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Au sortir de Lyon, le fleuve - lourd des masses
De séracs écroulés, et des torrents de glace,
Et des prairies de neige, et des mers domestiques
Qu'a enfanté pour lui la vigueur helvétique
Se joint à l'opulence des grandes eaux de Saône
Pour mériter enfin son nom de Dieu: le Rhône.
Il plonge vers le Sud voluptueusement
Pour créer sa vallée de soleil et de vent.
Il féconde en roulant, et la terre, et la pierre
Pour engendrer la Vigne et ses grains de lumière.
Dans le Septentrion, les vignes du vertige,
Sur les coteaux du Sud, celles du Félibrige.
Vignerons sur les roches, mariniers sur les eaux,
Qui avec ses tonneaux, qui avec ses bateaux,
Les hommes du grand fleuve étaient tous des gagneurs
Car à fleuve divin, il sied d'être un seigneur.
En ces temps là, petit, le Rhône était un dieu
Et sa Jérusalem était à Condrieu.
Ce bourg de pierres blondes, entre l'eau et les vignes,
Engendra les meilleurs, les plus forts, les plus dignes
De ces seigneurs du fleuve. Ah ! il fallait les voir
Les longs trains de bateaux, lorsque tombait le soir
S'arrimer à la rive. Vingt-cinq hommes par rigue
Et autant de chevaux débarquaient dans le bourg
Pour boire, manger, chanter et chasser la fatigue,
Pour se battre parfois, et pour faire l'amour.
Partout dans les auberges, les troquets, les bord' eaux
On débitait friture, vin fort et fricandeaux,
Mais ce que préféraient, avant l'appareillage
Les mariniers, c'était le bœuf à l'Hermitage.
Ce petit port du Rhône, en face de Tournon,
Escarpe sa syrah aux flancs d'un mamelon
Et produit l'un des meilleurs vins rouges qui soit,
Puissant comme un volcan, souple comme la soie.
C'est dans sa robe pourpre que les bons cuisiniers
Mettent à mariner le bœuf des mariniers.
Deux kilos et demi de paleron d'Aubrac
Coupés en gros morceaux et disposés en vrac
Dans un profond faitout avec thym et laurier,
Sel, poivre du moulin et un bel ail entier,
Un verre d'huile d'olive, du marc de Condrieu
Ainsi qu'une bouteille d'Hermitage un peu vieux.
Le lendemain matin, tu fais la retirade
Du bœuf bien imprégné avec ta marinade.
Dispose les morceaux dans un poêlon onché,
Avec plusieurs oignons grossièrement hachés.
Alterne bien les strates de viande et de légumes,
Pour finir, une couche d'oignons de beau volume.
Verse sur l'appareil ton jus de marinade,
Fait cuire à feu très doux, couvert, à l'estouffade.
Un quart d'heure plus tard, du vinaigre, un bon verre,
Ainsi que de gros sel une bonne cuillère.
Tu laisses encore un heure mijoter au frisson.
Pendant ce temps, prépare donc la liaison.
Tu haches finement deux anchois dessalés
Avec deux gousses d'ail, du persil ciselé,
Deux cornichons hachés, saupoudre de farine,
Mouille avec la bonne huile d'olive comtadine.
Puis verse doucement ce bol de liaison
Pour bien l'incorporer à la préparation.
Tu laisses mijoter encore cinq minutes
C'est prêt, tu sers très chaud, et la fête débute.
En accompagnement, quelques pommes vapeur,
Ou bien des pâtes fraîches, et vive le bonheur!
Cessons pour aujourd'hui ce conte culinaire
Ma tripe est assoiffée, remplis raz-bord mon verre
De ce nectar divin de la Vallée du Rhône
Et laisse près de moi la coupe et la bonbonne.
Ingrédients et proportions pour six personnes:
- 2,5 kilos de paleron de bœuf d'Aubrac (si possible), - 2 verres d'huile d'olive de la vallée des Baux, - 1 verre de marc, - 1 bouteille d'Hermitage, - 1 verre de vinaigre, - 4 gros oignons, - 2 gousses d'ail, - 2 anchois en filets, - 2 cornichons, - sel, poivre, thym, laurier, farine, - 2 kilos de pommes de terre vapeur ou 1 kilo de pâtes fraîches.
Les vins conseillés:
Essentiellement des vins rouges des Côtes-du-Rhône septentrionales: - Condrieu, - Hermitage, - Crozes-Hermitage, - Côte-Rôtie, - Saint-Joseph, - Cornas.
Illustration originale Vincent Barbantan