Il est temps de relever la tête. De marcher à nouveau, non plus au pas compté des résignés, mais avec la ferveur de celles et ceux qui refusent l’assignation au déclin, celles et ceux qui refusent d’être les figurants d’une tragédie écrite sans eux. Partis, citoyens de gauche, il est temps de faire à nouveau bruisser les drapeaux de l'espérance dans le vent lourd de ce siècle tourmenté. Depuis trop longtemps, la gauche assiste, silencieuse, à l'effondrement de son propre imaginaire. L’extrême droite impose la peur, le repli, la haine, et tisse patiemment sa toile sur nos esprits fatigués. Pendant que l'argent-roi infiltre nos existences jusqu’au cœur de nos désirs, nous avons laissé s’éroder ce que nous avions de plus précieux : notre capacité à ouvrir des horizons, à porter des promesses, à faire naître des commencements là où l’on voulait ne voir que des fins.
La bataille est d’abord culturelle. Elle se livre dans l’arène invisible des mots et des symboles. Elle se joue dans les récits que nous laissons triompher. Celui qui impose son récit impose aussi son monde. Nous devons être les conteurs d’un autre monde. Opposer à la fable du chacun pour soi la promesse du nous. Opposer à la mythologie du marché la puissance du commun. Car changer la vie, ce n’est pas seulement changer les lois : c’est aussi changer l’imaginaire qui les rend possibles.
Dans ce rapport de forces, déjà déséquilibré par la concentration des médias, l’union de la gauche n’est pas un artifice de circonstances, ni un arrangement d’appareils, elle est une nécessité absolue et historique. Nous restons convaincus que, derrière nos divergences parfois réelles, souvent fabriquées, palpite toujours un même cœur, un socle vivant, celui de la justice sociale, de la dignité humaine, de la foi en un avenir qui ne serait pas réservé aux puissants. Plus que tout, nous portons l’immense promesse d’une vie meilleure pour tous.
Nous sommes les héritiers d’une histoire indomptée. Nous venons des grèves, des résistances invisibles et des victoires arrachées de haute lutte. Nous sommes toutes ces voix anonymes qui, depuis des siècles, refusent de plier devant l'injustice érigée en loi. Nous sommes le peuple des lendemains qui chantent encore, même sous la rouille des désillusions car nous sommes aussi les héritiers des révoltes inachevées, des révolutions promises et trahies.
Aujourd'hui, il ne suffit plus de se souvenir ou de témoigner. Il nous faut rebâtir un projet commun, refuser de gérer les ruines, réinventer une espérance à hauteur d’humanité.
Il nous faut conjuguer la justice sociale et l'urgence écologique, l'émancipation collective et la liberté individuelle, sans jamais opposer fin du mois et fin du monde.
Au fond, notre combat est clair. Nous affirmons que l'écologie n'est pas un supplément d'âme pour des consciences apaisées, mais le socle vital de notre humanité commune. Elle n'est ni le luxe des nantis, ni le vernis des puissants, vulgaire argument de communication pour gouvernements frileux et multinationales voraces. Elle est notre horizon de survie. De même, la justice sociale n'est pas un geste de charité, c’est le cœur battant du projet de la gauche comme la condition même pour que la transition écologique ne soit pas une machine à broyer les plus précaires. Elle est la voix des invisibles, la main tendue vers ceux que le système épuise, la promesse qu'aucun ne sera abandonné sur le bord du chemin.
Nous dénonçons l'écologie d'affichage, les fausses promesses vertes qui masquent la persistance d'un modèle prédateur mais nous refusons aussi l'écologie punitive qui culpabilise les plus modestes pendant que les ultra-riches détruisent l'habitabilité de la planète sans jamais être inquiétés. Nous refusons le social sans horizon, simple pansement sur les plaies ouvertes par le capitalisme sauvage.
L’écologie sans le social n’est qu'une écologie punitive. Le social sans l’écologie n’est qu’un palliatif temporaire.
Nous voulons les deux, ensemble : une vie digne pour chacun, dans un monde vivable pour tous.
La gauche doit se ressaisir. Elle n’est pas née pour administrer l’ordre existant, mais pour le subvertir au nom de l’égalité. Elle n’est pas née pour s’excuser d’être là, mais pour proposer d’autres chemins, d’autres rêves, d’autres façons d’habiter ensemble notre planète. Tisser des liens là où d'autres dressent des murs. Entre les êtres, les territoires, les générations. Entre mémoire et espoir. C’est ce monde commun qu’il nous faut recréer, ensemble.
Car, ce que détruit le néo-libéralisme depuis quarante ans, ce ne sont pas seulement des droits sociaux ou des services publics, c’est la capacité des individus à faire société. Le capitalisme contemporain, financiarisé, algorithmique, a fait des ravages dans nos paysages intimes autant que dans nos territoires. Il a remplacé le lien par le contrat, l’engagement par l’intérêt, la communauté par la marque.
Dans ce monde désossé, chacun est sommé de se débrouiller seul. Les pauvres sont coupables de leur pauvreté, les précaires responsables de leur instabilité, les jeunes abandonnés à une compétition permanente sans horizon collectif. La solidarité est reléguée au domaine privé, à la charité résiduelle. L'État se retire, au nom de la rentabilité. Les collectivités locales, étranglées, ne sont plus que des gestionnaires de pénurie.
Cette logique n’est pas naturelle, elle est idéologique. Et il est urgent de la combattre.
Nous ne sommes pas des entités séparées. Nous ne sommes pas des objets économiques flottant dans un espace neutre. Nous sommes des êtres en relation, en interdépendance constante.
Cette évidence, ceux qui dirigent et bénéficient du système l’ignorent ou la craignent. Ils préfèrent que nous restions seuls, divisés, méfiants. Le capitalisme prospère sur la séparation. Il a besoin de citoyens découragés, désorientés, résignés. Il a besoin d'une gauche fatiguée, devenue technocratique, qui ne parle plus de la vie, mais de chiffres. Il a besoin d’un peuple privé de récit, pour mieux imposer le sien : celui de la croissance infinie qui ruisselle sur tous, de l’individu fort et autonome, de l’optimisation permanente.
Mais tout cela craque.
À bas bruit, une contre-société renaît. Dans les luttes syndicales, dans les coopératives, dans les zones rurales abandonnées où des jeunes reviennent faire pousser des liens autant que des légumes. Dans les quartiers populaires où l’on s’organise sans rien attendre d’un pouvoir sourd. Dans les associations, les tiers-lieux, les espaces de résistance et de soin.
Ces lieux ne sont pas des alternatives marginales : ils sont les prémices d’un monde nouveau.
Un monde qui ne croit plus en la toute-puissance du marché, mais en la puissance du commun. Un monde dans lequel la démocratie ne s’arrête pas aux portes de l’entreprise, qui met l’économie au service de la vie et non l’inverse, une économie à visage humain : coopérative, solidaire, respectueuse de la terre et du vivant. Un monde qui refuse l’assignation à la solitude, et qui revendique la coopération plutôt que la compétition. Un monde où l’on réapprend à faire ensemble, à décider ensemble, à vivre ensemble.
Même au cœur d'un capitalisme qui dévore l'homme et la nature, nous croyons qu’il existe des brèches, que des graines peuvent être semées, que chaque îlot de fraternité, de justice, de liberté est une victoire arrachée au cynisme.
Nous savons que ces avancées, même partielles, sont autant de foyers d'espoir pour un autre avenir. La bataille des idées, des imaginaires et des actes quotidiens prépare la grande transformation qui vient. Nous ne voulons pas mieux gérer le désastre mais changer les règles du jeu.
Face à la montée des vents mauvais, face aux tentations autoritaires, face à l’épuisement démocratique et à l’effondrement écologique, il ne s’agit plus de calculs ou de compromis, ni simplement de gagner des élections : il s'agit de la survie d’une certaine idée de l’humanité.
La gauche semble parfois avoir oublié que son rôle n’est pas de négocier les marges du possible mais d’ouvrir les horizons du changement. Elle est parfois devenue gestionnaire, bavarde, raisonnable, prisonnière de son propre langage technique, incapable de dire avec force ce que tant ressentent en silence : que ce monde, tel qu’il va, est un naufrage et qu’il est temps de changer de cap. Parfois elle est au contraire excessive, outrancière. Chaque nuance devient suspecte, chaque compromis un reniement. À force de vouloir incarner la pureté absolue, elle se replie sur elle-même, incapable de tisser les alliances nécessaires à toute transformation réelle. Cette gauche confond la radicalité de l'espérance avec la brutalité du rejet. À force d'ériger la posture en vertu, elle se crispe, devient sourde à ceux qu'elle prétend défendre, cesse d’être un espoir pour tous et devient une forteresse pour quelques-uns.
Nous n’avons plus le luxe de ces postures, plus le luxe des querelles d’ego ni des purismes stériles car nous n’avons plus le droit de différer l’essentiel.
La gauche ne renaîtra que si elle redevient unie, véritablement, populaire, enracinée dans la vie quotidienne, connectée aux luttes réelles, habitée par la colère des invisibles et la tendresse des combats ordinaires.
Alors oui, il est temps de rallumer l’incendie de l’espoir. De refuser que l’histoire soit écrite sans nous. De croire que les lendemains ne sont pas condamnés à ressembler aux désastres d’hier.
Nous sommes les héritiers d’une France indocile, généreuse, fraternelle. Nous sommes les veilleurs dans la nuit et les semeurs d’aurore. L’heure est venue de se lever. À nous de rallumer la lumière. À nous d’écrire la suite.