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Billet de blog 26 décembre 2010

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La République des Ombres 13

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À la recherche du père...

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Forum Ranucci, Peut-on douter ?

a ceci de pénétrant qu'il soulève des pans de vie qu'on ne reconnaissait pas, un album de parfums lointains.

Christian avait vécu à Voiron où sa mère tenait un bar "le Rio-bravo", avant qu'elle ne décide de changer pour s'installer à Nice et devienne propriétaire d'un petit appartement dans la Cité des Floralies. Le jeune homme ayant devancé l'appel, l'armée l'avait affecté au régiment de Wittlich en Allemagne. Là, il avait croisé un certain Alain Rabineau qu'une bonne âme est venu rencontrer il y a quelques années pour un échange libre d'où il est résulté cette interview :

Rencontre avec Alain Rabineau

Comme ils habitaient tous les deux à Nice, Alain Rabineau a noué une relation d'appelés avec Christian Ranucci, sans être véritablement son ami pourtant. Christian était d'un naturel discret et ne livrait peu de choses de sa vie, simplement reconnaître qu'il aimait sa mère pour l'intensité de ce qu'elle représentait pour lui. Parfois il se retirait pour lui écrire, subrepticement en adresser d'autres à ses amies de cœur... Il ne disait rien de sa vie amoureuse, rien de ses rencontres. Alain Rabineau se remémore avec acuité cette scène, lorsque Christian Ranucci s'était enfermé dans les toilettes d'un café. Une telle éternité avait semblé passer que le barman était venu défoncer la porte découvrir le jeune homme perdu dans ses pensées. De cette image particulière, il voudrait en conclure que son compagnon d'armée possédait en lui une fragilité d'esprit par laquelle on apercevait comment il avait pu devenir assassin. Cependant, comment concevoir que ces jeunes hommes de 20 ans qui se replient sur la fulgurance de leurs émois de temps à autre pour s'isoler du chaos et préservent des secrets enfouis au fond d'eux-mêmes , seraient susceptibles de se muer en tueurs d'enfants ? Les souvenirs d'Alain Rabineau ne désignent nul signe sinon les suites communes de la grisaille de l'enfermement qu'ils ont vécu et qui ressemblait à tant d'autres... En vérité, Christian Ranucci gardait tous ses secrets, il avait connu le monde avant de se trouver enrôlé à Wittlich, et l'insouciance l'horripilait sans doute parfois.

Lorsqu'il est retourné à Nice au mois d'avril, il a repris sa mobylette et s'est accordé quelques jours de vacances avant de partir rechercher un emploi. On lui a proposé de continuer ses études, mais il ne l'a pas souhaité, ayant conscience que sa mère était fatiguée et qu'il convenait maintenant de gagner sa vie.

Il a trouvé assez rapidement du travail dans une entreprise de climatisation comme représentant.

Un jour de pluie, au début du mois d'avril, la mobylette a glissé alors qu'il remontait la côte des Floralies et Christian s'est blessé à la tête, sa mère se souvenait que son visage était en sang, et son pantalon s'est déchiré, taché... C'est du moins ce que remémore Madame Mathon, car bien entendu, rien de tout cela n'intéressa l'enquête.

Depuis, le pantalon bleu se trouvait remisé au garage attendant l'occasion d'une réparation pour servir de vêtement de travail. Ce garage devait bientôt accueillir la voiture que sa mère avait décidé de lui offrir pour ses vingt-ans, un coupé Peugeot 304 gris qu'il avait choisi lui-même.

Alain Rabineau marqua sa surprise, car Christian le croisant dans Nice lui a annoncé qu'il souhaitait se rendre à Marseille et lui a proposé de l'accompagner avec une surprenante insistance. Quand Alain à refusé, Christian a montré du désappointement.

C'était une marque de confiance d'une grande valeur qu'il attribuait à son ami, ce qu'il n'a pu apercevoir...

Christian avait décidé de partir à la recherche de son père qu'il n'avait pas vu depuis sa plus petite enfance, l'ayant laissé s'éloigner dans les limbes du souvenir.

Sans doute cette aventure devait elle paraître tout autant envoûtante qu'angoissante, à ce point qu'il n'avait pu rien en dire à quiconque. Il espérait sans doute conquérir avec son charme ces compréhensions muettes qui désignent une véritable complicité, une attention dont M. Rabineau était à nul doute bien incapable à cette époque.

Avec lui, durant le séjour à Wittlich, Christian avait pu évoquer sa mère, le fait qu'elle gagnait sa vie difficilement en gardant des enfants, mais jamais il ne fut question de son père.

Il avait caché le but véritable de son périple, à nul doute.

Cependant, quand il a proposé à sa mère de l'accompagner, comme il l'avait fait avec l'ami Rabineau, c'était cette fois une manière de trouver un prétexte d'effacer son projet, de résister à ce qui lui donnait pourtant ce désir fulgurant. Il serait parti en promenade avec elle et l'image de son père se serait estompée, auraient-ils visité l'arrière pays niçois, Saint-Paul de Vence... Elle a refusé de l'accompagner, arguant qu'il conduisait trop vite et se faisant a scellé sans le savoir son destin.

Posséder une voiture, c'était se donner la force et la puissance de réaliser sa quête. S'attribuer une tentation vibrante cependant, comme celle de retrouver celui à qui l'on doit la vie après temps de temps, fait se consumer l'esprit en de terribles conjectures.

Il n'avait d'autre raison impérieuse de choisir Marseille, sinon d'entreprendre de gagner Allauch et retrouver la maison de son père.

Cette relation des faits que nous accorde M. Rabineau, survenue des années après, éclaire cette curieuse insistance de Christian et conforte cette hypothèse. Car bien sûr personne n'a songé à lui poser cette question, alors qu'il était emprisonné, et son voyage fut présenté fallacieusement comme une chose naturelle, un périple sans objet ni escales, n'ayant pour l'accusation d'autre motif que celui de le transformer en ogre, par sorcellerie.

On ne saurait pourtant concevoir pareille métamorphose, il n'existe aucun signe d'une attirance particulière pour les enfants, surtout pas ceux qu'il côtoyait tous les jours au domicile des Floralies.

S'il se dirigeait vers Marseille, c'est qu'il venait chercher quelque chose d'important à ses yeux, réaliser sa lignée, connaître enfin celui qui lui attribuait son nom. Ça et là, a-t-il laissé quelques rares réminiscences, presque invisibles à qui ne prête attention.

L'on pouvait deviner, aussitôt que l'on se donnait la peine de fouiller un peu le mystère de ses déclarations, qu'il était parti pour cette cause insurmontable...

Il est parti seul, prenant la voiture pour la première fois. Il a tout d'abord fait route vers Salernes, où il avait passé les plus beaux étés de sa vie avec Monique, ses vacances d'enfant. Il y a croisé des touristes allemands avec lesquels il a échangé des impressions, sans doute évoqua-t-il Wittlich, quelques mots d'allemand.

Il a repris la route et il est entré dans Marseille le soir du dimanche 2 juin...

Il était peut-être vingt-heures du côté du quartier de la Rose, un chien est passé juste devant ses roues et s'est projeté contre la carrosserie. M. Moussy s'est présenté, il a proposé de témoigner en sa faveur pour le cas où Christian constaterait des dégâts sur sa carrosserie. Il voulait bien attester que le chien s'était précipité sur la route, qu'il ne pouvait dans cette situation manquer de le heurter. Il a bien aimablement laissé son nom et son adresse sur un bout de papier que Christian a rangé dans son portefeuille.

Parvenu jusqu'au centre de Marseille, Christian s'est garé dans le quartier de l'Opéra. Vers neuf heures le soir, il a entrepris d'écumer les bars, boire à n'en plus finir, ces sortes de dérives que l'on pratique lors des sorties à Wittlich, pour tromper l'atonie du soir. Il a bu, pour surmonter l'angoisse qui le tenaillait à l'idée de revoir Jean Ranucci. Il a erré toute la nuit sans dormir, jusqu'au petit matin, de bars en bars.

L'enquête ne s'y intéressa pas, les procès-verbaux de ses interrogatoires signalaient qu'il avait dormi à Salernes, non pas qu'il se trouvait à Marseille, l'instruction s'en contenta.

"Vers vingt heures, je pars en suivant la nationale qui me conduit jusqu'à Aix-en-Provence. J'y effectue juste une halte, pour faire refroidir le moteur, car il est tard et il me faudra encore une heure de trajet avant de trouver un bar-restaurant ouvert vers le Vieux-Port ou l'Opéra à Marseille. J'ai passé toute la nuit dans ce quartier. Je suis un buveur d'eau minérale, de thé et de boisson non alcoolisée, mais il m'arrive parfois, et rarement, de boire en une seule nuit ce qu'un français moyen boit en trois ou quatre semaines. Ce fut le cas ce soir-là où j'ai veillé toute la nuit de dimanche."

Christian Ranucci, "Récapitulatif", Mai 1976

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