Samedi soir, chez Ardisson à Canal, il a crevé l'écran Pierre. La télé, c'est le domaine de l'émotion et Pierre Priolet - paysan provençal en phase professionnelle terminale - en a donné de l'émotion. Même Ardisson et son cynisme gouailleur en était remué. Car Pierre a démonté avec clarté les mécanismes d'un système économique qui pousse à la mort la paysannerie française.
Il se trouve que je connais Pierre Priolet. Je l'ai connu dans une autre vie, lorsque nous « refaisions le monde patronal » au sein du Centre des Jeunes Dirigeants d'Avignon. Pierre était un bel homme énergique, plein d'idées altruistes. Il avait créé une antenne de Solidardosk à cette époque. Lui, paysan, avait réussi à s'imposer dans ce milieu CJD plutôt content de lui et qui avait tendance à regarder le monde agricole avec condescendance.
Pierre a bourlingué avant de s'établir arboriculteur dans les riches plaines provençales entre Rhône et Durance. Puis il a fait ce que tout paysan rêve de réaliser : une plantation d'arbres fruitiers, pommes et poires. Il faut avoir les reins solides pour planter ainsi car il faut dix ans avant la première vraie récolte ! Mais il y a trente ans, cette région était encore le verger de la France. Le Vaucluse était alors le département proportionnellement le plus riche de France après la Seine. Et le nord des Bouches-du-Rhône jouait dans la même catégorie. Les MIN (marché d'intérêt national) de Chateaurenard et d'Avignon étaient des ruches opulentes croulant sous l'activité des milliers de maraichers, arboriculteurs et grossistes qui expédiaient à J+1 des produits savoureux. Ce temps est révolu...
En quelques années, les mécanismes de mise en marché ont changé du tout au tout. Les grossistes étaient souvent critiqués à cette époque mais ils étaient nombreux et c'étaient des gens avec qui les producteurs pouvaient discuter, marchander. Ce système est révolu depuis l'apparition des grandes surfaces maintenant hégémoniques. Le producteur qui ne leur vend pas garde sa marchandise. L'Europe, pour régulariser le marché, a imposé aux producteurs de se grouper. Et ce sont maintenant ces groupements de producteurs - anonymes, gérés comme des institutions impersonnelles - qui sont les seuls interlocuteurs des producteurs. Eux qui négocient avec les quatre ou cinq centrales d'achat de la grande distribution. Et tout passe au dessus des producteurs. Pierre Priolet ne décolère pas : « Ce qu'il y a de scandaleux avec la grande distribution, c'est qu'elle ne joue pas le jeu et ne remplit pas le rôle auquel elle est destinée : vendre de grandes quantités avec de petites marges. Aujourd'hui, ses marges sont celles du petit épicier. J'ai les boules lorsque je vois que mes poires - qui me sont payées 0,17 euros le kilo - sont revendues à l'hyper ou au super du coin entre 2,80 et 3 euros le kils... Alors qu'elles me reviennent à 0,40 euros à la production. Et que je suis payé quatre à six mois plus tard...»
Pierre, malgré son désarroi et ses cinquante-neuf ans ne baisse pas les bras. Ce n'est pas son genre. Et il a des idées : bâtir un système de distribution nouveau, cassant le monopole de la grande distribution : « On accorde à chacun des 300.000 agriculteurs de France, en modifiant quelque peu les POS, un permis de construire sur une petite partie de ses terres agricoles, qu'il peut revendre au prix du terrain constructible. Une partie de cet argent lui permet de régler ses problèmes de trésorerie, le reste est versé sur un fonds qui servirait à acheter les murs de 40 à 50 centres de vente directe aux consommateurs. Surtout la règle, c'est de travailler à prix coûtant. Pour nous, le prix coûtant, c'est 0,80 euros le kilo, soit 0,38 pour la production, 0,17 pour le transport, 0,10 pour la manutention et la mise en magasin, et 0,15 pour le magasin. Une quarantaine de camions seraient chargés tous les deux jours et livreraient des centres dans toute la France. Résultats, des fruits et légumes frais vendus à des prix défiant toute concurrence. »
Utopique les idées de Pierre ? Mais l'utopie n'est-elle pas la raison de demain !
(plus d'infos dans l'excellent article parue dans le n°669 de Marianne)

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