Une image trompeuse
Rien n'est plus étonnant que de constater comment agit sur soi le prisme déformant de la presse et du journalisme. L'institution judiciaire n'a pas son pareil pour bâtir un théâtre où se mêle l'artifice et la vérité au point qu'on finirait par les confondre. La presse a ce défaut qu'elle se laisserait attirer par la splendeur des artifices quand la vérité ne semble pas sur le moment présentable. Et plus l'artifice paraît, plus le tourbillon s'enroule autour.
Lorsque survient l'affaire Ranucci, Giscard fête encore en juin 1974 ses nouveaux habits de président et passe encore pour un libéral qui abaissera bientôt l'âge de voter de 21 à 18 ans, instituera le divorce par consentement mutuel, le droit pour les femmes de disposer de leur corps et le droit pour les parlementaires de l'opposition de saisir le conseil constitutionnel. L'on découvre le chômage et la relance qui ne sert à rien, le tunnel de la crise du pétrole, les grandes surfaces qui font bouffer de la société de consommation à n'en plus voir le bout et bientôt la première chaîne de télévision sera en couleurs. Pierre Mendès-France est encore parmi nous pour rappeler ce qu'aurait pu être la république entre des mains probes. Dans la région de Marseille, cela figure sans doute un petit cataclysme, le meurtre sauvage d'une enfant de 8 ans. Aussitôt on a arrêté un jeune homme et l'on sait seulement qu'il a avoué. C'est donc lui puisqu'il le reconnaît. Et pourquoi devrait-on en douter... Ailleurs, ce n'est qu'un nom bientôt disparu sous l'écorce de déclarations fracassantes, où le Garde des sceaux Lecanuet en rivalise avec Poniatowski, le ministre de la guerre intérieure, je veux dire de la police. Le temps estompe le nom de Christian Ranucci. À l'instant où le procès s'ouvre en mars 1976, rien ne transparaît de son visage. Tout est si simple, la presse colporte à l'envie qu'il est coupable d'avoir enlevé une fillette de 8 ans et de l'avoir tué par désir sans doute. Il est vrai que l'on a recouvert son être du linceul d'autres crimes, celui de Troyes.
http://www.ina.fr/economie-et-societe/justice-et-faits-divers/video/CAB7600368601/proces-ranucci.fr.html
Il semble pour les journalistes qu'il convient en s'en défendant de reporter tout meurtre d'enfant sur lui, qui n'est plus qu'un nom et rien d'autre... Ranucci est coupable, il avait trop bu, ses aveux sont précis et circonstanciés, il n'est pas fou mais sa sexualité est hésitante et sa mère possessive au-delà de toute raison...