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Billet de blog 22 juin 2011

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Le naufrage du RER (A)

Les amis de Rue 89 ont publié le 21 juin une tribune que je leur avais adressée sur la situation du RER. Voici le texte intégral de la tribune. Parmi les commentaires des « riverains », certains sont bien intéressants (particulièrement celui qui recense les annonces aseptisées, généralement contradictoires entre elles ou complètement incohérentes, répandues dans les gares et dans les trains lors des incidents – c’est-à-dire tous les jours). Les lecteurs de Mediapart peuvent à leur tour témoigner et réagir. Cette tribune est faite pour cela.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les amis de Rue 89 ont publié le 21 juin une tribune que je leur avais adressée sur la situation du RER. Voici le texte intégral de la tribune. Parmi les commentaires des « riverains », certains sont bien intéressants (particulièrement celui qui recense les annonces aseptisées, généralement contradictoires entre elles ou complètement incohérentes, répandues dans les gares et dans les trains lors des incidents – c’est-à-dire tous les jours). Les lecteurs de Mediapart peuvent à leur tour témoigner et réagir. Cette tribune est faite pour cela. La protestation finira bien par toucher le président de la RATP et au-delà l’hyper-Président qui s’était engagé en 2008 pour une sortie de crise du RER. Les résultats dépassent toutes les espérances….. « Merci pour votre compréhension ! » : cette formule qui achève – c’est le cas de le dire – les messages formatés censés informer des incidents répétitifs du RER est une belle invite à tenter de comprendre la faillite d’une belle idée. Quant à la traduction politique à donner à ce système de défaillance et d’impunité, chacun la fera sienne.

V.D.

Le naufrage du RER A : Un désastre politique

Mardi 21 juin, les RER A et B ont subi une nième grève de conducteurs soucieux de leur pouvoir d’achat, après celle du 13 mai dernier, après celle restée dans toutes les mémoires des 18 jours de blocage en décembre 2009 ****. Les conducteurs grévistes réclamaient une prime supplémentaire résultant de la hausse du trafic. Le million et plus de voyageurs quotidiens de la ligne A, auxquels s’ajoutent ceux de la ligne B, n’ont pas fait grève quant à eux mardi. Ils ont assisté, impuissants, à une nouvelle détérioration de leurs conditions de voyage et de vie, après toutes celles qui s’accumulent depuis 2006 comme l’avait reconnu, dès mai 2008, le président de la République *, promettant qu’il allait se saisir personnellement du dossier. Le pire pourtant n’était pas arrivé. Il est maintenant le lot commun des usagers affrontant chaque jour les incidents permanents d’une ligne dont la gestion au court comme au long terme défie l’entendement. Et si ce n’était que cela….

Un océan de problèmes, une mauvaise foi sans égal

Avant la grève annoncée du 21 juin, jour de la musique-jour de la galère, il y avait eu les retards inexpliqués et habituels, comme ceux du vendredi précédent (notamment sur les rames parties du terminus de Saint-Germain-en-Laye vers 10 h du matin), et la veille de ce jour, un de ces blocages monstres dont la ligne A est coutumière, et pas seulement en période de grève.

Jeudi 16 juin en effet, la RATP a annoncé avoir constaté en gare de La Défense un « dégagement de fumée sur des installations ferroviaires fixes vers 07H30 », selon l’AFP qui précise dans sa dépêche de 10h37 que « la RATP a engagé ses propres moyens avant de faire intervenir les pompiers pour procéder au désenfumage ». Conséquence de cette « avarie électrique » comme mentionné sur les panneaux d’information dans les gares du RER A vers 8h, une attente de 20/25 minutes sur les quais (branche St-Germain), l’arrivée d’un train surpeuplé, une progression chaotique de gare en gare, un arrêt des trains à Nanterre-Université, la masse des voyageurs du RER dirigée vers la ligne SNCF de Paris-St Lazare –laquelle gare fut totalement saturée, la traversée de la salle des Pas-perdus prenant une demi-heure au bas mot dans une cohue indescriptible, et l’accès aux lignes de métro s’avérant impossible tant la foule était dense. L’incident de la RATP en gare de la Défense a non seulement affecté les voyageurs du RER A, ceux de la ligne 1 également fermée à son terminus, mais aussi tous les voyageurs SNCF de la banlieue Ouest qui n’en pouvaient-mais. La reprise progressive du trafic a été annoncée vers 10h. Mais le « retour à la normale » fut bien plus laborieux. Le lendemain, une splendide affiche ornait les murs des gares de la ligne, dans les emplacements qui leur sont dédiés. On n’y apprenait rien de plus sur les raisons précises de l’événement ; on devait surtout se féliciter de la réactivité des équipes dépêchées sur place ; et à titre de dédommagements on recevait les excuses de la RATP pour « la gêne occasionnée ». Façon de parler, comme toujours sur cette ligne.

Car les conséquences pour des dizaines de milliers de voyageurs du RER n’ont rien à voir avec de la gêne. L’ « avarie électrique » constatée a engendré un doublement – au moins – du temps de transport, un changement de réseau (du RER à la SNCF) dans des conditions inimaginables, une arrivée à Paris dans une gare paralysée, un stress de tous les instants, des conditions de transport totalement corrompues, un bouleversement des existences, un sentiment de déclassement encore accru pour les plus faibles. Pour les cadres en nombre de la branche Saint-Germain, les conséquences d’un retard sont certes très désagréables, souvent pénalisantes, mais celles-ci ne conditionnent pas la survie dans un emploi par exemple ou la sérénité dans l’existence.

Et encore, ceux qui empruntent quotidiennement la ligne ont développé bien malgré eux des facultés de résignation ou d’accoutumance hors du commun, ou bien ils anticipent sur les problèmes en partant de chez eux 20, 30 minutes en avance, handicapant encore une vie familiale ou personnelle toujours plus modelée par les contraintes de la « banlieue » et les incompétences de la RATP versus RER. Mais quid du voyageur occasionnel, de la mamie avec sa petite valise et son chat allant prendre le train à Montparnasse, précipitée dans cette pagaille sans nom, livrée à elle-même ? Que dire de son désarroi ? La situation qui lui est faite, ainsi qu’aux étrangers qui viennent encore visiter notre beau pays et que la pagaille du RER frappe si arbitrairement, est proprement scandaleuse.

Tous ont des comptes à demander à la RATP, car il s’agit bien de comptes devant un triple naufrage de cette entreprise dans sa gestion du RER, triple naufrage qui s’apparente à un désastre politique. Ces comptes sont légitimes. Ils s’adressent à ceux qui, à la tête de cette institution, des ministères concernés et de la présidence de la République, sont responsables d’une situation qui transforme les usagers du RER en victimes d’un système particulièrement pervers, emblème d’une société d’indifférence et de soumission, monstre froid qui maintient inexorablement ses procédures de recouvrement alors même que le service pour lequel paie les usagers n’est pas rendu. L’exigence que la RATP montre à l’égard de ces derniers s’arrêt à sa porte. Un incident de prélèvement de mensualités d’un abonnement annuel Navigo Intégrale est suivi d’effets, un défaut constaté de titres de transport l’est aussi, les incivilités sont poursuivies par les agents de la RATP. Mais les faits représentés par l’état actuel de la ligne A (et largement aussi de la ligne B) sont-ils de la même manière sanctionnés ? Les manquements constatés au service ? Ils constituent pourtant des actes comparables d’incivilités répétées à l’égard d’usagers qui ont le droit au respect, à l’explication, aux réparations.

Les excuses « pour la gêne occasionnée » qu’adresse la RATP à ses « clients » (c’est le terme aujourd’hui pour parler des usagers) sur l’affiche susmentionnée ne sont pas recevables. Pour qu’elles le soient, il faudrait que ces incidents et la « gêne occasionnée » soient exceptionnels et que la RATP ait tout fait pour qu’ils n’aient pas eu lieu. Or, c’est bien le contraire qui se produit. Non seulement, les incidents (retards de train sur l’horaire prévu, changements de train inopiné en gare de Rueil par exemple, train « sans arrêts » alors qu’un train vient d’être supprimé, attente interminable dans certaines gares comme Nanterre-Préfecture, vitesse des trains oscillante entre 3 et 5 km/heures, séances d’accordéons avec démarrages suivis aussitôt d’un arrêt brutal, etc…) sont quasi-quotidiens, mais de plus la RATP apparaît incapable de trouver les solutions à cette immense dégradation du service (ceci expliquant la répétition des incidents) et se refuse même à dire la vérité à ceux qui en sont les victimes, persistant dans une communication minimale, caricaturale, ambiguë et biaisée, comme en témoignent l’affiche placardée le lendemain de l’incident du 16 juin dans les gares et qui est reproduite en bandeau de la tribune, mais aussi les déclarations apaisantes de la direction de la ligne – et fondamentalement scandaleuse comme je le démontrerai dans un instant.

La RATP, j’imagine, si elle daigne répondre à cette tribune, dira qu’elle n’est qu’en partie responsable puisque le RER est co-géré avec la SNCF dans le cadre du Syndicat des transports d’ile de France (STIF), qu’elle est consciente des problèmes et qu’elle met en œuvre de vastes plans pour en résorber les causes. C’est en général ce que la régie répond lorsqu’on lui écrit pour se plaindre d’un incident précis et particulièrement édifiant. Or, je constate que des incidents répétés affectent les tronçons RATP de la ligne RER A, depuis plusieurs années, et que rien n’est fait, ni sur la plan de la gestion du trafic que de celui de l’information sincère et objective des usagers. Les excuses demandées par la RATP relève du reste de l’aveu de responsabilité, mais une responsabilité en même non assumée, transférée même sur les usagers ! On rêve ….

Autopsie d’une « avarie électrique »

Pour comprendre ce constat, ce verdict et cet appel à demander réparation, il faut commencer par analyser cette fameuse « avarie électrique » du 16 juin 2011. Un cas d’école. Cette analyse se fonde sur les quelques informations livrées par la RATP, par une enquête de terrain auprès d’agents de la RATP (informations sous couvert d’anonymat), et par la mise en contexte des faits. Le dégagement de fumée n’est pas expliqué par la Régie, notamment dans son. De quelle fumée s’agit-il ? Comment l’expliquer ? Les agents interrogés expliquent qu’il s’agit vraisemblablement de papiers présents sur la voie qui se sont enflammés sous l’effet de la forte chaleur dégagée par le matériel électrique des rames. La responsabilité de la RATP est donc totalement engagée, à la fois du point de vue de l’état de propreté des voies que de celui du fonctionnement des rames. Il faut savoir que la majorité des trains qui circulent sur le tronçon RATP du RER A datent de l’ouverture Est de la ligne (alors même qu’elle ne traversait pas Paris) en 1969. Ce sont les rames MS 61 qui ont été rénovées, mais dont la conception date de plus de quarante ans (au départ, elles étaient bleues, elles sont maintenant bleues, blanches et rouges…). On peut comprendre qu’elles chauffent parfois…. Du reste, tout usager du RER a pu constater les odeurs de chaud, le bruit strident et inquiétant des freins. Mais de cela, la RATP ne semble pas très consciente, en tout cas quand elle s’adresse à ses clients.

Ces rames vieilles de quarante ans, c’est comme si, en ville et sur les routes de France, circulaient, encore aujourd’hui, des Renault 4 et des Peugeot 104, et en majorité qui plus est ! La conjonction des deux facteurs (état des voies plus vétusté des rames) rend ce type d’ « avarie électrique » et de « dégagement de fumée » bien moins exceptionnel qu’il n’y paraît. Mais communiquer sur cette expression de « dégagement de fumée », c’est suggérer un caractère d’incident exceptionnel, alors que la cause peut être facilement identifiée et les remèdes apportés. Il y a pire avec cet incident du 16 juin. Lorsque, jeudi vers 10h (après être parti de chez moi à 8h en empruntant la branche St-Germain), je suis finalement arrivé à la station de métro de Bercy, j’ai lu l’information suivante sur les panneaux électroniques d’information : « par mesure de sécurité, le trafic est perturbé sur les lignes A et 1 du métro ». Cette expression « mesure de sécurité » impressionne le quidam. On se dit que la RATP fait face à un incident majeur dont elle n’est pas responsable. Que doit primer le principe de sécurité. Mais s’il y a « mesure de sécurité », c’est qu’il y a au départ cette avarie électrique sur les installations de la RATP imputable à cette dernière. Le message diffusé dans l’ensemble des gares relève pour moi de la « soft » désinformation ». Et c’est ceci le plus inacceptable, la découverte que la RATP, en lieu et place d’informer les usagers, les manipule.

Durant cette désorganisation complète du trafic à une heure de pointe particulièrement dense, les connaissances apportées aux voyageurs en perdition ont été minimales, erratiques, contradictoires (les informations des conducteurs contredisant celles données dans les gares), et pour finir iréniques avec la fameuse expression : « par mesure de sécurité ». Dans les gares, le personnel était physiquement absent des quais, particulièrement en gare de Nanterre-Université où un effort de régulation des flux de voyageurs aurait été impérieux. En revanche, sur le réseau SNCF et en gare de Saint-Lazare « des salariés de la SNCF volontaires ont été dépêchés pour aider les voyageurs, a précisé la SNCF » (AFP). Il est vrai que la SNCF est présidée par un dirigeant de terrain en même temps qu’un gestionnaire avisé et un homme de dialogue, ceci expliquant peut-être cela. Je suggère du reste à Guillaume Pepy de demander à Pierre Mongin, président de la RATP, des dommages et intérêts pour les dégâts considérables occasionnés régulièrement à la bonne marche du service de la SNCF par l’impuissance de la RATP à s’occuper de ses voies de RER A, de ses trains et de ses voyageurs.

Un triple naufrage

Sur la base des incidents répétés, permanents, sur la ligne, qui transforme le temps du transport en épreuves, et finit par douloureusement affecter les vies personnelles, sans compter les conséquences professionnelles et le manque à gagner pour la collectivité de ces heures perdues et de ce stress accumulé, on peut établir que le RER A conjugue aujourd’hui trois naufrages : naufrage industriel, naufrage intellectuel, naufrage moral, lesquels définissent un désastre pour ceux qui en sont responsables, mais aussi pour ceux qui sont attachés au service public des transport ou à l’information publique des citoyens et qui assistent à leur agonie. Un désastre politique donc.

Le naufrage industriel est celui d’une entreprise qui a développé une ligne fleuron (voulue par le général de Gaulle) constituée du Réseau express Régional (RER) est-ouest mais qui a renoncé aux investissements nécessaires pour maintenir ce niveau d’excellence (sinon, pourquoi annoncer aujourd’hui ces investissements ?). Repeindre des trains vieux de quarante ans est une farce, sachant, en plus, que le confort qu’ils apportent aux passagers est déplorable (bruits stridents à l’arrivée du train, freinage brutal, absence d’air climatisé si bien que la traversée de Paris dans les tunnels s’apparente à un enfer sonore, surtout l’été quand on doit maintenir les fenêtres ouvertes, et bien sûr pannes fréquentes dites « avarie matériel »). La prévision de mise en service des nouvelles rames à deux niveaux « entre 2011 et 2014 », comme l’indique Jean-Marc Laisney, directeur-adjoint de la ligne chargé du transport dans Le journal de Saint-Germain **, témoigne de ce retard considérable pris dans la modernisation des matériels. Pourquoi si tard alors que la dégradation du service date de plus de cinq ans au mieux ? C’est la conséquence d’une politique globale où le commercial a tenu lieu depuis longtemps de politique de développement, au mépris des logiques industrielles qui avaient fait la fierté de la ligne à sa naissance. Le résultat est que les trains disponibles sont en nombre réduit et qu’ils roulent difficilement. Et une fois sur la ligne, leur gestion, notamment en situation de retard – c’est-à-dire la situation quasi-normale -, devient incompréhensible.

Le naufrage intellectuel est bien celui d’une gestion des trains qui défie l’entendement humain. On le constate lors de ces incidents si fréquents comme, par exemple, un retard de train finissant par une annulation dudit train. Mais, dans le même temps, passe le (ou les) train annoncé comme « sans arrêt », qui va probablement au dépôt faire un petit repos, et qui klaxonne à son arrivée dans les gares pour dissuader les voyageurs d’approcher – ces derniers imaginant que leur délivrance est proche et qu’ils vont montrer en rame. Autre déraison, celle qui consiste à maintenir les gares non desservies (Nanterre-Ville, Chatou,.. pour la branche Saint-Germain) alors que des retards importants affectent déjà la ligne. Tous ces retards, suppression de trains, arrêts prolongés, changements de trains, restent généralement inexpliqués ; on apprend seulement sur les moniteurs en gare « trains retardés ». Outre des trains bondés, pris d’assaut mais souvent inaccessibles (d’où des retards accrus pour les voyageurs qui doivent attendre les trains prochains-en-retard), la conséquence de cette gestion incompréhensible touche le voyageur dans son être le plus profond, c’est-à-dire dans sa capacité niée de comprendre ce qui lui arrive et dans sa liberté étouffée sous l’arbitraire de cette gestion inhumaine. Cette humiliation est d’autant intense que les informations sont parcellaires, que les conducteurs des rames communiquent très rarement. Et que lorsque la RATP consent à communiquer, elle euphémise la réalité ou elle manipule la vérité de manière éhontée, refusant de prendre ses responsabilités. C’est ce naufrage moral dont nous voulons parler maintenant.

Reprenons l’entretien déjà cité de Jean-Marc Laisney. Il est édifiant. Il correspond parfaitement aux éléments de langage servis aux usagers, pardon, aux « clients », depuis des années. En effet, les « perturbations du trafic » seraient dues, selon le directeur-adjoint de la ligne du RER A chargé du transport à la conjonction entre la complexité de la ligne et quatre ensembles d’incidents, les accidents voyageurs dont les malaises et plus tragiquement les suicides, les incivilités des voyageurs qui « sont à l’origine de beaucoup de perturbations », la découverte de colis suspects, et enfin « les intempéries, en particulier le froid (le givre et la neige collante) [qui] peuvent aussi interrompre la ligne en provoquant des incidents techniques paralysants (rupture de rail, de caténaire)….. ». Si la RATP « est consciente des difficultés rencontrées par les voyageurs et comprend leur mécontentement », elle ne voit pas le problème de sa responsabilité. On constate en effet dans cette version maison des perturbations que toutes les causes d’incidents sont étrangères à la RATP – laquelle courageusement fait face à tous ces incidents dont elle n’est pas responsable !

Le directeur-adjoint voit-il dans le nombre de malaise la conséquence des conditions inacceptables de transport ? Non. Le directeur-adjoint envisage-t-il que l’état des infrastructures puisse expliquer que des intempéries somme toute mineures, « le froid », engendrent de tels impacts sur des infrastructures qui ont fait leurs preuves ? Non. Le directeur-adjoint évoque-t-il les retards inexpliqués et si nombreux au départ des terminus (donc hors incidents de trafic), où l’intervalle entre deux trains n’est plus de 10 minutes mais de 15, de 20 minutes, d’une demi-heure ? Non. Le directeur-adjoint mentionne-t-il les changements de train sans préavis, qui font perdre 10 ou 15 minutes aux passagers ? Non. Le directeur-adjoint suggère-t-il que les conducteurs en grève, qui avaient promis au lendemain de leur échec de décembre 2009, de « continuer l’action sous d’autres formes » ***, puissent de temps à autre pratiquer ce que l’on appelle pudiquement « la grève du zèle » (entre deux épisodes de grève réelle) ? Non.

La RATP est droite dans ses bottes, annonçant fièrement les actions qui s’imposent. La suite de l’entretien égrène les mesures : les nouvelles rames (dont on a déjà parlé) qui n’arriveront qu’au mieux en 2012 (mais quand ont-elles été donc commandées ? En situation d’anticipation ou sous la pression du ras-le-bol général ?), « la mise en place de scénarii d’exploitation en situation perturbée » (ah bon, ceux n’existaient pas avant ?) et, pour finir, « la densification du programme d’entretien des infrastructures : voies, signalisations caténaires (à partir de 2013) ». Cela ne ressemble-t-il pas à l’aveu qu’un tel programme d’entretien n’existe pas, d’où la fragilité desdites infrastructures dès qu’arrivent les intempéries (le froid, et maintenant, pire encore, le soleil et la chaleur) ? Et pourquoi 2013 ? La réactivité de la RATP nous laisse sans voix. D’ici à 2013, bien des galères frapperont encore les usagers….

Quand la direction de la RATP acceptera de parler un langage de vérité, alors ses clients pourront entrevoir la fin d’un très long tunnel. Mais à lire cette prose qui couvre les affiches post-incidents, on est très loin de cette évolution. On est dans la communication et la déresponsabilisation. On est confronté au naufrage moral d’une entreprise publique naguère ambitieuse et exigeante. Les responsabilités existent mais c’est plutôt l’impunité qui règne, enveloppée de cette rhétorique délicieuse qui rejette les responsabilités de ce dérèglement généralisé sur la faute-à-pas-de-chance et sur les méchants-usagers-incivils-et-malades. Qu’ils se contentent de payer leur abonnement et de présenter leur titre de transport aux contrôleurs, ceux-là !

Un désastre politique…

Ce triple naufrage signifie un désastre politique dans la mesure où il concerne une entreprise à fonds publics, où un président de régie, un président de région et un président de la République ont affirmé haut et fort que les solutions seraient trouvées et que le pire est toujours pour demain, où des centaines de milliers de personnes sont livrées à l’errance d’un système sourd et obscur. Evidemment, cette affaire n’est en rien comparable à la situation de grande précarité de nombreux Français, où bien au sort des Japonais frappés par une catastrophe nucléaire sans précédent, ou bien encore au martyre des enfants syriens torturés dans les prisons de Bachar Al-Assad (notre « ami » fut invité en 2008 sur les Champs Elysées pour la fête nationale). Mais elle traduit la manière dont une collectivité perd sa confiance dans une institution chargée de la servir. Des élus locaux, des associations, ont décidé d’agir. Mais leurs voix se font difficilement entendre. Il s’agit donc que chaque usager sacrifié se fasse entendre et témoigne de ce que représente, au jour le jour, la vie d’un naufragé du RER. C’est aussi de la politique, de la conscience politique, celle de parler. Mais on ne peut pas toujours. Puisse cette tribune exprimer le sentiment profonde des usagers sinistrés et toujours citoyens…

Vincent Duclert

* http://lci.tf1.fr/economie/entreprise/2008-05/sarkozy-laisserai-passagers-otages-4880328.html

** « Quelles solutions pour améliorer le service ? », Le journal de Saint-Germain-en-Laye, vendredi 3 juin 2011, p. 4.

*** http://info.france2.fr/france/RER-A:-gr%C3%A8ve-termin%C3%A9e,-retour-%C3%A0-la-normale-lundi-59484155.html

**** L’ « Info trafic » du RER a donné des prévisions très fantaisistes pour cette journée de grève. 3 trains sur 4 sur le A et 1 train sur 2 pour le B. Résultat sur le A, un trafic normal en milieu de journée, mais plus d’une demi-heure d’attente aux Halles pour la branche Saint-Germain ou les branches Est. Quant au B, à la même heure, il était tout simplement fermé entre Gare du Nord et Denfert ! Résultat, la ligne 4 était complètement saturée : inutile d’espérer monter dans une rame. Le conducteur d’une d’entre elles nous a conseillé d’écrire au président de la RATP…. On le fait donc, à travers les sites Rue 89 et Mediapart. Merci à ces derniers. Et merci surtout à l’ « Info trafic » que le monde entier nous envie !

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