Le ministère de la Culture et de la Communication sombre dans l'autoritarisme pour tenter de sauver un projet mort-né, celui de la « Maison de l'histoire de France ». Volonté présidentielle, celle-ci bénéficie de toutes les faveurs de Frédéric Mitterrand qui a sauvé sa tête lors du remaniement du 14 novembre 2010. Le ministre a entrepris de combattre la contestation légitime d'un projet marqué par la brutalité administrative de sa programmation, la faiblesse intellectuelle de sa définition et l'isolement croissant de ses promoteurs.
L'étouffement de tout débat sur la « Maison de l'histoire de France » et sur son installation décrétée sur le site parisien des Archives nationales (qui abrite déjà un musée d'histoire de France que les concepteurs du projet ont ignoré comme le souligna un rapport du Sénat (1)) empruntent deux voies bien distinctes.
A. Tout d'abord, il s'agit, de façon paradoxale, de proclamer à qui veut l'entendre que la concertation n'a pas cessé, que le débat existe et que celui-ci dispose même de lieux et de moments, édictés par le Comité d'orientation scientifique afin de discuter de l'Avant-projet qui a été remis au ministre le 16 juin dernier. Il ne faut pas être dupe : cette concertation se fait au cours de réunions qui recherche » que nous co-pilotons. Le texte de son allocution est disponible sur les sites du groupe et de l'ouvrage Quel musée d'histoire pour la France ? (4). Il témoigne du sens des responsabilités de son auteure autant que de son attachement à la définition intellectuelle de sa profession.
Nous considérons que cet acte d'autoritarisme (5) traduit l'exaspération des promoteurs du projet qui espéraient pouvoir déployer la Maison de l'histoire de France en faisant fi de toutes les critiques exprimées depuis le lancement du projet. S'en prendre à des responsables syndicaux pour les motifs invoqués nous semble grave, une atteinte à la liberté d'expression, et nous voulons espérer qu'une telle décision trahit une forme de désarroi face à la résistance que nous faisons vivre collectivement depuis plus d'un an. Pendant ce temps, les membres du Comité d'orientation scientifique continuent d'imaginer agir en toute liberté (6). Ce qui se passe dans le dossier de la « Maison » annule cette liberté tant vantée. Mais, pour le voir, il convient de considérer le contexte d'action de ce comité. D'agir en historien en d'autres termes.
Isabelle Backouche, historienne, maîtresse de conférences à l'EHESS
Vincent Duclert, historien, professeur agrégé à l'EHESS
co-directeurs (avec Jean-Pierre Babelon et Ariane James-Sarazin) de Quel musée d'histoire pour la France ? (mars 2011, Armand Colin).
(1) Rapport d'information fait au nom de la Commission de la culture, de l'éducation et de la communication sur « le projet de création d'un musée de l'histoire de France », par la sénatrice UMP de Paris Catherine Dumas, remis au Sénat le 17 mai 2011.
(3) La troisième de ces réunions aura lieu le 16 novembre, de 17h à 19h30, à Reid Hall, 4 rue de Chevreuse, 75006 Paris, sur le thème : Quels cadres pour quelles histoires nationales ?
(4) voir les Sites du groupe « Musée, Histoire & Recherche » : http://www.facebook.com/#!/pages/Groupe-Mus%C3%A9e-Histoire-Recherche/119318451476117
et de l'ouvrage : http://www.facebook.com/pages/Quel-mus%C3%A9e-dhistoire-pour-la-France-/190231357661285
(5) Le site Libération.fr indique le 30 septembre 2011, sous la plume de Dominique Poiret, que le ministère penche pour des sanctions légères : « les trois syndicalistes risquent tout au plus un blâme », indique-t-on rue de Valois qui estime que « cette manifestation ne pouvait constituer une réunion syndicale et outrepassait les limites du droit syndical. Elle a donc été interdite par la direction des Archives. Les agents en cause ayant maintenu la réunion, le ministère a engagé une procédure disciplinaire. Les fonctionnaires doivent respecter le principe de neutralité du service public. »
(6) Nous ignorons à l'heure actuelle si le Comité d'orientation scientifique adhère ou non à toutes ces mesures. Mais puisqu'il continue à fonctionner, on est en droit de considérer qu'il adhère implicitement à des mesures d'intimidation et de rétorsion qui émanent de l'autorité ministérielle qui a procéder à son installation même, en grandes pompes, le 13 janvier dernier, rue de Valois. C'est aussi un problème de désaccord entre nous, c'est toute la question de la prise en compte des contextes dans le métier d'historien, prise en compte qui est refusée par les membres du Comité d'orientation scientifique. L'étude du dossier de la « Maison de l'histoire de France » renvoie ainsi à d'inévitables et décisives questions de scientificité. C'est pour cela, d'abord, que nous souhaitons l'analyser comme nous le faisons.