Le Blog politique de L’Express a révélé les 9 pages du « Texte d’orientations politiques 2008-2011 » du parti socialiste, signé de la Motion A (Bertrand Delanoë) de la Motion C (Benoît Hamon), et de la Motion D (Martine Aubry). La motion E (Ségolène Royal), écartée de la rédaction de ce texte comme de la direction du parti, a commencé de réagir, notamment à travers un billet du webmaster du site Désir d’avenir (http://www.segoleneroyal2007.net/article-25520374-6.html ).
Le texte se résume à un catalogue de propositions générales, beaucoup de déclarations d’intention, et un mot d’ordre répété, être « clairement ancré à gauche ». Il caractérise notamment « l’exigence d’un socialisme de gouvernement ». Le texte insiste : « ancrage à gauche et renouvellement sont pour nous indissociables. Il suppose aussi la fidélité à une conception exigeante de la politique : le débat argumenté plutôt que la démarche personnelle. » C’est bien dit. Mais il ne suffit pas seulement de le dire. Il faut l’exposer. Et c’est là que le problème commence pour ce document qui ne fera pas date selon nous, et qui doit pourtant selon ses rédacteurs constituer « la feuille de route des instances du Parti socialiste dans les années qui vienne [nt] ». S’il sert vraiment de socle intellectuel au PS, les socialistes ont des soucis à se faire pour leur existence entre 2008 et 2011.
En effet, la vision de la politique qui est exprimée tout au long des quatre axes choisis (« Inventer un nouveau modèle de développement économique, social et écologique ; Donner un nouveau sens à la société : solidarité, responsabilité, libertés publiques ; Donner une nouvelle direction à l’Europe ; Faire renaître le Parti Socialiste ») est particulièrement faible. Les évidences succèdent aux silences sur bien des points essentiels. Sur la lutte globale contre la crise économique et sociale, sur la relance de l’Europe par l’identité civique et le développement, on ne peut être que d’accord avec des propositions de bon sens. A la réserve près qu’on ne sait pas très bien ce que veut dire « proposer une alternative au modèle libéral ». Ne faut-il pas au contraire envisager une doctrine politique de gouvernement du libéralisme économique ? Ce n’est pas le modèle libéral qui est une menace, mais le désordre né de sa volonté de s’affranchir de toute contrainte politique. Du reste, les propositions qui sont faites concrètement suggèrent principalement une transformation du système libéral et non son remplacement. Pourquoi alors cette concession à l’idéologie doctrinaire sinon pour satisfaire l’une des Motions, celle de Benoît Hamon ? Dans un entretien à Libération du 5 décembre, l’ancienne magistrate du pôle financier Eva Joly, désormais n°2 sur la liste écologique aux européennes de 2009 en Ile-de-France expliquait qu’elle aurait été « un peu perdue chez les socialistes pris par leurs batailles internes ». On la comprend. Dans le même registre de la diabolisation du « système libéral », le rejet de toute alliance avec le MODEM se fonde sur le fait que la formation de François Bayrou « prône aujourd’hui une politique économique et sociale qui se situe aux antipodes de nos orientations. » N’est-on pas ici dans l’excès ? N’y a-t-il pas erreur sur l’adversaire ? La question est d’autant plus sérieuse que l’analyse du contexte actuel, issu d’un an et demi de politique de Nicolas Sarkozy, est étrangement absente sauf une mention relative à « la politique brutale et honteuse de Nicolas Sarkozy et Brice Hortefeux » en matière d’immigration.
Les deux fondements qui, selon nous, dirigeraient une politique de gauche, dans laquelle le socialisme exprimerait un projet démocratique clair et net, sont eux aussi absents. D’une part, les libertés. Certes, le texte énonce la nécessité d’ « étendre les libertés individuelles en ouvrant de nouveaux droits », rappelle qu’il n’y a pas « d’ordre sans justice », annonce « une société qui garantisse l’accès aux droits fondamentaux », et ensuite nulle mention de la réalité de l’Etat de droit aujourd’hui menacé au sommet, dans l’exercice du pouvoir présidentiel et gouvernemental, comme à la base, avec le recul des garanties élémentaires accordées à chaque citoyen confronté à la justice, à la police, à l’Etat. D’autre part, l’histoire. Le quatrième axe du « Texte d’orientations politiques 2008-2011 » consacré à la renaissance du parti socialiste explique que « nous portons une histoire qui est aussi une boussole pour l’avenir ». Fort bien. Mais de quoi est-elle faite cette histoire si importante ? On ne le saura pas ici. On continuer d’invoquer « ces valeurs de toujours », sans les nommer, sans les définir, alors que la renaissance du parti socialiste dépend justement de sa capacité à leur redonner un sens, une expression. Il est bien beau d’écrire : « Fidèles à nos héritages philosophiques et historiques, nous faisons de la progression de la démocratie et des libertés un objectif essentiel de notre action ». Mais si rien de cela n’est effectivement défini au sein d’une pensée, précisément philosophique et historique, de la démocratie et des libertés, le parti socialiste court le risque, une fois de plus, de se payer de mots. S’il veut vraiment devenir une grande force d’opposition propre à réveiller le sens de la politique dans notre pays, un travail critique substantiel attend ceux qui en ont pris la direction. Ou ceux qui veulent simplement s’attacher à l’essentiel, c’est-à-dire pour commencer à la liberté d’expression et à la volonté de penser sans carcan.
Vincent Duclert