Dans un précédent billet, traitant de l’invention d’imprimantes 3D à imprimer des tissus vivants (voir un compte rendu ici http://news.cnet.com/8301-13772_3-20002741-52.html), j’ai fait preuve d’un peu de pessimisme : je doute fort qu’on parvienne jamais à créer des cœurs régénérés, prêts à être transplantés à un malade cardiaque.
L’idée de ces imprimantes 3D est due à Gabor Forgacs (chapeau). En remplaçant les godets d’encre par des solutions contenant des cellules de divers types, on peut imprimer des tissus vivants, comme on imprime une photo, puis en repassant couche par couche sur le même dessin, on peut faire de la 3D. Malheureusement des problèmes immenses se posent pour faire un cœur comme ça : champs d’orientation de fibres, répartition de nerfs et de vaisseaux sanguins irriguant le cœur, présence de colonnes charnues poreuses, de cartilages etc.
En fait, il faut pousser les idées jusqu’au bout pour s’apercevoir de leur inanité. Un cœur d’adulte complet est une structure composée de cellules de tous types, nerveuses, musculaires, endothéliales etc. Un cœur est en lui-même à peu près aussi compliqué qu’un organisme entier. Si l’on était capable d’imprimer un cœur à 3D, on serait en fait capable d’imprimer à peu près n’importe quelle partie du corps, et donc aussi bien une personne entière. Il y a quelques années, un condamné à mort a été congelé puis scanné intégralement, de haut en bas, en éliminant peu à peu par polissage toutes les couches successives de son corps (voir par exemple ici http://en.wikipedia.org/wiki/Visible_Human_Project).
A partir de ces fichiers, et d’une imprimante 3D, et si on suit vaillamment cette idée saugrenue, ce criminel condamné à mort pourrait être rebâti : on voit bien l’impossibilité d’un tel projet. Il est donc peu probable qu’on imprime jamais des structures très complexes, mais en revanche, un bout d’urètre, de vaisseau sanguin, de cartilage ou d’intestin, pourquoi pas.
Remarquez qu’il y a des indications que ce ne sera peut-être pas si difficile après tout, de régénérer un cœur : une équipe a dé-cellularisé un coeur de rat avec un détergent, puis l’a ré-ensemencé avec des cellules souches et placé dans un incubateur ; au bout de quelques semaines, le cœur battait tout seul dans le bocal (avec une puissance de battement = 5% de la puissance physiologique, mais c’est déjà ça !). (Tour de force réussi à l’IBN, voir ici http://www.ibn.a-star.edu.sg/)
Ne soyons pas trop pessimistes, certaines pistes plus modestes présentent aussi de réelles perspectives d’avenir. Par exemple, dans le domaine cardiovasculaire, il existe des pistes très prometteuses pour la fabrication à façon de morceaux de vaisseaux prêts à être greffés.
Il faut d’abord comprendre que la mortalité pour cause cardio-vasculaire représente environ 40% de la mortalité en occident. Dans cette mortalité, on trouve des causes systémiques qui touchent la vasculature de façon diffuse (hypertension, obésité, diabète etc.) qui font des dégâts progressifs, mais qui peuvent être très longs à s’installer (et laissent le temps de mourir d’autre chose). Et il existe des maladies aboutissant à un décès brutal par la défaillance d’un gros vaisseau. C’est le cas des infarctus (par sténose ou rétrécissement des artères coronaires), ou de l’AVC, par dilatation et éclatement d’une artère (anévrisme ; les anévrismes sont très souvent localisés aux bifurcations de tuyaux, d’ailleurs).
Dans le cas de la crise cardiaque par rétrécissement des coronaires, une solution d’urgence est l’opération préventive consistant à remplacer les coronaires bouchées par des segments de tuyaux artificiels, ou même des tuyaux naturels prélevés ailleurs. Le problème est qu’on ne peut pas prélever une artère, donc on prélève un morceau de veine, à un endroit où ça a peu d’incidence sur la circulation, et on greffe le morceau de veine à la place des coronaires.
Cette solution est efficace, et a fait ses preuves, mais elle n’est pas fiable à 100%, des complications surviennent dans 5% des cas, lesquelles sont souvent attribuées à une différence de compliance (c’est-à-dire d’élasticité) entre l’artère et le greffon (veineux). Les artères sont plus élastiques que les veines. A la jonction (suture) artéro-veineuse, de complexes effets de rebond visco-élastique, induisent progressivement des inflammations du tissu (potentiellement, et dans un nombre statistiquement faible de cas, mais quand ça tombe sur vous, c’est 100%). Un des problèmes est que, si la greffe ne prend pas ou est le siègte d’une inflamation, le taux de réussite au 2nd coup est beaucoup plus faible (ça passe en gros de 95% de succès à 25%).
Donc des recherches ont lieu pour fabriquer à façon des morceaux de vaisseaux sanguins du bon calibre, et ressemblant au maximum au vaisseau coronaire naturel. Des essais ont lieu avec des vaisseaux « tout artificiel » ; et depuis peu, des essais avec des vaisseaux « régénérés », obtenus par « ingéniérie des tissus ».
Au laboratoire MSC, Florence Gazeau et Claire Wilhelm utilisent des champs magnétiques pour faire ce genre de vaisseaux. Comment s’y prennent-elles ?
Elles partent d’une maquette de vaisseau en polysaccharides (sorte de polymère naturel sucré). Puis elles mettent en culture des cellules vasculaires (cellules endothéliales, pour un des couches de la paroi, cellules mésenchymateuses pour l’autre). Ces cellules sont nourries avec des grains (nanoparticules) magnétiques. Pour ceux qui sont terrifiés par les nanoparticules (puisqu’on a peur de tout de nos jours), voilà aussi à quoi ça peut servir, ça complètera votre information avec des infos utiles et moins angoissantes.
Or, les cellules gavées de nanoparticules, peuvent être déplacées avec des champs magnétiques (plus précisément, des gradients de champs magnétiques).
Donc « y’a qu’à » mettre un champ magnétique radial dans le tube, plonger le tube dans la culture cellulaire, et youpi, les cellules sont déplacées comme de la limaille de fer, et viennent se plaquer contre la paroi du tube-maquette.
Vous faites ça deux fois ou plus, avec les différents types cellulaire présents dans un vrai vaisseau, et dans l’ordre où vous voulez/devez déposer les cellules (les cellules endothéliales sont les dernières, celles qui « voient » la cavité du vaisseau). Et puis vous attendez que ça se lisse un peu, voire que ça digère la maquette, et vous avez obtenu un vaisseau artificiel, naturel.
C’est en très bonne voie de réussir. Des essais ont lieu in vivo avec des médecins qui greffent ensuite ça à des pauvres rongeurs, qu’on se dépêche de sacrifier et disséquer pour voir si la greffe prend. C’est de la recherche cardio-vasculaire, dans laquelle faut bien tuer des animaux, qu’est-ce que vous voulez.
Claire Wilhelm a reçu la médaille de bronze du CNRS pour ces travaux. Un jour on aura des greffons « sur l’étagère », prêts à servir pour remplacer les coronaires. Ça paraît plus réaliste que de refaire un cœur complet.
Evidemment, ces travaux requièrent des milliers d’essais, des milliers de cultures, des milliers de ratés, des nuits passées à attendre que « ça prenne », des milliers (disons plutôt des centaines) de lectures d’articles des copains pour savoir dans quelle sauce les cellules endothéliales se développent le mieux, des semaines de préparation des nanoparticules, des semaines d’imagerie des coupes, sans parler des greffes, de l’élevage des souris etc.
Faut avoir la foi. On l’a.
PS : J’ouïs dire ces jours-ci que le nombre d’abonnements sur Médiapart serait en hausse, ainsi que le trafic de curiosité de lecteurs intrigués. Aux nouveaux venus sur Médiapart je dis bonjour-bienvenue-comment tu t’appelles. Et j’en profite pour te dire que sur ce blog on trouve deux types de billets : des billets scientifiques ardus et angoissants, et pour se remettre, des billets faciles et rigolos. Etant chercheur au CNRS je m’abstiens de billets politiques, dans la mesure du possible.
Référence
S. L. J. Ng, K. Narayanan, S. Gao and A. C. A. Wan, “Lineage Restricted Progenitors for the Repopulation of Decellularized Heart,” Biomaterials, (2011).