Vers la fin de la campagne du premier tour des primaires et au soir des résultats, Martine Aubry a ouvert le feu sur François Hollande censé incarner une «gauche molle», malléable, agissant au gré des opportunités, tandis qu'elle, elle incarnerait au contraire une «gauche forte» ne cherchant ni «à plaire» ni «à flatter», disant «la vérité» et tenant «une ligne qui n'a jamais varié». Ces charges répétées ont voulu donner à la campagne aubryste une pugnacité, une fermeté qui avaient semblé lui manqué au départ. Il est possible qu'une frange hésitante de l'électorat des primaires ait finalement opté pour Martine Aubry, conquise par ces arguments de fermeté et de caractère en face d'un François Hollande demeuré prudent, méthodique et de surcroît silencieux face à de telles attaques - en conformité avec l'idée qu'il se fait de l'homme d'Etat. Cette offensive pose cependant plusieurs problèmes dont la résolution peut contribuer à la décision de dimanche prochain, la décision que chaque électeur et électrice seront amenés à prendre dans le secret de l'isoloir.
D'abord l'offensive de Martine Aubry est malvenue compte tenu des conditions de son entrée en campagne. Si elle veut défendre une « gauche forte », celle-ci a débuté quand même sur des accords assez étranges, dits de « Marrakech », aboutissant à ce qu'elle se présente à l'élection présidentielle du fait de la défection, en mai dernier, de Dominique Strauss-Kahn. Cette « gauche forte », outre qu'elle est venue au combat dans un tel contexte d'arrangement entre camarades, n'a peut-être pas non plus la limpidité doctrinaire qu'on veut bien lui donner. Derrière la « gauche forte » vs « gauche molle », il y a la petite musique insidieuse d'un homme qui ne serait pas assez à gauche et d'une femme qui le serait résolument. Mais peut-on dire que le mentor de Martine Aubry qui a fait savoir dimanche dernier à Sarcelles qu'il votait pour elle, exprime sur son nom cette fermeté à gauche ? Je ne le crois pas pour ma part. Je crois en revanche que ces poses martiales (sur le caractère, même le « mauvais » caractère qu'aurait Martine Aubry alors que son adversaire n'en aurait pas) augurent mal de la transformation de la fonction présidentielle si elle y accédait - une disposition pourtant mise en avant par ses soutiens, je pense notamment à une tribune de Paul Quilès dans les colonnes du Monde il y a quelques semaines.
L'offensive est aussi assez injuste pour François Hollande et il n'est pas inopportun ici de parler de justesse voir de justice. Il faut faire justice à François Hollande d'être de gauche. Avoir dirigé le parti socialiste de 1997 à 2008 contribue fortement à son appartenance à la gauche. Et il est inexact de dire qu'il n'a rien fait durant ces onze années comme la petite musique du camp aubryste veut bien le laisser entendre. Je relèverai plusieurs choses qui attestent du contraire. Il a d'abord fait du PS un vrai parti de gouvernement lors de l'expérience Jospin de 1997-2002, situation qui n'avait pas été celle des deux septennats de François Mitterrand. Peut-être parce qu'en 1997, il s'agissait de gouverner et non de présider. François Hollande est parvenu aussi, en 2002, à surmonter la défaite et à panser les plaies du « 21 avril ». Il a fait face quand d'autres à gauche ne l'ont pas fait. Il a maintenu ensuite l'unité du parti dans la grave crise générée par le référendum sur la constitution européenne de 2005, luttant pour éviter que la division des socialistes n'en vienne à les briser.
Enfin, l'homme de gauche qu'est François Hollande agit et s'exprime dans sa campagne en vue des présidentielles de 2012, commencée dès juin 2009 à Lorient. On a ironisé chez ses adversaires de la primaire sur son livre du Rêve français (paru fin août dernier aux éditions Privat)qui ne serait qu'une compilation de discours alors qu'on attendait un « vrai » livre de lui. Mais n'est-ce pas un choix de sincérité, un acte civique et de gauche, que de transmettre aux Français les pièces publiques d'un parcours politique, à un moment où l'économie médiatique se contente de diffuser telle ou telle petite phrase et jamais des extraits substantiels d'une pensée politique - laquelle est là pourtant pour éclairer le pays à l'heure des choix et après ? Dans ces discours jalonnant un itinéraire cohérent et fondé, on y lit à la fois une détermination à aller jusqu'à la victoire et à l'obtenir sans concession sur l'essentiel, c'est-à-dire d'abord la gauche, la gauche débarrassée de ses faux semblants et de ces poses idéologiques qui ont fait perdre les socialistes plus d'une fois.
Le Rêve français ne met pas seulement à disposition des Français les discours de campagne de François Hollande. Ceux-ci sont précédés d'un entretien qui, à lui seul, pourrait constituer la matière d'un livre politique comme certains de ceux qui ont été publiés en vue des primaires socialistes. On se permettra de conseiller à ceux qui s'interrogent sur les qualités d'homme de gauche de François Hollande de lire Le Rêve français. L'écrit oblige. Le candidat ne se prononce pas à la légère. Il médite ses réponses sachant qu'avec elles il s'engage devant les électeurs de gauche comme devant les Français. Il est encore temps de lire cet entretien (auquel j'ai participé et que je connais bien pour cela) et de se faire une idée des convictions de gauche de François Hollande, loin du « buzz » et des « petites phrases ». La première question posée, et sa réponse, comme l'introduction générale du livre, disent déjà la manière dont il conçoit son action présente et future *.
Ces valeurs de gauche qu'il souhaite porter avec sa candidature, elles sont non seulement conformes à ce qu'un socialisme responsable et réformiste a historiquement apporté à la France et à l'Europe, mais capables aussi d'unifier la gauche dans la difficile bataille pour gagner en 2012 et pour gouverner aussitôt et, avec la même importance, et à même encore de redonner aux Français un sentiment de confiance en eux et dans leur destin commun. Il ne s'agit pas bien sûr d'imposer la gauche à tous les Français, mais de dire que la gauche défendue par François Hollande peut restaurer une adhésion individuelle et collective à la politique. Elle peut redonner à la République sa dimension sociale et démocratique qu'elle a perdue. De cette confiance retrouvée sortiront peut-être, à droite même, d'autres programmes, d'autres leaders que ceux qui, aujourd'hui, ont affaibli le pays et la société en prétextant les réformer. La mission historique de la gauche incarnée par François Hollande est précisément d'œuvrer à ce que les Français se rassemblent autour d'un projet de démocratie nouvelle, comme la gauche se rassemblerait sur un devoir qui la dépasserait et la représenterait en même temps.
Aussi le choix en faveur de François Hollande dimanche est-il un choix de gauche, à l'opposé de ce que l'on cherche à faire croire. Je ne dis pas que Martine Aubry ne soit pas de gauche ; ce sont des procédés auxquels je n'accorde pas de valeur, ils n'ont pas leur place ici. Je pense surtout qu'il y a plusieurs gauches, et celle que porte François Hollande, par sa cohérence, son parler-vrai, l'avenir qu'elle trace (le rêve français, une présidence républicaine, ..) et les moyens qu'elle se donne (la révolution fiscale, la reconnaissance de la jeunesse, ..), est capable de rassembler la gauche et de gouverner le pays. Etre de gauche aujourd'hui fait obligation de responsabilité, de gravité, de conformité avec soi-même, de ténacité, de raison. La candidature de François Hollande est construite depuis plus de deux ans. Les électeurs de premier tour de la primaire l'ont du reste reconnu en le plaçant en tête des candidats. Il faut méditer toutes ces données à l'heure du choix, voir le paysage en grand dimanche.
La primaire socialiste doit déboucher sur une victoire de gauche à l’élection présidentielle. Une victoire sans compromissions. A cette condition seule l’espoir démocratique que cette consultation inédite a fait naître sera réalisé. Avec la conviction qu’il assume d’une gauche responsable et rassembleuse, François Hollande est bien placé pour le faire. Mais il faut qu’il sorte vainqueur dimanche prochain.
Vincent Duclert,
auteur de La gauche devant l'histoire. A la reconquête d'une conscience politique, Paris, Le Seuil, 2009.
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« En quoi la campagne pour l'élection présidentielle, qui vous voit déjà mobilisé depuis près de trois ans, deux ans en tout cas depuis votre discours fondateur de Lorient de juin 2009 -le premier qui ouvre ce livre-, sera-t-elle être décisive ?
François Hollande. - Une campagne présidentielle est une rencontre avec les Français. Je veux qu'elle soit la plus accomplie possible parce que nos concitoyens éprouvent un sentiment d'abandon. Leur situation s'est profondément aggravée, alors qu'on leur promettait plus de sécurité, plus de prospérité, plus de probité. Il est temps de s'occuper d'eux. Je m'y emploie depuis deux ans et je continuerai jusqu'au dernier jour de la campagne, si bien sûr les socialistes me choisissent pour candidat. Et si je suis élu, je demeurerai dans cet état d'esprit.
Dans ce rendez-vous se joue quelque chose de plus important encore : leur retour à la politique. On connaît les taux d'abstention, la montée du Front national, le désenchantement civique, mais on mesure mal le divorce qui s'est prononcé entre les Français et leurs élites. La démocratie est atteinte, quand est fait le constat de l'impuissance du suffrage. L'idée majeure qui m'anime, c'est de restaurer la confiance.
La gauche a largement contribué à la définition politique de la France en posant la question de la société, du travail, des injustices et des inégalités, en affirmant que le « prolétariat » pour reprendre le vocabulaire du temps, avait droit à la liberté, au progrès, à la dignité, comme tous les autres citoyens. Jaurès a été l'un des artisans de cette pensée socialiste, généreuse, pacifique, universelle. La gauche n'a pas toujours été au rendez-vous de l'histoire. Elle a, comme ses adversaires du reste, méconnu la condition des femmes, elle a participé aux guerres coloniales, elle s'est montrée parfois frileuse face aux puissances de l'argent, elle n'a pas toujours été vertueuse malgré les principes qu'elle portait. Mais elle a accompli, à chaque moment, son devoir ; celui d'apporter des chances égales à tous, celui de défendre la justice partout où elle était menacée, celui de promouvoir inlassablement la cause des libertés individuelles et politiques.
Au début du XXIe siècle, les socialistes ont encore et toujours à servir notre pays. C'est le sens de mon engagement. J'entends demeurer fidèle à des idées qui justifient mon action et l'entretien d'aujourd'hui. »
(in Le Rêve français, Toulouse, éditions Privat, août 2011, pp. 15-16)