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Billet de blog 30 janvier 2010

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Gardes à vue. La France vit-elle toujours en démocratie ?

En 2009, la République présidée depuis deux ans par Nicolas Sarkozy ancien ministre de l'Intérieur, envoya légalement en cellule, par l'action des forces de police et de gendarmerie, 578 000 personnes auxquelles s'ajoutent les gardes à vue pour délits routiers.

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En 2009, la République présidée depuis deux ans par Nicolas Sarkozy ancien ministre de l'Intérieur, envoya légalement en cellule, par l'action des forces de police et de gendarmerie, 578 000 personnes auxquelles s'ajoutent les gardes à vue pour délits routiers.

Selon les chiffres du contrôleur général des lieux de privation de liberté, la France atteint les 750 000 gardes à vues. Matthieu Aron, dans son livre Gardés à vue (Les Arènes) avance le chiffre de 900 000 en intégrant les gardes à vue dans les DOM-TOM. Le 27 janvier, le ministère de l'Intérieur a reconnu le chiffre de 800 000 gardes à vue. Depuis 2003, elles ont été multipliées par trois. L'une des raisons de cette explosion du nombre de GAV serait la « culture du résultat » imposée aux forces de l'ordre et dénoncée depuis peu par les syndicats de policiers comme Nicolas Comte, secrétaire général de l'union SGP-Unité Police majoritaire parmi les gardiens de la paix, déclarant (Nouvel Observateur, 28 janvier 2010) : « Tant que le gouvernement nous imposera des quotas d'interpellations et nous mettra la pression par une politique du chiffre aveugle, on ne pourra pas exercer avec discernement ». Comme les abus commencent à être médiatisés, le gouvernement soudain se préoccupe des conséquences de la politique imposée aux forces de l'ordre, comme s'il n'en était pas le premier responsable. Mais si le débat public n'était pas venu sur ce terrain, il est fort à parier que le Premier ministre et le Garde des sceaux ne seraient pas placés dans la situation de se contredire ou de révéler une étranger conception de la responsabilité en politique.

Pourquoi cette question des gardes à vue préoccupe les Français ? Parce que de multiples témoignages recueillis par les titres encore indépendants de la presse et des médias font état de l'existence, dans la société française, de zones de non-droit, d'arbitraire, de violence et d'humiliation. N'importe qui peut en effet se retrouver soudain en garde à vue pour des motifs futiles ou, pire, pour s'être simplement enquis des raisons pour lesquelles, par exemple, un contrôle d'identité est pratiqué sur soi ou sur un autre. L'outrage est une arme absolue de l'enfermement légal puisque la parole d'un agent assermenté est toujours plus forte que la déclaration d'un interpellé. L'arbitraire ordinaire, quotidien, est entré dans nos vies. J'avais déjà, sur ce blog, évoqué cette dimension sociale de la privation de liberté et de l'humiliation instituée (La France et les droits de l'homme, 15 décembre 2008, http://www.mediapart.frhttp://blogs.mediapart.fr/blog/vincent-duclert/151208/la-france-et-les-droits-de-l-homme). Le statut de citoyen ou la qualité de personne ne sont plus reconnus, ce qui établit très précisément une réalité d'arbitraire. La sécurité qu'apporte un Etat par sa police et sa justice se mut en une insécurité au quotidien pour la population. La France de Nicolas Sarkozy est un pays dont on prive de liberté ses habitants et les étrangers présents sur notre sol (touristes, immigrés, réfugiés). Et qui plus est, de ces libertés fondamentales dont la France a été en partie la créatrice. Evidemment, on pourrait se dire que les gardes à vues subies par des Français auteurs de faits bénins ou simplement actifs dans leurs droits de citoyens les mettent simplement dans les situations des sans-papiers qui ne commettent d'autres crimes ou délits que d'être en situation irrégulière. Et pour ne pas parler des Français d'origine étrangère (ils sont nombreux), fréquemment renvoyés - lors d'interpellations ou de gardes à vue - à leurs conditions de minorité alors qu'ils sont censés être protégés par les lois françaises, ces dernières servant à cela.

Pourquoi cette question des gardes à vue préoccupe les Français à juste droit ? Parce que nombre d'entre elles ne respectent pas les fondements de droit sur lesquels est bâtie l'actuelle constitution et toute l'histoire de la République en France. S'écarter de la constitution définit l'arbitraire. Que dit la constitution ? Puisqu'elle constitutionalise la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen *, elle dit ceci, auquel se rapporte le préambule du texte adopté par l'Assemblée nationale le 26 août 1789.

PRÉAMBULE. Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d'exposer dans une déclaration solennelle les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme, afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous. [...]

ARTICLE PREMIER.

Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.

ARTICLE 2.

Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression.

[...]

ARTICLE 7.

Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l'instant ; il se rend coupable par. la résistance.

ARTICLE 8.

La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée.

ARTICLE 9.

Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.

ARTICLE 10.

Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi.

ARTICLE 11.

La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.

ARTICLE 12.

La garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique ; cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.

[...]

ARTICLE 15.

La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.

ARTICLE 16.

Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution.

[...]

Tous ces articles questionnent la légalité des gardes à vues résultant de l'interpellation d'une personne demandant le respect des droits fondamentaux, par exemple d'un autre interpellé, et des gardes à vue réalisées après le constat d'un délit mineur dont la faible gravité n'implique pas la « rigueur » qui a été utilisée pour « s'assurer de sa personne ». Tous ces articles établissent aussi le pouvoir des citoyens de demander le respect de leurs droits et « compte à tout agent public de son administration ». La « résistance à l'oppression » est même élevée au rang de principe constitutionnel. L'illégalité fondamentale est aggravée de l'ironie des situations de gardes à vue que les droits de l'homme et du citoyen condamnent et qui se déroulent dans des commissariats où s'affiche la Déclaration de 1789.

La garde à vue devient une peine de justice ordonnée par l'autorité administrative. Outre que le problème juridique majeur que pose cette réalité s'ajoute bien souvent le constat de la disproportion entre une peine et un délit. Or, parmi les valeurs qui définissent la justice dans un régime démocratique, il y a le principe définitif de proportionnalité des peines et des délits sur lequel repose notamment l'article 8 sur les « peines strictement et évidemment nécessaires ». Cela signifie que les gardes à vue des personnes suspectées de délits mineurs **, condamnées à l'issue de leur libération à des amendes de police ou à un simple rappel à la loi, violent ce principe essentiel de protection des personnes contre l'arbitraire, quelles que soient les autres législations qui pourraient rendre techniquement légales ces gardes à vues. Les « Principes fondamentaux des Lois de la République » couronnent l'édifice des droits et libertés. En 1971, le Conseil constitutionnel a rappelé leur autorité, en droit et en pratique.

La Constitution de la Ve République établit également, dans son article 66, que « nul ne peut être arbitrairement détenu » et elle ajoute, point essentiel, que « l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». Aujourd'hui, l'autorité judiciaire est menacée par les réformes gouvernementales visant à réduire l'indépendance de la justice. Demain, le respect des principes qui font la vérité d'une démocratie sera encore moins assuré dans la France de Nicolas Sarkozy. L'enjeu de la réforme de la justice concerne donc tous les Français mais aussi l'Europe, l'Union européenne, le Conseil de l'Europe et sa Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La France, qui est signataire de cette dernière, est régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme, notamment sur le dispositif de gardes à vue.

La situation de plus en plus dégradée de la démocratie en France fait obligation à l'opposition politique à Nicolas Sarkozy et à la droite qui le soutient de déployer dans les mois qui viennent deux combats. Un combat politique, comme tous ceux qui ont lieu depuis que la France constitue un espace démocratique où des valeurs de libertés sont acquises, partagées, où elles figurent la condition même de la vie politique moderne. Un combat éthique, parce qu'exceptionnellement, dans l'histoire de notre pays, il arrive que cet espace démocratique est menacé. Il convient alors de le restaurer, afin de revenir au fonctionnement régulier de la politique. Il convient de ne pas mélanger les deux combats. Mais la nécessité de restaurer la démocratie menacée est devenue impérieuse. Aura-t-on un jour un discours comparable à celui de Pierre Waldeck-Rousseau, le 28 février 1899 au Sénat, se dressant en pleine affaire Dreyfus contre une loi de dessaisissement de juges indépendants, refusant la montée de l'arbitraire ordinaire et quotidien, protestant au nom de la République contre le nationalisme ? Nous le souhaitons. Il serait désastreux pour la dignité de tous les Français que l'opposition s'en tienne à une possible victoire aux prochaines élections régionales.

M. Waldeck.Rousseau. [...]pour ma part, je me refuse à prendre la moindre responsabilité dans un vote qui ne peut qu'accroître les périls.

Est-ce le moment, le croyez-vous messieurs, de toucher à une seule des garanties du droit individuel ? Jamais il n'a été plus menacé.

Je voudrais être optimiste ; je ne le peux ; car une chose grandit et grandit sans cesser dans ce pays : c'est le pouvoir de la menace et de la calomnie, une sorte d'inquisition obscure ; elle est partout. Il n'est pas de fonction assez haute, il n'est pas de situation assez humble pour, si on lui résiste, échapper à ses coups. On fouille les généalogies, on viole le secret des familles ; ceux qu'on ne peut briser, on les salit. Est-ce le moment de diminuer l'autorité de la justice ?

Pour moi, messieurs, je m'y refuse. Je m'y refuse parce que je considère qu'on n'y touche pas en vain, qu'accroître en apparence les garanties d'une juridiction en les grossissant, ce n'en est pas moins encourager d'autres demandes et s'exposer encore à d'autres concessions. (Très bien I très bien !)

Nous en avons fait trop ; nous avons assez reculé, nous avons assez descendu ; remontons !

On faisait hier appel à ce sentiment français qui aime à se rappeler son passé, ce qu'il a été, ses grandeurs ; ce qui me préoccupe n'est pas de voir que nos institutions sont attaquées. Notre caractère national lui- même se trouve menacé.

Nous avons toujours été un peuple épris d'idéal et de raison. Nous étions avides d'égalité, et des prédications furieuses, exhumant, pour les vanter, des souvenirs qui sont la honte de l'histoire (Applaudissements à gauche), essayent de précipiter toute une partie d'un peuple contre une autre. Nous étions avides de justice et l'on a pu dire, sans que partout ce peuple frémisse, que contre le droit individuel, il peut y avoir des raisons d'État. (Nouveaux applaudissements.) Certains mots ont perdu leur sens : craindre qu'une erreur ait été commise, ce n'est pas obéir au plus noble devoir et au plus noble sentiment de l'humanité, non ; dans un certain jargon nationaliste, cela a été méconnaître la patrie. (Applaudissements à gauche.)

Vouloir réparer cette erreur, cela a été une forfaiture. Et voilà qu'on nous demande maintenant des tribunaux exceptionnels ou extraordinaires !

Il semble en vérité que certains actes soient oubliés et que certains souvenirs ne mordent plus au cœur comme autrefois les fils ou les descendants des proscrits de 1851. (Bravos et applaudissements sur les mêmes bancs.) Je me refuse à amnistier le passé ; nous ne fournirons pas aux réactions de l'avenir un précédent républicain. (Nouveaux applaudissements à gauche. Protestations.) M. le comte de Maillé. Vous avez dû bien souffrir lorsque vous avez voté la loi d'épuration sur la magistrature qui a été la faute la plus monstrueuse du parti républicain. (Très bien ! très bien ! à droite.) M. Waldeck-Rousseau. On a parlé de l'opinion... Je réponds : Parlons de la justice. Je dis qu'il n'y a pas d'opinion quand il s'agit de la justice ; je dis, en outre, qu'il ne faut pas prendre pour l'opinion de la France les clameurs de quelques professionnels. (Vives approbations à gauche.) Je dis à mon tour : Des hommes politiques ne doivent jamais considérer le moment présent : I1s doivent regarder l'avenir ! Oui : L'opinion est mobile. Oui : Elle a des retours soudains et irrésistibles... Et ce qu'elle pardonne le moins, ce sont les fautes qu'elle a commises parce que ses représentants les lui ont laissé commettre. (Applaudissements répétés sur un grand nombre de bancs.) Je ne sais qu'un moyen, de ne pas se tromper et de ne pas la tromper, c'est d'écouter d'abord sa conscience ; c'est ensuite de lui obéir ! (Longs et bruyants applaudissements. -L'orateur, de retour à son banc, reçoit les félicitations d'un grand nombre de ses collègues.)

Vincent Duclert

* Préambule. -Le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la constitution de 1946.

**Voir différents témoignages, notamment ceux livrés par Le Canard Enchaîné (le 10 décembre 2008), celui de l'ancien directeur de la publication du journal Libération,Vittorio de Filippis,interpellé le 28 novembre 2008, ceux qui furent réunis dans Libération par Didier Arnaud dans l'édition du 12 janvier 2009, celui publié par Le Monde le 28 janvier 2010. D'après Matthieu Aron (interrogé sur France Inter le 1er février à 13h15), un gardé à vue sur douze est ensuite incarcéré.

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