Il n’y avait pas de vidéo quand le policier a tiré.
Ce 14 juin 2023 au matin, tôt, un policier a tiré sur Alhoussein Camara, 19 ans, qui se rendait à son travail.

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On ne saura jamais exactement ce qui s’est passé.
Alhoussein est mort, il n’y avait pas de vidéo, il ne reste que la parole du policier. Mais peut-on faire confiance à coup sûr à la parole d’un policier aujourd’hui en France. Nous savons bien que non. Refus d’obtempérer, dira le policier. Ah bon ? Et depuis quand un refus d’obtempérer doit-il être géré par un tir mortel ?
J’ai un fils noir. C’est lui qui le premier a attiré mon attention sur ce drame, sur ce meurtre. Parce qu’il n’y avait pas de vidéo pour Alhoussein, à la différence de ce qui s’est passé pour Nahel à Nanterre, le 27 juin. Parce que le 14 juin c’est aussi le jour où 600 personnes en quête d’un refuge sûr et d’une vie meilleure sont mortes au large des côtes grecques, dans les plus terrible naufrage en Méditerranée depuis 2016. Mon fils me disait : « Tu sais Papa, ils ont tué un petit guinéen. »
J’ai un fils noir. Hier soir, il m'a demandé « Papa, est ce qu’autrefois, les policiers tuaient moins de jeunes ? ». Alors j'ai eu avec lui l'équivalent de ce que les américains US blacks appellent « THE conversation ». Dans laquelle ils expliquent à leur enfant la situation de personne racisée qui est la leur. « Vivre une vie d’homme arabe, d’homme noir, dans une France structurellement racialisée, c’est vivre à bout portant de la mort.» (Kaoutar Harchi).
J'ai expliqué à mon fils que beaucoup de policiers sont sympas, font bien leur boulot. Mais je lui ai dit aussi que beaucoup étaient racistes et cons, que 74 %[1] votent RN ou Zemmour. Je lui ai dit surtout que depuis 2002, la politique sécuritaire des gouvernements n'a pas cessé de donner aux policiers des signaux d'impunité, de céder à la surenchère de demandes outrancières des syndicats de policiers (armes, grenades, LBD, règlements, lois, autorisations de tirer, etc.). Cette politique sécuritaire a produit une institution de plus en plus hors de contrôle qui ne répond plus à sa raison d'être qui figure dans l'article 12 de la DDHC de 1789.
« La garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique ; cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux à qui elle est confiée. »
Aujourd’hui la Police nationale défend l'Etat plus qu'elle ne protège le peuple. Maintenant elle défend le régime. Le régime actuel ne tiendrait pas sans la Police, et la Police tient les gouvernements par les c....s. Quand je dis « la Police », je dis « l'institution ». Je ne dis pas « les policiers «.
L'institution c'est très, très différent de la somme des policiers : l'institution c'est un ensemble de règles, de réflexes, c'est une « culture », un langage, un ensemble de symboles, de rôles, de statuts,... L'institution fonctionne avec les individus qui la font fonctionner mais elle est complètement dissociable de ces individus. C'est vrai de toute institution. C'est ce qu'étudient les sociologues des organisations et des institutions. C'est en ce sens que je peux dire : la Police tue, la Police est structurellement raciste. Le bon comportement, les valeurs morales portées par certains voire même beaucoup des individus policiers ne font pas changer cette évaluation que je porte avec beaucoup d’autres.
Mon fils me disait : « Tu sais Papa, ils ont tué un petit guinéen. »
Mon fils vient aussi d’Afrique de l’Ouest. Comme Alhoussein, il a 19 ans. Comme mon fils, Alhoussein a été pris en charge par l’ASE, comme mon fils, Alhoussein a été un jeune MNA (Mineur Non Accompagné), un de ces enfants étrangers migrants isolés dont Zemmour disait (il a été condamné pour cela) qu’ils étaient tous, tous, voleurs, violeurs et assassins. Comme mon fils, Alhoussein a décroché un CAP, a passé le permis. Comme Alhoussein, mon fils peut être décrit comme « apprécié de tous, (…) actif, volontaire, aimable, agréable au quotidien ». Comme Alhoussein, mon fils prend sa voiture chaque matin pour se rendre au travail.
Alhoussein Camara est mort le 14 juin. Le même jour, l’Europe laisse mourir 600 personnes migrantes en mer, le même jour un policier français tue un jeune migrant. Double événement de meurtre : oserai-je écrire ce que je pense ? Nous tuons. Nos pays, nos états tuent. Tuent les personnes qui viennent se réfugier chez nous. Non contents de les tuer aux frontières, voilà que nous les assassinons sur notre sol.
Nous ne sommes plus humains. Titre de l’hebdo « Le 1 » cette semaine.
Les deux policiers ont été mis en examen pour « homicide volontaire ». Le policier de Nanterre a été mis en détention provisoire. Pas celui d’Angoulême. Il n’y avait pas de vidéo.
Vincent Cabanel
[1] Pourcentage sur les policiers en activité.