Un appareil photo, c'est lourd comme une arme. Ca fait partie de ces objets, comme les machines à écrire à d'autres époques et en d'autres temps, qui rassurent ceux qui ne croient pas en Dieu. C'est réel. Il est beau mon Olympus: son objectif Leica, son design juste, intemporel, viril presque.
Les deux endroits où j'irais lorsque le confinement sera fini? L'esplanade de la Défense, vers ses statues dominatrices près des tours. Là ou Babylone te dit qu'elle t'a écrasé depuis Jean de Patmos mais que tu as été sa victime consentante, à biberonner de la puissance à ses mamelles d'acier. Des dollars, de l'oubli, du porno et du mépris. Même tes fils et tes filles aux fronts purs. L'étoile était souillée. Elle saignait cet âge d'homme qu'ils n'atteindraient jamais. A se rêver sans vivre. Sur Tinder, sur Insta. Là où les idéaux virent à la boue stagnante mais où les Golems nés de nos désirs revêtent les formes des plus belles chimères, de putes aux yeux d'astres et de magiciens. J'irais prendre des photos. Ainsi, je me sentirai petite et vivante. Je ne revendiquerai rien et ne rêverai rien. Je porte autant que les autres les péchés de mes pères. Mais bouger et viser. Voilà ce que je veux. L'appareil dans mes mains, la lumière dans mes yeux et les ombres et les ombres
Le deuxième endroit est l'aéroport du Bourget. Le Musée de l'air et de l'espace. Jaguar, Rafale. Bitume et tour de contrôle. C'est plein d'espions dans le restaurant. Je les observe en sirotant un Martini Dry. Ils me trouvent suspecte parce que je suis seule et jeune. Je ne baisse pas les yeux. Mon grand-père a contribué à l'aventure de ces avions sur le tarmac brûlant. Permettez l'orgueil de classe. Il a même servi la France et pratiquer à une autre échelle le renseignement. C'était à New-York, dans les années 50. Je l'ai su après sa mort.
Ce sera un jour chaud de juillet. Peut-être celui de mon anniversaire. Le monde aura été mis à genoux mais dans l'azur sans tâche repartiront les avions de chasse. Alors je sais que leur puissance réchauffera ma poitrine, plus fort que tous les Martini dry de la terre. Et je saurai alors en cet instant qu'il était bon de survivre.

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