Le musée Maillol présente une exposition sur les Etrusques. Si, comme tout intellectuel parisien, vous êtes enclin à faire du snobisme partout, vous vous précipiterez à cette exposition. Anéfé, pour qui apprécie l’antiquité gréco-romaine, les Etrusques représentent sinon l’apex, du moins le berceau de l’art méditerranéen. Les Romains étaient certes de braves soldats, mais leur art ne consiste qu’en de pâles imitations de la statuaire grecque (voir par exemple la galerie des offices à Florence qui n’est qu’une longue litanie de copies, au demeurant acceptables). Ces copies étaient la plupart du temps des commandes impériales, ou bien de riches patriciens qui se la p… or rien n’est plus ennuyeux que l’art officiel.
On attribue la victoire des Romains sur les Etrusques au fait que les Etrusques étaient dispersés dans la Toscane actuelle en douze villes-royaumes, sans administration centralisée. Les petits artisans des dodécapoles étrusques étaient -ou même sont- infiniment supérieurs aux pompiers romains, étant entendu que leur art est entré dans l’éternité. A y bien réfléchir, l’art étrusque est un art de gauche.
Cependant, cette exposition sur les Etrusques nous rappellera une chose que vous verrez dans l’exposition, et une que vous n’y verrez pas. Les Etrusques étaient passés maîtres dans la fabrication à la chaîne d’urnes funéraires standardisées. Le volume immense de la production a permis la transmission jusqu’à nos jours de ces portraits mortuaires étrusques qui font souvent les couvertures de livres ou les affiches d’exposition. Ces urnes étant standardisées, ne voyez pas dans les portraits des visages authentiques, sauf parfois lorsque quelque riche marchand pouvait faire sculpter son visage dans l’argile, avant de disparaître, comme peut-être dans cette phénoménale urne funéraire représentant un couple.
Il est à noter que les Romains méprisaient les femmes étrusques, le mot etrusca désignant même les prostituées, au motif que les femmes, chez les Etrusques étaient les égales des hommes, mais l’administration impériale eu vite fait de rétablir la suprématie du vir. Ce couple est visible à Volterra, dans le musée étrusque qui est le seul qui vaille la peine. N’avais-je pas annoncé un billet un peu snob.
Au musée de Volterra, on verra aussi le fameux homme debout qui n’est pas de Giacometti, mais d’un anonyme sculpteur étrusque passé néanmoins à la postérité.
La symbolique de ces corps étirés, 2300 ans avant Giacometti (ici à gauche) est affaire de spécialistes. Quand ils se seront mis d’accord sur la signification de ces corps allongés, on en reparlera ici.
Cependant, la pièce que vous ne verrez pas au musée Maillol est celle-ci :
Dans une vitrine discrète du musée de Volterra figure une sorte de gourde en forme de pomme de pin. Cette gourde reprend le motif de la pomme de pin, qui ornait les cimetières étrusques et dont certaines stèles ont survécu jusqu’à nous, comme celle-ci, visible également au musée de Volterra (c’est moi qu’a pris la photo).
Cette pomme de pin, taillée il y a 2600 ans est très émouvante pour un physicien visitant le dit musée. En effet, il y a quelques années, Stéphane Douady et Yves Couder ont résolu le problème de la morphogénèse des pommes de pin, en montrant que lorsque des petites entités (graines, florets, pétales etc.) poussent en se repoussant physiquement dans un volume fini (le bourgeon), la distribution de ces petites entités adopte spontanément un ordre dit phyllotactique constitué de spirales contra rotatives, appelées classiquement parastiques.
Ces spirales sont en nombre N et P tel que N et P sont deux nombres consécutifs de la suite de Fibonacci. (Laquelle suite est construite en formant chaque nouveau terme par la somme des deux précédents : 1, 1, 2, 3, 5, 8, 13, 21,34 …). Ce phénomène est un des plus commentés du « Grand Livre de la Nature», puisqu’il révèle que la morphogénèse, même en biologie, suit des patterns strictement mathématiques, universels sinon platoniciens.
Or, ce qui nous émouvra dans la pomme de pin étrusque, devant laquelle peu de visiteurs s’arrêtent, c’est que, il y a deux mille cinq cent à trois mille ans, un sculpteur étrusque ait observé les pommes de pins avec suffisamment de précision pour tracer des spirales contra rotatives, se croisant sur les florets qui formeront, dans la vraie pomme de pin, le pignon dans sa gaine. De surcroît, le sculpteur étrusque a utilisé le chiffre 13, pour sculpter sa pomme de pin (si, si, vous pouvez vérifier en comptant le nombre de spirales lévogyres), or 13 est bien un des nombres de la suite de Fibonacci, que l’on retrouve dans les vraies pommes de pin ; mais il a mis 15 spirales en sens inverse, alors qu’il en aurait fallu 8 ou 21. Cependant, il me semble remarquable assez, que le chiffre 13 ait été vu par ces sculpteurs naturalistes, ce qui trace un lien extraordinaire à travers le temps et l’espace entre les nécropoles Toscanes pré-romaines vascoïdes vieilles de trois mille ans, et le laboratoire MSC de l’Université Paris Diderot où officient Couder et Douady.
Pour finir sur Volterra, sachez que c’est la seule ville Toscane que vos jeunes enfants iront voir en courant, puisque c’est la ville d’origine des Volturi, les vampires de la série Twilight; ça c’est pour les petits snobs en herbe. Comme disait ma mère : "la pomme ne tombe pas loin de l'arbre". La pomme de pin, bien sûr.
Références:
http://www.museemaillol.com/expositions/etrusques/presentation/
http://www.comune.volterra.pi.it/english/museiit/metru.html
Stéphane Douady and Yves Couder, Phyllotaxis as a Physical Self-Organized Growth Process, Phys. Rev. Lett. (1992).