
« Regardez s’ils sont beaux mes enfants d’Haïti !
Vaccinés, tatoués, ils sont sains et gentils,
Même pas le sida, même pas la vérole
Elevés sous la mère, de la bonne bestiole !
Je vous les vends au poids ou bien à l’unité
C’est vous qui choisissez, je ne suis pas buté.
Les bébés sont plus chers, les ados sont en solde,
S’ils n’ont pas de dossiers, je vous les passe en fraude
Car de toute façon, c’est exact, je l’avoue
Ici c’est le foutoir, ils seront mieux chez vous »
Dans les boites à bruits, les étranges lucarnes
La mort ne fait plus vendre : c’est laid, ça pue la carne,
Faut se renouveler, susciter l’émotion,
Ce qui se vend, Kiki, c’est les trucs d’adoption !
Regardez-les gueuler tous ces achadoptants !
Ils les veulent ces gosses ! Ils ont payé comptant !
Ils ont les couilles en deuil et les ovaires sèches
Mais en veulent pourtant de la bonne chair fraiche.
Sûr qu’ils vont les aimer ces jolies têtes brunes
Sûr qu’ils vont les sortir de leur triste infortune
Mais en les arrachant au trou du cataclysme
Est-ce pour ces enfants ? Ou bien par égoïsme ?

Et pourtant… Et pourtant, le sort de ces enfants,
Bien que déracinés, est plutôt triomphant
Lorsque l’on le compare à l’horreur intrinsèque
De ces enfants esclaves appelés « restaveks ».
Pauvres parmi les pauvres, vendus par leurs parents
A des un peu moins pauvres ou bien au plus offrant
Dès l’âge de quatre ans. Ils sont bêtes de somme,
Domestiques gratuits, objets de baisodrome,
Esclaves sexuels, tristes souffre-douleurs
D’une société insensible à leurs pleurs.
Mal nourris, maltraités, mal logés, mal aimés
Les « restavek » sont là pour se taire et trimer,
Toujours premiers levés, toujours derniers couchés…
Toujours frotter, laver, astiquer, éplucher…
Leurs mains en sont usées, élimées et meurtries…
Leurs épaules voûtées, leur pauvre peau flétrie…
Et dans leurs yeux baissés se cache la souffrance
Qui accable toujours les êtres sans défense.
S’ils peuvent échapper à leur « famille d’accueil »
Leur liberté gagnée reste en trompe-l’œil :
Ils seront « kokorats » (parasites en créole) ;
Mendiants, gosses de rue, les gangs sont leur école.
Alors la compassion, la générosité
Envers ce peuple ami que la calamité
Vient une fois de plus de jeter dans le deuil
Les quelques sous sortis de notre portefeuilles
Seront enfin utiles aux enfants d’Haïti
Lorsque ces « traditions » seront anéanties.