens pour abrutir ou divertir les spectateurs pendant que le navire fait naufrage.

Monsieur de Labouchere, n’est pas à l’évidence un guignol.

On peut se poser plein de questions à son sujet. Comment se passe son travail ?Que fait-il exactement ? Notre ami dort-il correctement ? Est-il en bonne santé ? Est-ce qu’il fume(LA question que forcément il faut poser à un marchand de tabac)

Prend-il des médicaments antidépresseurs ? Que fait-il de son temps libre ?

La Suisse se porte t-elle bien ?A ce propos, comment vont tous ces malheureux français obligés de s’expatrier par amour pour le chocolat et la balade en  montagne ? (Vous allez vous dire comme moi « J’adore le chocolat et la montagne mais moi je n’ai pas les moyens de partir en suisse ! »)

Que pense sa famille ? Son épouse ? Ses enfants s’il en a ?

Est-ce qu’ils fument ? Que va-t-il dire à ses enfants ? Cela m’intéresse aussi parce que je pourrais être l’un d’entre eux…

Il pourrait dire « Papa vend un produit qui ne sert à rien (comme beaucoup d’autres choses d’ailleurs !) à part droguer les gens et les rendre malades quelques années après ! »

Ou encore « Tu vois cette maison, cette voiture, cette piscine, tout ça je te l’offre grâce aux millions de pauvres qui fument les cigarettes que vend papa ! »

Ses parents sont-ils encore en vie ? Fumaient-ils ?

Et ses amis non fumeurs, ils les regarde comment ? Avec tristesse ?Avec  envie?

Connait-il des malades du tabac ?

Ah, c’est sûr, c’est dur la vie. Chacun essaie de tenir son petit rôle et ses avantages, il faut bien gagner son pain.

Voici quelques éléments biographiques glanés sur « la toile »de Pierre de Labouchere.

         http://www.jti.com/our-company/leadership/pierre-de-labouchere/         

Il a été diplômé de HEC en 1976

(HEC 1976, on dirait un grand cru ! C’en était un ! Jugez plutôt : Henri de Castries, patron d’AXA, Yves Canac (Ernst&Young), Jean Dominique Sénard( Michelin) Christian Peugeot (comme la voiture…) et bien d’autres…)

 Il a rejoint RJR Tobacco France, en 1980 comme  « Senior Product Manager »

Les années passent et il progresse dans l’entreprise. Il est promu  « Group Product Manager » en 1982et  « Marketing Manager » en 1983.

En 1984, il est promu  Directeur Régional des opérations de RJRTI en Scandinavie et continue dans les années suivantes son ascension.

Il a participé activement au transfert du siège de l’entreprise de  Winston-Salem à Genève.

En 1995, Pierre de Labouchere, (41 ans), est nommé « President and Chief Executive Officer » de R.J. Reynolds Tobacco International.

En 1999, la compagnie se fait racheter par la firme japonaise Japan Tobacco

Il est donc actuellement «  President and CEO » de Japan Tobacco International, JTI  étant le numéro 3 mondial du tabac derrière Philip Morris International et Britisch American Tobacco.  

Tableau montrant les parts de marché de JTI en 2011

La compagnie est leader en Russie, premier marché du tabac derrière la chine qui n’est pas ouverte à la concurrence (monopole d’Etat)

L'enjeu pour les cigarettiers est donc de cibler les pays émergents et de maintenir un haut niveau de tabagisme dans chaque pays, en particulier dans les pays les plus peuplés comme la Russie...

Avec le président russe Medvedev, ca vaut bien une flûte de champagne.(Vous allez dire que dans un métier comme celui-là, il vaut mieux avoir des relations que des remords...)

Comme tous les grands philantropes, Japan Tobacco International fait dans l’humanitaire, y compris en France où la pauvreté s’accroit bien sûr…bientôt comme en Georgie? Il faudra demander à Emmaüs ...

 Et bien sûr, entre gens respectables, la culture, le mécénat occupe une place importante (bon là ce n'est plus pour les pauvres)

 Le musée de l’Hermitage, à Saint Petersbourg est l’un des plus beaux du monde, JTI fait partie des mécènes,  Pierre de Labouchere vient donc en profiter, et il a bien raison... 

 Pierre de Labouchere est également cofondateur et membre de MAMCO (musée d'art moderne et contemporain), le plus grand musée suisse d'art contemporain (Genève) http://www.mamco.ch/musee/fondation.html

Et alors, pour LA fameuse question (est ce qu'il fume)?  En fait, je suis déçu, je viens de lire une interview que Pierre de Labouchere a accordé à un journal allemand il y a 4 ans.

« Zum Abschluss noch eine persönliche Frage. Wie viele Zigaretten rauchen Sie pro Tag? (pour conclure,encore une question personnelle. Combien de cigarettes fumez-vous par jour?)

de Labouchere: Ich rauche seit vielen Jahren und rauche etwa zehn Zigaretten pro Tag.(Je fume depuis de nombreuses années et je fume environ 10 cigarettes par jour)

Haben Sie dabei keine Angst um Ihre Gesundheit?(Avez-vous peur pour votre santé ?)

de Labouchere:Ich denke oft über meine Gesundheit nach, Angst habe ich aber keine. Ich bin zur Zeit sehr gesund. Jeder muss sich halt ein persönliches Urteil über das Verhältnis von Genuss und Risiko bilden. (Je pense souvent à ma santé, mais je n’ai pas peur. Je suis en bonne santé. Chacun doit faire un jugement personnel entre le plaisir et les risques)

("Die Presse", Print-Ausgabe, 11.05.2009) »

C'est vrai, je suis déçu. J'espère qu'il aura réussi à décrocher depuis 2009.

 J’espère aussi qu'il n'a pas fumé des cigarettes de concurrents ou de contrebande.

PS: J'espère enfin ne pas avoir été trop désagréable à l'égard de Monsieur de Labouchere, qu'il me pardonne pour l'avoir choisi lui plutôt qu'un autre.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.