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Billet de blog 17 octobre 2010

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La République des Ombres 7

7 Et pense à moi souvent, toi qui va demeurer dans la beauté des choses...En 1978, paraît le livre de Gilles Perrault, le Pull-over rouge et son retentissement est à la mesure de ce qu'il révèle. Tout à coup, n'importe quel citoyen peut pénétrer au coeur du mécanisme des procédures criminelles et apercevoir ce que signifie le système inquisitoire. Christian Ranucci a été placé en garde-à-vue à 18 heures, il a passé des aveux à14 heures le lendemain. Il a été présenté à Madame Ilda Di Marino, juge d'instruction à 18 heures et a réitéré devant elle ses aveux, ayant accepté de ne pas être assisté d'un avocat. Il a été inculpé à 19 heures. Il est réentendu le lendemain dans la matinée - en violation du code de procédure pénale puisqu'il ne lui est pas demandé s'il souhaite la présence d'un avocat - par cette même juge d'instruction qui est décidément très pressée, et n'a pu avoir un entretien avec un avocat qu'une fois toute cette machinerie enclenchée.

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7 Et pense à moi souvent, toi qui va demeurer dans la beauté des choses...

En 1978, paraît le livre de Gilles Perrault, le Pull-over rouge et son retentissement est à la mesure de ce qu'il révèle. Tout à coup, n'importe quel citoyen peut pénétrer au coeur du mécanisme des procédures criminelles et apercevoir ce que signifie le système inquisitoire. Christian Ranucci a été placé en garde-à-vue à 18 heures, il a passé des aveux à14 heures le lendemain. Il a été présenté à Madame Ilda Di Marino, juge d'instruction à 18 heures et a réitéré devant elle ses aveux, ayant accepté de ne pas être assisté d'un avocat. Il a été inculpé à 19 heures. Il est réentendu le lendemain dans la matinée - en violation du code de procédure pénale puisqu'il ne lui est pas demandé s'il souhaite la présence d'un avocat - par cette même juge d'instruction qui est décidément très pressée, et n'a pu avoir un entretien avec un avocat qu'une fois toute cette machinerie enclenchée.

Une reconstitution a lieu 15 jours après et Christian Ranucci sera convoquée par la juge d'instruction encore trois fois en tout et pour tout, et pour la dernière, celle qui scelle son destin, ce sera sans la présence d'un avocat. Il verra une fois le remplaçant de Mme Di Marino, le juge Michel qui souhaitait tout reprendre mais en a été empêché par le parquet de Marseille. La lettre qui suivra demeurera ainsi sans réponse.

En réalité tout est fondé sur les aveux obtenus lors de la garde-à-vue. Le reste de l'instruction n'a consisté - en violation du code de procédure pénale - qu'à étayer l'édifice qui en résulte et s'il venait à surgir des contradictions, faire en sorte qu'elles ne puissent apparaître. Le procès d'assises a consisté à s'agripper aux aveux pour balayer tout ce qui pouvait faire question et, dans un climat de lynchage, donner à la foule le sang dont elle désirait se repaître...

Or le livre met brutalement à jour que les aveux sont fort loin d'éliminer les contradictions et les mystères que le dossier contient. Il apparaît que la condamnation à mort n'a pas été obtenue dans des conditions dignes d'une démocratie. Et la question soudain claque : Christian Ranucci a été exécuté le 28 juillet 1976 à 4 heures 12 du matin. Était-il coupable ou innocent ? Le moindre doute aurait dû arrêter le geste des jurés, il n'en a rien été. Le moindre doute aurait dû arrêter la main de la Cour de cassation, elle a refusé de casser le jugement en violation de la loi d'ailleurs - peu importe. Le moindre doute aurait dû arrêter la main du Conseil Supérieur de la Magistrature, il n'en a rien été. Le moindre doute aurait dû arrêter la main du bourreau par la grâce du Président de la République, mais celui-ci s'est appuyé sur les fautes et les erreurs des précédents pour déclencher le couteau de la guillotine.

Ah certes, ce livre a permis que soit refermé une fois pour toute l'usage de la peine de mort en France et plus personne n'a été exécuté après sa parution. L'on faisait remarquer le tableau de chasse du président de la République : Ranuci, Carrein, Djandoubi... : un fou, un unijambiste et un homme qui était peut-être innocent... Mais la stupeur que cette révélation a provoqué sur la faiblesse de l'institution judiciaire n'a pas été suffisante pour qu'un terme soit mis à tout le reste : ces petites entorses successives que l'on fait au droit, à la vérité, à la précision, tout cela perdure aujourd'hui encore et les erreurs judiciaires existent toujours... Et toujours existe cette volonté de les nier, de les recouvrir, de faire sien le refus de toute logique ou de tout raisonnement.


Cependant, l'idée était là, que ce livre était venu impulser, il n'y avait d'autre cause que celle de mettre à jour la vérité. La vengeance ou la punition n'ont pas de place, seule compte le dévoilement de cet enchaînement, connaître comment cette catastrophe a pu se produire. Et voici comment quelques personnes se sont entraidées pour découvrir le fin fond de la vérité...

"Cette haine, ces colères, cette phrase terrible du Président [Antona] adressée à mon fils - "Les parents de la jeune victime pleurent leur fille morte, votre mère ne pleure que son fils vivant"-, ces mots dits pour briser nos cœurs Mon fils de vingt ans, qui vivait l'enfer, ne pouvait avoir un comportement calme devant tant de fureur." Héloïse Mathon (Christian Ranucci 20 ans après)

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