A la suite des événements de 1968, le Groupement d'action judiciaire, rebaptisé plus tard Mouvement d’action judiciaire, prenait naissance. Il était composé de juristes, essentiellement d’avocats, dont l’illustre Henri LECLERC. Ce mouvement était animé par une conception politique de la profession d’avocat en faveur des justiciables, mais aussi des acteurs des mouvements sociaux de l’époque. Il était ainsi question de l’utilisation du droit en tant qu'instrument de rééquilibrage des forces vis à vis de l’Etat et, par conséquent, d’une forme de militantisme juridique visant à remettre en cause l’institution judiciaire traditionnelle. Un demi-siècle plus tard, ce militantisme perdure en étant plus protéiforme, mais toujours avec cette même conviction que le droit peut être vecteur de progrès social. Il rejaillit tout particulièrement dans le cadre des mesures publiques de rétorsion, plus ou moins dissimulées, à l'encontre des « gilets jaunes ».
En mai 1968, l’élaboration d’une réponse juridique et politique commune, ouvertement ancrée à gauche, s'était avérée nécessaire de par les circonstances exceptionnelles que traversait le pays. Les avocats engagés dans la défense des militants devaient s’organiser pour faire face à la multiplication des interpellations parfois arbitraires, et également pour soutenir des manifestants blessés, parfois très violemment, par les agents de l'Etat. A cette situation se rajoutait un sentiment général d’impunité des forces de l’ordre, ces faits sont autant de similitudes que l'on retrouve aujourd’hui avec le mouvement des « gilets jaunes ».
Certes, les revendications de 1968 étaient quelque peu distinctes et appelaient à la refonte globale d'un système devenu socialement inadapté. La classe ouvrière était encore significativement présente dans la société française. Cependant, les réponses judiciaire et policière étaient quasi-similaires à ce que nous constatons aujourd'hui, la mise en œuvre de la répression, parfois aveugle, reste ainsi d'actualité. La réponse étatique par le recours systématique à la force publique est évidente, la mobilisation du parquet qui s'ensuit ne plaide pas en faveur de ce que devrait être l'indépendance réelle de ce dernier. A ce jour, la justice fait toujours preuve d’une certaine partialité en matière de sévérité et de célérité pour juger des faits, selon qu'ils sont commis par des manifestants…ou des représentants de la force publique. Nombre d’interpellations préventives sont effectuées, comme autant d’atteintes à la liberté de manifester.A cette réaction de la force publique répond une logique de solidarité et de partage des avocats qui interviennent dans la défense des « gilets jaunes ». Si cette union est plus diffuse qu'en 1968, elle obéit toujours à une logique de réseau et, surtout, à une volonté commune de changement par le droit. Comme en 68, ce dernier doit rester un instrument d’égalité. A nouveau confrontée à un mouvement social inédit, bien que prévisible, la justice révèle que son évolution demeure limitée par son dévouement envers le pouvoir en place, et ce au détriment des justiciables. Très probablement sur ordre, elle érige de façon quasi-péremptoire la criminalisation des manifestants et une forme d’impunité pour les violences policières. Les circonstances, même si elles ne sont que présumées sans être dûment démontrées, deviennent un fait aggravant pour les premiers, et une circonstance atténuante pour les seconds.
La solidarité des défenseurs du droit est d’autant plus nécessaire qu’une traque, sournoise et inavouée, s’opère contre les « avocats militants ». A titre d'exemple, Emmanuel MACRON déclarait en février 2019 à propos de Christophe DETTINGER : « la vidéo qu’il fait avant de se rendre, il a été briefé par un avocat d’extrême gauche ». Agissant ainsi, le pouvoir exécutif détourne l'attention du public en prêtant aux avocats des intentions autres que celles de la défense du droit. Le langage employé, aussi bien par certains hommes politiques que par des journalistes, poursuit un objectif très précis qui consiste à discréditer l'avocat, notamment en raison des convictions politiques, voire malveillantes, qui lui sont imputées. Sa parole deviendrait systématiquement inaudible et subversive, même lorsqu’il se borne à fait état, par exemple, du manque d’indépendance structurel du parquet ou de la recrudescence documentée des violences policières. Il est bien évident que rien n’interdit une proximité de pensée et une sensibilité aux causes soutenues par les clients que nous, avocats, nous représentons. Ceci est d’autant plus vrai face à un mouvement comme celui des « gilets jaunes », mêlant un certain nombre d’acteurs d'horizons divers et aux opinions variées qui peuvent sincèrement nous affecter. L’engagement d’un avocat est souvent gage de sincérité et parfois de transcendance. Le militantisme des avocats a toujours existé, les événements tels que ceux de 1968, ou l'actuel mouvement des « gilets jaunes », en favorisent la structuration. Il permet surtout d'opposer une contre-offensive juridique face à l’emploi disproportionné de la force publique et à l’instrumentalisation de la justice, préservant ainsi l'Etat de droit des dérives totalitaires.
Ce militantisme structuré ressurgit de façon naturelle à l'occasion des manifestations des « gilets jaunes » et des idées qu’elles raniment par rapport à mai 68. Il répond également aux attentes de plus en plus fortes en matière de défense du droit, dans des domaines où l'équilibre humain se trouve bafoué, voire nié, au profit de logiques économiques, financières ou politiques, qui répondent souvent aux intérêts de minorités qualifiées d'"élites". L’incapacité des pouvoirs politiques en ce qui concerne la question environnementale, la vente d’armes et munitions françaises aux pays du Golfe, alors que le Yémen connaît une crise humanitaire sans précédent, le manque de réactivité face à la corruption, la fraude fiscale, et bien d'autres exemples, sont autant de causes pour lesquelles les citoyens réclament que justice soit rendue, et pour lesquelles le concours des avocats restera toujours incontournable.