Il faudra donc voter une troisième fois contre un ou une Le Pen au deuxième tour d’une élection présidentielle. Plus que les raisons morales profondes qui m’y poussent, j’aimerais surtout exposer ici en quoi cette décision a été particulièrement difficile pour moi, et peut-être pour certains d’entre nous, électeurs de Jean-Luc Mélenchon du premier tour. Cet acte fait mal : voter pour une personne sans doute des plus machiavélique, cynique, abjecte, hautaine et détestable, pour faire barrage à une fasciste.
Je ne suis pas là pour parler de l’action politique de ce dernier, qui peut évidemment plaire aux conservateurs libéraux, convaincus que chacun⋅e est en pleine possession de son destin s’iel s’en donne les moyens, celui-ci étant, dans la pratique, beaucoup plus désirable si iel est issu⋅e d’un milieu aisé et/ou un homme et/ou blanc. Je veux plutôt vous parler d’un homme manipulateur et calculateur ayant retenu, qu’après avoir fait en 2017, une campagne énergique mais suffisamment confuse, à même de convaincre des humanistes sincères mais suffisamment naïfs, il serait désormais beaucoup efficace de conserver dans le paysage politique un bloc fasciste repoussoir, pour faciliter sa réélection.
Menant, à l’aide d’un premier ministre de droite et de ministres issus de la droite sur des postes économiques, une politique de droite, il a aura toujours su bénéficier d’un crédit libéral de gauche dans tous les médias, s’expliquant étrangement plus par son passage dans le très peu socialiste gouvernement Hollande que par ses années de banquier d’affaire. Tout au long de son mandat, jouant de ce crédit moral, il n’a eu de cesse d’infuser, sans contradiction majeure, dans les médias, dans ses apparitions publiques, avec ses ministres, avec sa police et dans les projets de loi que sa majorité a voté, les thèses racistes et obsessions les plus abjectes de l’extrême droite : dangers des migrants et entrave de leur accueil même en situation d’urgence extrême, répression policière démesurée et jamais sanctionnée, manipulation des revendications sociales dans l’épisode des gilets jaunes pour faire des thèmes sécuritaires et migratoires, peu évoqués, des questions centrales, loi asile-immigration des plus strictes, demande de note à E.Z. sur l’immigration, multiplication de déclarations polémiques pour flatter un auditoire réactionnaire et raciste, recul sur la panthéonisation de Gisèle Halimi, polémique délirante sur l’islamo-gauchisme dans l’Université, crédit apporté au péril (sic) du wokisme, dénigrement des enseignants, et de nombreux autres exemples.
Jamais réellement incriminé dans la presse comme étant lui-même un véritable terreau du fascisme, j’affirme pourtant, comme tous ces éléments l’attestent, qu’il a sciemment mené, depuis 5 ans, une stratégie de communication et d’action visant à entretenir la présence d’une force d’extrême droite de premier plan dans le paysage politique, par la banalisation systématiquement répétée de ses thèmes. A l’approche des élections, lui et son camp, ont soigneusement mis en avant une affiche, devenue désormais inéluctable, pour le second tour. Afin d'en assurer la complète viabilité, François Bayrou aura été jusqu’à utiliser « sa réserve de signatures » pour garantir que Marine Le Pen satisfasse, sans encombre, les conditions requises pour participer au match ainsi programmé.
Aussi, comprenez-bien que j’ai aujourd’hui un profond dégoût à venir apporter ma contribution à cette pièce, si bien orchestrée qu’elle m’oblige désormais à jouer moi aussi ma partition, pour éviter, à coup sûr, le péril fasciste qu’aura rendu encore plus possible ce misérable équilibriste.