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Billet de blog 16 juin 2022

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La crise écologique est une crise de notre manière de vivre avec le monde (#1)

Les glaciers fondent, les forêts brûlent, les terres s'appauvrissent, les mers se vident, etc., les effets de la crise écologique se font de plus en plus ressentir et annoncent un avenir incertain. Cependant il nous conviendrait avant toute chose de renoncer aux lectures simplistes de cette crise, faute de quoi nous ne serons jamais à la hauteur qu'exige une telle situation.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Nous faisons actuellement face à un phénomène inédit. Jamais dans notre histoire, nous n’avons été confronté à une telle situation que celle que nous propose la crise écologique contemporaine. Déjà par son envergure, globale, nous menaçant tous dans nos existences. Deuxièmement par sa finalité, la mort en tant que telle avec la mise en danger des conditions mêmes pour notre survie. Et troisièmement par son imminence, plus proche que jamais et même déjà visible. En somme nous nous trouvons collectivement au seuil d’un péril majeur ayant la potentialité de compromettre tout avenir sur Terre.

Cependant avant même de chercher à répondre à cette crise, il convient de comprendre en quoi elle consiste car sans avoir une connaissance claire de ses origines et de ses enjeux, il sera impossible de lui apporter une solution appropriée. Or il se trouve justement que la crise écologique, malgré sa réalité de plus en plus admise, fait toujours l’objet de mécompréhensions. Trop souvent elle se trouve réduite dans le langage commun à une simple crise environnementale mettant en jeu des problématiques de pollutions et de réchauffement climatique. Tant bien qu’il là s’agit d’affaires sérieuses, celles-ci ne sont que des symptômes qui ne révèlent en rien le fond de cette crise au mal beaucoup plus profond. En effet la crise écologique ne s’apparente pas à une quelconque crise dans la gestion de certaines ressources dont il conviendrait d’en mesurer les quantités utilisables et en respecter les limites. Sa résolution ne passe donc pas par de seules améliorations au niveau du recyclage des déchets ou des émissions de gaz à effet de serre. Tout comme nous sommes actuellement entrain de détruire la planète à l’aide des énergies fossiles, nous serions très certainement pleinement capable d’en faire autant avec n’importe quel autre moyen. La crise écologique ne saurait se résoudre par un simple changement de technologie, elle est au contraire un problème de fins et non de moyens et plus précisément un problème dans les fins que l’on attribue à l’usage de la technologie.

Dans le fond cette crise est écologique et, comme son étymologie le sous-entend, a trait à la vie même. Elle est en ce sens non pas une crise de la gestion des ressources dont nous disposons mais bien plutôt des relations que nous tissons avec les personnes que nous rencontrons. C’est d’ailleurs parce qu’elle met en danger la pérennité de la vie sur Terre et non pas uniquement le renouvellement des matières premières que cette crise nous apparait comme un péril majeur. L’un et l’autre, le vivant et les matières premières, sont évidement liés par une certaine interdépendance, voire même parfois entremêlés – la vie ne pouvant se développer qu’à partir de l’incorporation organique de certaines ressources et inversement les matières premières ne pouvant pour certaines se renouveler que grâce au dépérissement des êtres biologiques –, cependant c’est bien la menace qui pèse sur le premier, le vivant, qui fait de la situation actuelle une crise. C’est du fait du risque de l’élimination de toutes entités conscientes, de toute entités dotées de valeurs, de préférences et d’aversions, autrement dit de toutes entités capables de poser ses propres fins, que la crise écologique est bel et bien une crise. Au contraire dans un monde purement matériel et dénué de toute vie, l’élimination d’une quelconque ressource ne saurait apparaitre comme une crise. Celle-ci n’a de pertinence que pour celui qui la vie et est capable de la définir comme telle par analogie aux circonstances mêmes de son existence. Mais en plus de son caractère inextricablement biologique, une crise, en tant qu’événement caractérisé par l’expérience de sa propre disparition, ne correspond pas à n’importe quelle destruction de la vie. Plutôt elle s’apparente à une destruction causée par la vie elle-même sous les effets de sa propre action. Et si toute existence biologique n’est qu’éphémère, la crise se distingue justement de la mort qui, en tant qu’autre forme de dépérissement du vivant, correspond à l’inverse à un événement inévitable et indépendant de toute volonté. La crise écologique est ainsi l’élimination faite par l’homme lui-même des conditions nécessaires à la survie et donc la destruction de lui-même, de l’humanité plus particulièrement et de l’ensemble des êtres vivants de manière universelle.

La crise écologique doit alors se comprendre comme une crise du vivre avec le monde, expression révélant de manière plus claire la réalité de ce à quoi correspond l’existence humaine. Derrière une telle définition, il devient possible de mieux saisir les tenants et les aboutissants de cette crise et ainsi en prendre sa juste mesure. Premièrement nous ne nous trouvons ni soumis à un ordre naturel réglé suivant un ensemble de lois cosmologiques, ni ne nous trouvons à l’extérieur d’un univers que nous cherchons à dominer et construire selon nos desseins. Mais nous sommes dans le monde, comme partie prenante de lui où nos actions l’impactent tout autant qu’il nous impacte en retour. Nous ne sommes ni des esclaves ni des architectes de ce monde mais plutôt ses acteurs. Deuxièmement nous n’effectuons ni des actions telles des moyens mis en place en vue de certaines fins déjà établies, ni n’instaurons des fins préalablement à toutes nos entreprises. Mais nous vivons dans le sens où nos actes et nos pensées constituent une praxis au cours de laquelle nous posons nos propres fins en même temps que nous déployons nos moyens. Nous ne sommes ni des être pensant ni des êtres agissant mais bien des êtres vivants. Et troisièmement nous ne faisons pas que simplement habiter un environnement strictement objectif, composé uniquement de matière inerte. Mais nous évoluons au sein d’un milieu intersubjectif, avec un monde peuplé d’une multitude d’êtres vivants. Nous ne sommes ni amenés à nous conformer à notre monde, ni à le transformer mais alors à y évoluer en n’y nouant des relations avec l’ensemble des vivants qui le composent. Dès lors cela permet d’expliquer que si nous expérimentons une période de crise sans précédent ce n’est pas la conséquence de quelques unes des technologies que nous employons mais bien parce que l’ensemble de nos vies sont prises dans un prisme destructeur nous conduisant sans cesse à chercher à transformer le monde selon des plans que nous créons. Et la résolution de cette situation ne saurait être atteinte par une simple modification des moyens dont nous usons mais bien par une totale révision de notre manière de vivre, avec l’institution de fins plus harmonieuses devant nous permettre d’évoluer symbiotiquement avec notre monde.

L’organisme-environnement

Le paradigme traditionnelle possède une vision dichotomique, mais trompeuse, de la réalité creusant un écart profond entre l’homme et le reste du monde. Ce biais conduit alors à faire apparaitre l’être humain et son environnement comme deux entités totalement distinctes réunies par simple accident. Ainsi l’homme serait un individu monadique jeté dans un monde prenant les traits d’un environnement hostile. Présentée sous cet angle, notre existence s’apparenterait alors à un véritable défis où nous devrions sans cesse chercher à dompter notre environnement afin de s’assurer les conditions pour une vie convenable. Autrement dit nous serions en fait pris dans une entreprise prométhéenne visant, tel un architecte, à transformer de fond en comble notre monde.

Pour autant une telle perception du rapport omet la réalité du monde qui, loin d’être fracturé, correspondant en fait à un grand tout. En ce sens l’homme n’est pas une pure monade indépendante mais voit son être s’étendre bien au-delà de son enveloppe corporelle pour se lier de manière inextricable – peut être pas charnelle mais tout du moins sensible – avec son environnement. Nous devons dès lors nous comprendre de manière élargie, non pas comme de stricts individus, mais comme des organismes-environnements formant la structure même de son monde. Plus précisément c’est la perception, cet échange sensible entre nous organisme et notre environnement, qui marque l’étendue de notre monde. Mais alors si l’homme n’est pas extérieur a son environnement mais vivant bien dans le monde, il n’est non plus pas un Dieu devant transformer le monde en vue de créer de manière ex nihilo l’environnement de ses rêves. En réalité, pris dans le monde, nous sommes déjà et toujours façonnés par notre environnement alors même que nous le façonnons aussi. Ce qu’il nous faut comprendre par là, c’est que si le monde n’est certes pas un ordre immuable mais une œuvre naturelle entrain de se faire, l’homme en est à la fois l’un des artistes et l’un de ses éléments. Autrement dit nous sommes des acteurs du monde participant continuellement à son développement.

Contrairement à ce que laisse donc croire la pensée moderne, notre manière d’être au monde ne doit pas se comprendre sur le mode dualiste de la transformation mais sur le mode holiste du métabolisme. Nous ne bâtissons pas notre environnement à partir d’une projection intellectuelle qui ferait table rase de ce qui existe déjà afin de créer un espace vierge nécessaire à la réalisation des desseins de l’esprit, mais nous bâtissons notre environnement et nous-même au cours d’un processus où notre imaginaire modelé par la réalité très concrète permet d’enrichir nos existence ainsi que le milieu que nous habitons déjà.

La praxis vivante

En conséquence de la dichotomie traditionnellement admise entre l’homme et l’environnement, l’existence humaine est fallacieusement décrite de manière trompeuse à partir d’une séparation entre ce qui relèverait de nos pensées et ce qui relèverait de nos actes. Cela revient à différencier la pensée de l’agir, retranscrivant cette distinction entre les fins et les moyens. C’est-à-dire avec des pensées posant des fins et des actions usant de moyens. Cette conception moderne de la praxis a conduit à diffuser l’idée d’un être humain comme étant avant tout un être intellectuel se caractérisant par sa capacité à établir ses propres fins. Et cela à l’inverse de l’ensemble des autres êtres, inertes ou animés, qui serait uniquement capables d’agir, constituant alors de simples moyens à la disposition des hommes.

Cependant une telle conception de l’existence est réductrice tant pour les hommes que pour l’ensemble des autres êtres vivants. D’une part renvoyer tous les êtres non-humains dans le vaste champ des entités dénuées de conscience revient à négliger à ces autres êtres vivants leur capacité pourtant bien réelle de ressentir et de percevoir leur monde et d’y évoluer en fonction. En soit, contrairement aux idées reçues, tous les êtres vivants, justement parce qu’ils vivent, se trouvent capable de poser des fins. C’est là la caractéristique propre de la vie, celle de parvenir à dépasser le stade de seul moyen à la disposition du monde pour devenir par soi-même une fin pouvant user à son profit de son monde. Et s’il existe assurément des différences notables entre ce que l’on distingue être des espèces différentes, nous ne pouvons pas aller à l’encontre de cette évidence que toute entité vivante, quelque soit la forme de sa conscience, se trouve dans une certaine mesure en capacité de définir ses propres fins. D’autre part faire de l’homme un être se caractérisant avant tout par ses dispositions intellectuelles renvient à nier la liaison inextricable entre le pensée et l’agir, correspondant à deux faces d’une même pièce. En réalité la pensée et l’agir ne renvoient pas respectivement aux fins et aux moyens, la première comme intellection élaborant des projets de façon détachée du monde sensible et la seconde comme mise en pratique ancrée dans le monde matériel. C’est ce biais là qui a conduit à concevoir la manière d’être de l’homme sur le mode de la transformation. Plutôt la pensée et l’action se différencient par le fait qu’elles se rattachent aux caractères invisibles et visibles de notre praxis, la pensée comme ce qui se passe à l’intérieur du corps à l’abri des regards tandis que l’action comme ce qui se déroule à l’extérieur du corps exposé aux yeux de tous. Ainsi, même si penser et agir sont bien différents, ce sont en fait deux dimensions communes de l’existence participant à la détermination des fins. Je pense, donc je suis, mais je fais, et je suis tout autant.

A l’encontre des opinions fausses en circulation, il convient de comprendre l’existence humaine, mais aussi celles de tous les autres êtres vivants, comme une praxis complète où nous agissons par notre pensée tout autant que nous pensons par nos actes. C’est donc de cette manière particulière d’être au monde qu’est la vie qu’il nous est possible à nous êtres vivants de poser nos fins dans le cours même de l’usage de nos moyens. En sommes nous, existants, sommes des êtres vivants qui bâtissons, et non pas transformons, notre monde.

La toile relationnelle

Si la manière d’être de l’homme se comprend comme une participation à l’édification d’un monde dans lequel il se trouve déjà inclus et que cette praxis ne lui est en fait pas exclusive mais est partagée par l’ensemble des êtres vivants, il convient alors d’abandonner une dernière vision erronée que nous avons de nos existence dans le monde. A savoir celle que nous vivrions dans un monde d’objets dans lequel nous serions les uniques sujets. C’est là la réduction de l’environnement à un simple agrégat de ressource à notre libre disposition. La discussion éthique se réduirait ainsi au seul discours sur la gestion de notre environnement selon nos désirs.

Mais encore une fois une telle approche est incorrecte tant elle diminue la réalité même du monde. Celui-ci n’est pas un vaste champ objectif dans lequel l’homme évolue au gré de ses souhaits. Il se trouve plutôt être un milieu bien plus complexe habité par une multitude de sujets aux formes variées. C’est là la reconnaissance essentielle de l’autre, non pas comme simple substrat matériel, mais comme un autre soi qui n’est pourtant pas soi-même. C’est-à-dire comme un autre être capable de poser par lui-même ses propres fins. Le monde est donc intersubjectif. En ce sens la subjectivité n’est pas simple mais plurielle, impliquant que notre existence n’est jamais isolée. Nous devons ainsi prendre en compte que si dans notre perspective personnelle nous sommes des organismes au sein d’un environnement, dans la perspective d’autrui nous sommes à l’inverse des éléments de l’environnement d’autres organismes. Le monde dans lequel nous vivons est donc avant tout et surtout un monde vivant. Notre existence ne nous amène pas simplement à devoir gérer des ressources inertes mais, du fait de l’existence parallèle à la notre d’une grande diversité d’autres être vivant, nous conduit à tisser des relations avec d’autres êtres vivants. Ainsi dès que nous déployons nos moyens, nous entrons en relations avec des personnes, humaines et non-humaines, avec lesquelles nous sommes en intercompréhension et en interaction en vue de l’accomplissement de certaines fins. Il en découle alors que l’éthique, la conduite que nous adoptons en vue de satisfaire nos fins, ne peut pas être le seul fruit de nos désirs mais, considérant l’existence d’autrui, ne peut passer que par le dialogue. Il en ressort une éthique écologique proposant des moyens communs issus d’une quête de conciliation des intérêts de tous.

Nous sommes donc toujours en relation avec le monde. En tant que tout organique mais multiple – formant une toile relationnelle – son organisation relève ainsi du domaine de la politique. Cependant la véritable politique écologique n’est pas celle d’un monarque gouvernant un ensemble de sujets mais celle d’une multitude s’organisant par elle-même. Ce n’est pas là faire de l’ensemble des être vivants des égaux devant coexister pacifiquement mais simplement redonner une place et la parole à l’ensemble du vivant au sein d’une démocratie allant au-delà de l’humain. Le vivre ensemble auquel nous participons inévitablement se doit de prendre la forme d’une écocratie faisant la part belle au respect des relations se nouant entre les personnes humaines et non-humaines vivant dans le monde.

Enoncée comme une crise du vivre avec le monde, la crise écologique peut ainsi être comprise dans toute son ampleur. Elle n’est pas une simple crise environnementale remettant juste en question notre manière d’user des ressources strictement matérielles dont nous disposons. C’est là une compréhension bien minimale et malheureusement trompeuse. Plutôt la crise écologique est une crise globale de la vie allant jusqu’à remettre en question les fins que nous posons vis-à-vis de la nécessité de prendre en compte l’existence d’autrui. Si nous expérimentons à l’heure actuelle une période de crise sans précédent, c’est donc parce que, aveuglés par une lecture limitée de la réalité, nous ne cessons de nous prendre pour des êtres extraordinaires appelés à transformer notre environnement selon les plans de nos désirs élaborés dans nos esprits. Une telle approche de l’existence nous conduit à rompre progressivement tous les liens qui nous unissent avec notre environnement. L’homme devient peu à peu une stricte monade intellectuelle, un cogito abstrait, tandis que l’environnement devient quant à lui un pur objet matériel dénué de toute sensibilité. Mais grâce à cette explication alternative de la crise écologique comme une crise du vivre avec le monde, notre existence se trouve éclairée d’une lumière nouvelle comme étant intrinsèquement liée avec notre environnement. En réalité nous sommes des êtres humains évoluant au sein d’un environnement intersubjectif dont nous participons au développement en collaboration avec l’ensemble des autres êtres vivants qui y sont présents. Fort de cette compréhension nouvelle, il devient alors possible d’entrevoir une possible voie pour la résolution de cette crise écologique qui nous frappe.

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