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Billet de blog 19 août 2024

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Pour gouverner, la gauche doit rester unitaire et internationaliste

Le Nouveau Front Populaire n’a pas perdu et c’est déjà immense. Si le président de la République a trouvé son tube usé de l’été, « personne n’a gagné », nous savons tous quels partis sortent laminés de l’élection législative anticipée. Nous gagnerons demain.

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Le Nouveau Front Populaire n’a pas perdu et c’est déjà immense. Si le président de la République a trouvé son tube usé de l’été, « personne n’a gagné », nous savons tous quels partis sortent laminés de l’élection législative anticipée. Nous gagnerons demain. A la condition que l’unité de la gauche ne se fasse pas à la 25e heure, en hurlant que « l’extrême droite est [encore] aux portes du pouvoir. » Le programme du Nouveau Front Populaire n’est pas un petit manuel du barrage au RN. C’est heureusement un travail ambitieux pour réparer des pans entiers de l’action publique, qui replace l’intérêt général en son cœur et ainsi améliorera la vie de tous les Français.

 « Idéologiquement, c’était important d’affirmer cette victoire, parce que le peuple de gauche la réclame, même s’il ne l’attendait pas. La gauche ne peut pas perdre la face et laisser le « point » à Emmanuel Macron. Préempter la victoire, c’est acter que la gauche progresse, qu’elle peut gagner à terme, qu’elle donne un espoir alors qu’un désespoir règne. La gauche sociale et électorale a essuyé tellement de défaites… », explique le sociologue Remy Lefebvre dans Le Monde du 20 juillet.  

Pour plusieurs partis de gauche qui s’entendent sur le constat d’un régime à bout de souffle et qui portent une VIe République aux contours encore gazeux, il n’est pas non plus satisfaisant de choisir l’immobilisme, même saupoudré d’instabilité parlementaire, en visant 2027. Le NFP propose la haute-fonctionnaire Lucie Castets pour Matignon. Elle bénéficie déjà de plus de poids politique dans l’assemblée nationale, dans les collectivités locales et les communes que Jean Castex ou Gabriel Attal au moment de leur nomination. La majorité du Nouveau Front Populaire souhaite prendre le pouvoir et commencer à appliquer le programme d’union. Quitte à aller chercher des accords au-delà des députés et organisations NFP qui ne peuvent imposer la cohabitation par décret tout en critiquant l’autoritarisme de sept ans de pratique macroniste. La direction de la France insoumise s’aventure maintenant à un rapport de force populiste en évoquant la possibilité de démettre le président, pourtant consciente que la situation actuelle rend cette procédure constitutionnelle impossible. En attendant une hypothétique hégémonie et continuant d’animer la campagne permanente et personnelle de Jean-Luc Mélenchon, LFI pourrait bien adopter un positionnement comparable au PCF au moment du Front Populaire : refuser de participer au gouvernement socialiste et radical tout en votant des mesures de progrès social. 

Qu’entend-t-on par « l’union de la gauche » ? Si les termes et le monde ont changé, ce débat n’est pas nouveau. Il agitait déjà le siècle dernier la SFIO et les gardiens de la « vieille maison » suite au « grand schisme » consécutif aux deux révolutions russes. Léon Blum consacre une partie de ses interventions au Congrès de Tours à l’union des socialistes « entre eux » :

« Voilà ce que j’entends par l’unité. Pour ma part, je ne la conçois pas, vous le voyez, comme une formule creuse, mais comme quelque chose de vivant, comme la conciliation nécessaire entre l’unité de notre but, qui nous est commun à tous, et la diversité nécessaire des tempéraments. 

Et d’ailleurs, je dois vous l’avouer : dans le fond nous qui avons de toutes nos forces travaillé pour l’unité telle que je la conçois, telle que je viens de la définir, nous n’en avons jamais désespéré, et à aucun moment, quoi qu’il arrive, je n’en désespèrerai. Je sais qu’elle est inévitable et nécessaire, parce que je sens profondément ce qui est notre force, ce qui est notre chance - c’est à dire cette communauté de but, vers laquelle nous n’avons qu’à nous élever pour nous retrouver d’accord presque malgré nous. 

Lorsque nous nous sentons parfois enfermés dans les divisions, les dissensions, les intrigues, nous n’avons qu’une chose à faire : monter un peu plus haut, nous élever, regarder le but. Et alors, nous verrons que nous sommes profondément d’accord. Nous ressemblons à ces voyageurs qui, dans la montagne, se voient pris dans les nuages et dans le brouillard. Eh bien, on n’a qu’une chose à faire : monter, monter plus haut, et quand on monte plus haut, on trouve l’air pur, la lumière libre et le soleil. » (Commentaires sur le programme d’action du parti socialiste, 1919)

Pour « monter plus haut », nous pouvons aussi réfléchir en européens et en internationalistes. N’en déplaise aux ornithologues du Faubourg Saint-Germain, le scrutin de l’été 2024 le plus important pour l’avenir de la gauche en Europe n’a pas eu lieu en France.  

La large victoire du Labour Party le 4 juillet et son retour au gouvernement du Royaume-Uni est un évènement déterminant pour la gauche internationaliste. C’est le point de vue de l’historien Gilles Vergnon, l’un de mes maîtres, qui vient de publier l’essai Changer la vie ? Le temps du socialisme en Europe de 1875 à nos jours (Folio Gallimard, 2024). Dans ses interventions, il évoque une boutade de la fin du XIXe siècle : “Au Royaume-Uni tout le monde roule à gauche sauf le Labour”. Dans son essai historique, il étudie l’évolution idéologique du parti travailliste par rapport à sa conquête et son exercice du pouvoir :

« Les ‘blairistes’ rappellent avec satisfaction qu’ils ont été ‘à l’écoute des craintes des gens’, sur ‘des questions comme la criminalité, les demandeurs d’asile ou l’immigration’. Mais leur discrédit durable après l’engagement du Royaume-Uni en Irak en 2003, contre l’opinion britannique, suivi d’un lourd revers électoral en 2010 (les travaillistes retombent à 29% des voix) clôture apparemment la séquence de la ‘troisième voie’, même si Keir Starmer, dirigeant du Labour depuis 2020, tente de renouer avec ses thématiques. Indissociable de la croyance circonstancielle en une ‘mondialisation heureuse’, elle n’en a pas moins laissé des traces profondes dans tous les partis socialistes, même en l’absence d’une théorisation d’ensemble qui n’a jamais vraiment franchi le Channel. » 

Après 14 années de conservatisme s’efforçant de mimer une grandeur retrouvée grâce au Brexit et donnant le sentiment d’être coincés collectivement dans un montage de Cold War Steve, le parti travailliste s’attelle avec prudence à réparer les services publics, prioritairement le système public de Santé NHS et à redonner confiance aux Nations de l’archipel. La majorité travailliste est si confortable qu’ils peuvent se passer de coalition avec les libéraux-démocrates ou avec les quatre députés écologistes. Le programme du nouveau Premier ministre ne prévoit pas de grand soir – depuis sa fondation, le Labour Party a toujours été un parti socialiste non marxiste – il se concentre sur une réforme du code du travail, une redynamisation de l’économie en attirant les investissements étrangers, la hausse de l’imposition sur les fortunes et le gel de la fiscalité des classes populaires et moyennes, la fin des niches fiscales pour l’éducation privée, la nationalisation du transport ferré de voyageurs, un plan d’investissement dans les énergies durables et la création d’une agence publique de transition énergétique.  

Au début des années 1990, le Labour Party et d’autres organisations socialistes britanniques ont réalisé un important travail théorique et académique sur la société britannique, son évolution, ses doutes et ses aspirations, avant de passer à la pratique et de se trouver un leader appelé Tony Blair. Sans arriver aux mêmes conclusions de « trahison centriste des idées de la social-démocratie » et se confectionner un énième épigone du blairisme low-cost, cet effort intellectuel manque encore à la gauche de gouvernement française.   

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