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Billet de blog 9 avril 2020

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Shikseh, sous le soleil de Satan

CHOSES QUI GAGNENT A ETRE PEINTES, Sei Shonagon Un pin. La lande en automne. Un village dans la montagne. Un sentier dans la montagne. La grue. Le cerf. Un paysage d'hiver quand le froid est extrême. Un paysage d'été au plus fort de la chaleur.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

     Lorsque les attentats de Charlie ont eu lieu, j'étais isolée, cloitrée dans une petite maison de pierre plutôt froide, dans un village minuscule, à proximité d'un immense temple bouddhiste dans lequel j'avais d'abord effectué une retraite de deux semaines. Le mistral noir ne soufflait pas ce jour là. Mais mes larmes mirent du temps à se tarir.

Avec le mistral noir, on peut faire de très belle photos. Elles ont un éclat métallique, hostile, puissant. Il est presque inutile de les retoucher. J'étais alors amoureuse d'un journaliste italien vivant sous escorte. J'avais essayé de lire Tesson "Dans les forêts de Sibérie", mais en fait, le livre m'était tombé des mains. Il avait néanmoins eut le mérite de me faire connaitre Ernst Junger et son "Recours au forêt". Ma colère était aussi puérile que belle en ce temps là. L'homme que j'aimais était bien trop loin pour changer en quoi que ce soit ma nature. Et j'étais solitaire et indomptée.

C'est le confinement, an zéro de notre anthropologie du contemporain. L'homo sapiens est sur une mauvaise pente. Puisse les loups et les beluga se frayer à nouveau des routes partout où on ne passe plus. On dirait ton heure venue, Prométhée.

J'ai quitté V. hier matin. Il s'écoutait lire Casanova et corrigeait le fichier audio. Il était 7h30. La veille après des retrouvailles tièdes, il m'avait imposé "Fast and Furious" et puis m'avait baisé comme une chienne, bien violemment. Puis il s'était endormi. Alors je me suis mise sur lui, contre son dos tatoué. Il y avait ce poids entre nous, d'une chose palpitante et merveilleuse mais qui était morte. Son deuil terriblement dur, d'un silence impitoyable dans nos poitrines. Je l'ai léché. Consciencieusement, tout son dos. Puis on est reparti pour un dernier tour de manège. 

Et non je ne serai pas patiente. Dans le noir de la nuit, alors qu'on dormait chacun à une extrémité du matelas, je me suis souvenue : de la pandémie mondiale et de tout ce qui ne me liait plus à cet homme génial. Comme un feu éteint et noir. Je me suis blottie contre lui, je me sentais en coton et très faible. Il a été tendre. C'est quelqu'un de bien. Je jure que c'est quelqu'un de bien.

Il a tout fait pour nous sauver. C'est moi qui n'est pas su attendre.

Je ne me suis pas douchée. Je me suis maquillée, un peu. J'ai mis un joli collier. Puis je l'ai rejoint sur le lit. Il a lâché son mac. Il était confiant il n'a pas compris. "Il faut qu'on arrête".

Je lui ai dit que lui s'était trouvé dans notre histoire, mais que moi je m'étais perdue. Il m'a dit "tu as l'air plus mal et plus triste que moi. Je vais essayer de ne pas trop culpabiliser". Je n'ai pas relevé l'égoisme de ces remarques. Pour une fois, je n'ai pas mis ma casquette noire.

Et puis je suis partie.

L'air était pur et frais sur Chantilly. La lumière était d'or. Brillait le soleil de Satan.

Le monde te donne des coups. En plein plexus. Tous on paye l'addition de l'histoire. Mais les biches mettent bas, la vie continue. Quelle boussole quelle rose des vents imprévisible m'a fait quitter un homme que j'aimais? Une mauvaise pulsion de liberté ou mon authentique chemin?

Je peux toujours me retourner... Sur ces huit mois, cette passion folle. Le vent balaie mes cheveux... c'est ta voiture, la veille mercedes verte là-bas. Je peux toujours me retourner.

Mais pas revenir en arrière.

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