En dépit d’une répression sans précédent depuis le déclenchement du « printemps arabe », la proclamation, hier vendredi en Syrie, sur le réseau social Facebook, d’ « une journée de la dignité », traduit bien le caractère de révolution démocratique des événements syriens. Les manifestants de Deraa, rejoints hier par des habitants de très nombreuses villes dont Hama écrasée par la répression de 1982, Lattaquieh fief du pouvoir, et même la capitale Damas pourtant quadrillée par les forces de sécurité et les omniprésents services secrets, ont défié l’une des pires dictatures du Moyen-Orient et même du monde. Bachar el-Assad a succédé en 2000 à son père Hafez qui dominait la Syrie depuis le coup d’Etat du 13 novembre 1970 l’installant définitivement au pouvoir. Le chercheur français Michel Seurat, qui avait enquêté sur le grand massacre d’Hama, qualifia ce système tyrannique d’ « Etat de barbarie ». Il a payé de sa vie, au Liban, là où Hafez el-Assad avait importé cette violence d’Etat et semé le chaos pour des dizaines d’années, l'expression de cette vérité scientifique *.
Et voici que des Syriens, des jeunes souvent, rejettent ce pouvoir tutélaire aux méthodes d’extrême violence (la répression à Deraa a fait plus de 100 morts depuis le début des protestations populaires le 18 mars, et des dizaines de morts ont marqué la journée d'hier). La contestation d’un « Etat de barbarie » est une première forme d’engagement démocratique. La revendication, comme l’écrit encore sur Facebook l’Union de la jeunesse syrienne, d’un « gouvernement de transition formé de toutes les composantes du peuple syrien », est un autre pas sur la voie périlleuse et nécessaire de la démocratie. Quarante ans de système oppressif n’auront pas réussi à extirper du peuple syrien la conscience de la dignité sociale et politique. Tout a commencé à Deraa lorsque des parents ont refusé la torture infligée à leurs enfants. Ils ont été rejoints, en cette « journée de la dignité », par des centaines d’autres Syriens tentant de submerger le blocus infligé à la ville (en prévision d’un vaste massacre comme à Hama ?) tandis que d’autres défilaient dans tout le pays, à visage découvert. Inimaginable et pourtant réel. On ne peut que se frotter devant un tel retournement de l’histoire. Il faut se mobiliser pour les Syriens. L’exigence de « dignité » est une cause universelle.
* Voir notre billet du 12 juillet 2008, sur ce site, écrit à l’occasion de la venue à Paris, à l’invitation de Nicolas Sarkozy, du président Bachar el-Assad, pour assister au défilé du 14 juillet :
http://blogs.mediapart.fr/blog/vincent-duclert/120708/la-syrie-a-paris-en-memoire-de-michel-seurat
Photographie Reuters