Pour les militants du Parti socialiste, appelés, jeudi, à désigner le prochain premier secrétaire, la responsabilité est grande. La question pour eux est peut-être de savoir qui personnalisera le socialisme français, puisqu’ils sont conviés à départager désormais, non des motions, mais des personnalités. Mais l’enjeu devrait être d’abord de se demander pourquoi le parti en est arrivé à la situation d’impuissance qui est la sienne, en face de la droite élyséenne d’une part, dans la gauche de l’autre, et pour ses militants et sympathisants enfin. Il me semble que le problème clef est celui de l’absence de politique. Les socialistes ne savent plus ce qu’est la politique. Comme ils représentent encore la formation majoritaire de l’opposition, ils bénéficient d’une rente de situation électorale qui leur assure des élus et des places. Mais cette relative bonne santé masque cette vérité : le fait qu’ils ont perdu la capacité de faire de la politique. Et cela pour cinq raisons essentielles. 1. Etre intellectuel est désormais très mal vu au PS, or on ne peut faire de la politique sans penser la société, le monde et l’histoire. 2. Penser la société n’est pas la préoccupation d’un parti essentiellement bourgeois qui s’est coupé des milieux populaire. 3. Penser le monde est la dernière préoccupation d’un parti incapable, par exemple, d’être représenté à la convention démocrate américaine. 4. Penser l’histoire est mission impossible parce qu’il faudrait questionner le bilan de François Mitterrand et sa pratique du pouvoir qui a corrompu la dignité de la politique socialiste. 5. Enfin, l’échéance présidentielle et l’obsession du pouvoir dans un parti qui a oublié combien ses militants (ouvriers) ont souffert dans le passé du pouvoir découragent toute action individuelle ou collective pour d’authentiques combats politiques, au Parlement, dans les départements et régions, dans les municipalités, aux côtés des associations, des intellectuels, des sans-grades. Mais l’objectif principal semble être surtout la constitution d’écuries visant à décrocher l’investiture pour l’échéance présidentielle et à mettre le parti en ordre de marche pour le ou la candidate. Il y a bien, véritablement, le devoir de restaurer la politique chez les socialistes et la dignité d’une telle fonction qui se moque finalement des honneurs symboliques et de la séduction du pouvoir. Même si la référence est historiquement datée, on doit à nouveau rappeler que Jean Jaurès, qui constitue un modèle d’acteur et de penseur politiques, ne fut jamais à la tête d’un gouvernement (et ne faut jamais ministre), et que sa seule fonction politique de prestige fut d’avoir été brièvement vice-président de la Chambre des députés. Il ne méprisait pas le pouvoir, il soutenait ses amis et ses alliés gouvernementaux (dans les deux ministères Waldeck-Rousseau et Combes, entre 1899 et 1905), mais il estimait que sa responsabilité de socialiste exigeait de rester disponible pour tous les combats justes. Ce qu’il fit très largement. Aussi, qui des trois candidats est-il à même de permettre au PS de retrouver la politique ? Objectivement, Ségolène Royal, bien conseillée, a compris que le parti avait besoin, sinon de faire de la politique, du moins de s’ancrer dans de nouvelles configurations, à l’intérieur (rajeunir et augmenter le nombre de militants) comme à l’extérieur (se rapprocher du Modem de François Bayrou avec lequel des points de convergence existent, notamment dans la nécessité de défendre un certain nombre de libertés aujourd’hui menacées). Martine Aubry s’arcboute au contraire sur la vision d’un parti qui ne changera pas, parce que le changement la placerait logiquement dans une situation de faiblesse réelle, en face de ses rivaux et alliés notamment. Benoit Hamon tente de faire la synthèse du changement (par sa jeunesse et son tempérament, qui sont une très bonne chose) et de la fidélité à une vulgate marxiste qui nous ramène à Jules Guesde et son incapacité de construire au-delà de la seule opposition au capitalisme (et à la social-démocratie). Ségolène Royal serait donc la mieux placé pour donner au parti ce dont il a besoin ? Non pourtant, parce qu’elle l’ancrerait dans une seule logique, celle de la future présidentielle, et qu’elle accentuerait de ce point de vue la perte de politique qui fait actuellement périr le socialisme. La présidentielle n’est pas une politique. A cela s’ajoute l’instrumentalisation qu’elle semble faire des jeunes de son équipe et du besoin de changement. Elle-même ne peut prétendre incarner cette jeunesse en politique puisque sa carrière commença dès 1982 lorsqu’elle entra dans le cabinet de François Mitterrand à la présidence de la République et qu’elle fut plusieurs fois ministre. Si elle revendique effectivement un rajeunissement des dirigeants du parti, elle devrait s’effacer pour le poste de premier secrétaire devant un ou une plus jeune de son équipe. Il est tout à fait possible de faire de la politique sans être chef de parti, à condition toutefois de ne pas réduire la politique à une simple ambition présidentielle. La victoire de Martine Aubry serait, on l’a dit, celle d’un certain conservatisme et du maintien, avec elle, d’une génération qui perdu cette volonté de la politique au profit des jeux d’appareils. Du moins son arrivée à la tête du PS ne préempterait-elle pas irrémédiablement le futur. Une forme de statu-quo permettrait à de nouveaux leaders d’émerger et se faire entendre à l’intérieur comme à l’extérieur du parti, elle permettrait de retisser les liens de la politique et de la sociabilité socialistes, et elle permettrait au PS, enfin, de faire la lumière sur son histoire et d’en tirer les leçons pour l’avenir. Et ensuite, seulement, de penser à la présidentielle, armé cette fois d’une force collective, politique et intellectuelle qui lui manque aujourd’hui. Vincent Duclert
Billet de blog 18 novembre 2008
PS. La responsabilité des militants
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