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Billet de blog 29 août 2025

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Changer de peau, changer de monde : tribune pour une insurrection du vivant

Il y a des mondes qui s’effondrent dans le silence. Malgré la force des luttes collectives qui s’arc-boutent légitimement contre la destruction, persiste le silence sourd d’un progrès qui avance sans regarder en arrière, indifférent à ce qu’il détruit dans sa marche grossière.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Certains prétendent encore que nous avançons, en produisant, en innovant sans cesse. Mais sous cette marche triomphante, une fatigue profonde s’installe : fatigue des corps pressés, fatigue des liens distendus, fatigue des sols abîmés. Le monde lui-même se fatigue.

Le néo-libéralisme ressemble à un serpent qui s’entête à muer sans fin. À chaque crise, il se défait de son enveloppe, comme s’il allait renaître, plus éclatant, plus sûr de lui. Chaque crise devient même pour lui une opportunité.

Crise financière, crise sanitaire, crise climatique : au lieu de ralentir, il s’en nourrit. Il prospère sur ses propres désastres.

Mais ses peaux tombées ne disent rien de la vie : ce ne sont que membranes desséchées, abandonnées au vent. Le serpent, lui, ne grandit plus. Il finira par s’amincir, se fatiguer, se vider. Ses mues se répéteront comme un rituel stérile, une promesse sans avenir. Et bientôt, il n’aura plus rien à quitter de lui-même : il se déchirera de l’intérieur, prisonnier de sa propre illusion de renaissance.

La planète, elle, ne mue plus, elle saigne. Pendant que les indicateurs espèrent encore s’envoler, qu’on tire sur un système à bout de souffle, le vivant s’épuise. Nous avons cru que l’économie était une science du possible, elle est devenue l’art d’ignorer les limites.

Nous avons cru que le progrès allait avec l’abondance, il se nourrit désormais de rareté. Nous avons cru que la Terre était vaste, que le ciel était stable, que le climat était un décor, tout vacille désormais clairement. Qui peut encore prétendre ne pas voir ? Et pourtant nous le savons depuis longtemps…

Mais le néo-libéralisme est sourd. Il colonise les esprits, dévore les solidarités, convertit chaque instant de vie en opportunité de profit. Il a fait de la croissance une religion, du rendement une morale. Il produit du chômage comme il produit du plastique, fragmente les existences, oppose les uns aux autres, transforme la fraternité en faiblesse suspecte. Il appelle cela "liberté". Mais il ment. Car ce qu’il détruit avant tout, c’est notre capacité à faire société.

Le PIB est devenu une idole aveugle, incapable de dire si nos vies s’améliorent ou s’abîment. Nous continuons à mesurer la prospérité par ce qui détruit la planète et épuise nos corps. Nous n’avons pas besoin de points de croissance en plus mais d’une économie du soin : soin des personnes, soin des liens, soin des écosystèmes. Une économie fondée sur la santé, la dignité, le bien-être et non sur l’extraction et le gaspillage.

Les partis de gauche qui jadis portaient la promesse d’un horizon commun ne portent plus suffisamment hauts ces combats. Dans un monde dominé par la peur, ils se sont peu à peu recroquevillés dans le calcul et la survie.

Hier encore, ils brûlaient de rêves, d’utopies griffonnées sur des bouts de papier… ils sont devenus des coquilles vides, habitées de visages gris et d’ambitions sans âme. Ils parlent stratégie quand il faudrait parler vie. Ils calculent quand il faudrait espérer. Ils font campagne comme on fait commerce, avec des slogans vides et des promesses en plastique. Ce n’est pas une trahison soudaine, mais une lente érosion, un effritement progressif, qui finit par tout recouvrir d’une épaisse couche de cynisme.

Or nous n’avons plus le luxe de cette résignation. Le monde n’attend pas.

Face à l’épuisement du vivant, une boussole s’impose : l’écologie. Pas une écologie réduite à l’addition de gestes verts individuels ou à l’ingénierie climatique. Pas une écologie comme supplément d’âme pour des consciences apaisées mais comme socle vital de notre humanité commune. Une écologie pensée comme conscience du vivant, de ses liens, de ses fragilités. Une écologie qui rappelle que la Terre est à la fois notre mère et notre demeure, et que nous en sommes tissés.

La modernité a voulu rompre cette évidence. Elle a séparé l’humain du monde, l’économie de l’écologie, la croissance de la finitude, le progrès de la sagesse. Or, ce qui est en jeu aujourd’hui n’est pas seulement la protection de la nature, c’est la survie d’une humanité humaine dans un monde habitable.

L’écologie véritable est politique, éthique et poétique. Elle appelle à transformer notre civilisation, à sortir du paradigme du profit, à rompre avec la compétition généralisée et le court terme. Elle suppose une révolution mentale : réapprendre la modération joyeuse, la solidarité, la beauté du commun. Remettre de la lenteur dans nos rythmes, de la tendresse dans nos liens, du soin dans nos décisions.

C’est cette conscience collective qui peut nous sauver de la fatigue et du cynisme, à condition de la traduire en une insurrection du vivant. Car nous ne sommes pas condamnés à la passivité. La gauche ne peut plus se contenter de raccommoder les bordures d’un monde que le capitalisme déchire en son centre. Elle ne peut plus bricoler les marges quand l’âme même du monde est empoisonnée.

L’extrême droite prospère sur ce vide. À nous de bâtir un récit commun, fort, radical. Un récit où la solidarité n’est pas un mot fatigué, où nos territoires deviennent des refuges et des tremplins, où la politique retrouve son souffle : celui de l’émancipation, de la justice, du vivant.

Nous sommes à la croisée des chemins. D’un côté, l’effondrement tranquille de la planète, des droits sociaux, des liens humains. De l’autre, une bifurcation possible : vers une société fondée sur la coopération, la justice, la dignité. Une société qui ne mesure pas sa réussite à la croissance du PIB, mais à la qualité des relations qu’elle rend possibles.

Il est encore temps. Non pour revenir en arrière, non pour gérer le désastre mais pour changer les règles, pour réinventer une espérance à hauteur d’humanité. Chaque époque choisit ce qu’elle sauve. Nous pouvons encore choisir. Laisser la mue du serpent s’achever dans le vide, ou bien changer de peau, changer de monde. Mourir seuls ou vivre ensemble.

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