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Billet de blog 24 juin 2009

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Pour des Primaires... des idées

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A la tête du PS, Martine Aubry rencontre bien des difficultés à amener le socialisme vers sa rénovation. Contrainte de réagir à la proposition de la Commission Arnaud Montebourg-Olivier Ferrand en faveur de Primaires Populaires, elle a défendu un principe qui nous paraît néanmoins salutaire à condition que celui-ci soit sincère et qu'il ne vienne pas simplement en contre d'une opposition interne au parti : « ceux qui citent Obama oublient [qu'il] a gagné sur un projet de société. » C'est ce qu'on tente de dire notamment depuis que la thématique des primaires s'est présentée au PS comme seul enseignement de la campagne du candidat démocrate. Ségolène Royal et François Hollande s'essaient eux aussi à ce travail de fond, le second déclarant ainsi hier qu' « il n'y a pas de victoire s'il n'y a pas au préalable une conquête sur le terrain des idées » *.

La commission sur les primaires a donc rendu son rapport le 17 juin lequel est largement inspiré de celui de la fondation Terra Nova, « Pour une primaire à la Française », rédigé par Olivier Ferrand et Olivier Duhamel à l'issue d'un voyage d'étude aux Etats-Unis et rendu public le 26 août 2008. Le rapport du 17 juin, « Pour des Primaires ouvertes et populaires », commence sur un constat assez net des difficultés du PS : « les fonctions vitales (production d'idées nouvelles, opposition au pouvoir, mobilisation électorale) que devrait assumer le parti », ne sont plus correctement exercées. Il se poursuit sur une conviction censée résumer à la fois les problèmes et les solutions, « la crise de leadership » qui ne pourra alors être levée qu'au travers de l'organisation de ces « primaires ouvertes et populaires » étendues dans l'idéal à toute la gauche et à ses sympathisants. Ces primaires produiraient non seulement une triple « dynamique », « électorale », « militante » et « citoyenne », mais, de surcroît, elles ramèneraient le parti et vers l'unité et vers le projet cette fois pensé avec la société, par le débat, et en harmonie avec le parti dont l'un des problèmes clefs, selon les rédacteurs du rapport, est qu'il « vit sur un mythe : que le programme présidentiel est élaboré collectivement par le parti, et qu'on choisit ensuite un candidat à la primaire pour le porter. Cette croyance aboutit à une impasse car il est impossible d'empêcher chaque candidat à la primaire, quelle qu'elle soit d'ailleurs, ouverte ou confinée dans le parti socialiste, d'être porteur d'une ligne politique propre. En vérité, le parti doit proposer par l'innovation, la créativité, par le travail collectif, les éléments du projet, à charge pour les candidats de s'en emparer ou de s'en distinguer en les faisant valider par le vote des primaires. » Le rapport conclut sans réserves : « C'est pourquoi il faut arrêter dès maintenant le principe de la primaire, et reconnaître qu'elle permettra de trancher non seulement entre des personnalités mais aussi entre des lignes politiques et des programmes dont ces personnalités seront porteuses. »

Les propositions sont solidement articulées, proposent une dynamique, mais souffrent de toute une série de préjugés et de raccourcis dont les conséquences risquent surtout d'amplifier la crise des socialistes plutôt que de les entraîner dans la voie de la rénovation. Il s'agit d'abord du parti lui-même réduit à la seule fonction de machine électorale. Il s'agit ensuite du basculement dans une hyper-personnalisation des projets et des équipes comme si elle devait être la seule réponse des socialistes à l'hyper-président. Plus encore, elle adopte comme vérité absolue la transformation des institutions imposée par Nicolas Sarkozy alors que l'on pourrait aussi envisager une évolution faisant du président de la République un véritable chef de l'Etat incarnant la dignité de la fonction, l'impartialité de l'Etat et l'arbitrage, et redonnant au gouvernement les moyens de gouverner et au Parlement les moyens de légiférer et de contrôler. Il s'agit aussi de l'illusion de penser que les futurs candidats à ces primaires seraient assez sages pour s'investir dans les idées au détriment de la pose médiatique. Le spectacle actuel du PS en situation de primaires sauvages et permanentes devant l'opinion n'est pas là pour rassurer. Enfin, et c'est peut-être la critique la plus importante à cette proposition de « Primaires populaires », le point de vue de tout ramener aux candidats en déniant au parti la capacité de faire émerger des idées est au mieux naïf au pire cynique. Malins cependant, les auteurs rappellent dans l'extrait cité que le parti peut proposer des idées, mais pas un programme présidentiel.

Soyons clairs puisque le rapport ne l'est pas : le problème dont souffre le parti socialiste est celui d'une absence d'identité politique, de références morales, de vision du monde, de sentiment d'appartenance, d'espoir dans l'avenir. Ce n'est pas « un programme présidentiel » qui va réparer ces immenses déficits. Les socialistes dans leur ensemble doivent se redonner un « vivre ensemble » comme on dit, c'est-à-dire une pensée, en dehors de ces questions de présidentielles 2012 qui taraudent les ambitions. C'est la condition absolue pour pouvoir les gagner. Cela passe notamment par une mise au clair de leur histoire et de leur doctrine, un véritable Bad-Godesberg à la française cinquante ans seulement après celui des Allemands. Après cela, on pourrait effectivement réfléchir aux primaires. Encore une fois, redisons l'urgence de penser la réalité du monde pour un parti, des dirigeants et des intellectuels qui leur sont proches et qui aujourd'hui, ne retiennent de la campagne et de la victoire de Barack Obama que le cadre formel (« les primaires ») qui lui a permis de triompher d'Hillary Clinton. Obama, ce sont aussi et d'abord des livres, des discours, une compréhension de l'histoire américaine, du droit et de la citoyenneté, du monde et des siens, des pouvoirs et de l'opposition. C'est cela qui l'a fait gagner. On attend toujours les socialistes sur ce terrain-là **, et pas sur celui-ci du vertige technocratique. Pour le moment, l'initiative à gauche appartient surtout aux Verts, en témoigne la réponse de Cécile Duflot à Arnaud Montebourg, ici sur ce site (http://www.mediapart.frhttp://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/230609/lettre-d-une-ecologiste-pour-construire-l-espoi)

Vincent Duclert

* Cité par Libération, 24 juin 2009.

** Martine Aubry, toujours citée par le quotidien, prend l'exemple de François Mitterrand en expliquant : « c'est un énorme travail intellectuel qui a amené Mitterrand à Epinay ». Décidément, l'absence de distance critique à l'égard de l'ancien président est confondante. On pourrait s'attendre quand même à ce qu'on rappelle que cet « énorme travail intellectuel » est surtout l'héritage du mendésisme qui a permis aux socialistes français de partir en ordre de bataille avec une doctrine adaptée au monde moderne. Mais comme cet héritage n'a jamais été assumé, aujourd'hui la référence sans distance à François Mitterrand ne fait qu'accroître la crise. Je reviendrai bientôt sur le mendésisme, et je ne manquerai pas d 'ici quelques jours de répondre aux judicieuses remarques des lecteurs postées à la suite de mon billet « Petits matins au PS ».

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