Ma petite série de billets hispano-andalous a été interrompue par l’actualité. Cependant, tout y compris le tourisme, nous ramène à la politique et même, aux conceptions identitaro-racialistes qui ont percuté la rentrée. Démonstration.
Je comptais parmi mes billets touristiques, vous narrer la visite des reliefs karstiques de l’Andalousie.
C’eût été l’occasion de faire ensemble un peu de géologie. Qu’est-ce qu’un karst ? Un karst est un milieu géologique d’origine sédimentaire (accumulation de petites bêtes marines à carapace), formant des couches très épaisses de plusieurs centaines de mètres. Il convient donc, déjà, d’imaginer le nombre de millions d’années qui sont nécessaires pour qu’un fond d’océan accumule de telles épaisseurs de cadavres de petits organismes calcifiés. Au fil des millions d’années, ces roches se modifient sous l’effet de réactions chimiques et physiques, induites notamment par la pression exercée par la masse sur les couches inférieures. Ces réactions transforment la matière en une sorte de feuilleté contenant des roches réagies, en général plus dures que la roche qui n’a pas encore réagi (par principe, la pression a un effet net qui est de compacter les roches, donc de les rendre plus dures). La roche qui n’a pas encore réagi est encore très calcaire, et donc soluble dans l’eau.
Au fil des millions d’années, et tandis que les réactions se poursuivent, le déplacement des plaques continentales provoque des collisions géologiques, lesquelles vont induire des soulèvements des (anciens) fonds marins. Par exemple : la collision de l’Europe avec l’Afrique, va induire des soulèvements géologiques en Espagne, et le fond marin « andalou », va remonter de plusieurs centaines de mètres, devenant des plateaux et des Sierras. Un paysage analogue existe en France, par exemple dans les Gorges du Tarn, qui sont en réalité un ancien fond océanique qui s’est soulevé sous l’effet de la collision de la France contre la Suisse (1).
Cependant, le relief ainsi soulevé, se retrouve exposé à l’érosion, en particulier, à la lixiviation (c’est-à-dire à la dissolution et au drainage progressif par les pluies). Comme le relief ainsi soulevé est composé pour l’essentiel de roches calcaires, la pluie fait assez facilement de grandes trouées de roches dissoutes, dans le relief. Ça creuse à la vitesse phénoménale de un centimètre par siècle. D’où les falaises creusées du Tarn : on peut compter le nombre de siècles nécessaires au creusement, rien qu’en mesurant la hauteur des falaises (c’est très haut).
Et dans le même temps, on peut mesurer les vitesses de progression des plaques continentales, c’est la vitesse à laquelle poussent vos ongles. (Ainsi, quand vous allez aux Etats-Unis en avion, n’oubliez pas de diviser la vitesse de l’avion par la vitesse de croissance de vos ongles, puis de multiplier le résultat par la durée du vol, ça vous donne le temps mis par l’océan Atlantique pour s’ouvrir)
L’érosion des plateaux va donc créer le karst lequel exhibe des plateaux, tranchés par de larges saignées, au fond desquelles circulent des torrents qui descendent des dits plateaux. On aura reconnu la description des Causses, du Larzac, etc.
En Espagne, cette géologie a donné le fantastique paysage de Torqual, dans lequel des pierres plates semblent flotter en l’air, comme posées sur des petites colonnes.
De semblables montages naturels existent dans le Tarn appelés chapeaux de moines, qui sont plus difficile à voir, et moins spectaculaires que ceux de Torqual. L’origine de ces pierres plates, qui semblent empilées comme des assiettes prêtes à tomber, réside dans l’érosion différentielle des couches dures et des couches tendres plus solubles. L’eau, en dissolvant d’abord la pierre tendre, laisse apparaître, quasiment en lévitation, les pierres plus dures.
Alors me direz-vous où vient se nicher le délire indentitaire et racialiste ? Dans le Tarn, justement. En effet, les nostalgiques d’une France chrétienne, blanche et mérovingienne comme Richard Millet n’ont de cesse de rappeler la « beauté des croisades » et la « beauté de la reconquista » sur les Arabes (c’est écrit textuellement dans ses ineptes ouvrages). Or les belles gorges du Tarn émargent à ce passé glorieux et chrétien, puisque le centre névralgique des gorges du Tarn est le Village-Musée de Sainte-Enimie, à ne pas confondre avec Eminem.
Eminem est un chanteur qui a failli exister au XXIe siècle. Enimie est une princesse mérovingienne du VIIe siècle, fille de Clotaire II, et sœur de Dagobert.
Enimie étant d’une grande beauté, son père forgeait des projets de mariages arrangés (voir Françoise Héritier, Claude Lévi-Strauss etc.) qu’elle repoussait vaillamment. Soumise à de nouvelles pressions, elle implora Dieu de la libérer des manœuvres de son père. Accédant à ses prières Dieu la contamina de la lèpre (la vraie lèpre, pas la « lèpre des gender studies » de Richard Millet). Elle en fut horriblement défigurée, et ne présenta plus d’intérêt pour la soupirance. Cependant, elle trouva que c’était un peu dur, et pria à nouveau Dieu, mais cette fois de bien vouloir la guérir. Dieu lui indiqua une source en Lozère (laquelle n'existe que par le phénomène de karst) où elle devrait guérir ; elle s’y rendit et après quelques péripéties relativement répétitives (par quoi on devine que l’histoire est inventée et que Bertran de Marseille devait être un peu à court d’inspiration) elle décida de rester dans les gorges du Tarn, afin que les touristes puissent admirer finalement, et pour la faire courte, le village médiéval de Sainte-Enimie, et aussi remplir les caisses de devises (ah non, c’est vrai, on est passés à l’euro). Comme elle était guérie, elle en profita pour faire des miracles, et elle fut sanctifiée.
Sainte-Enimie est donc un village-musée dit « un des plus beaux villages de France », restauré de la première à la dernière pierre, et émaillé (c’est le cas de le dire) de plaques (émaillées) explicatives fort intéressantes, qui valent tous les cours de collège sur le Moyen-âge. Si en plus vous faites une balade en bateau et canoë, vous avez le cours de géologie en prime.
Dans l’église romane de Sainte-Enimie figure une statue de la Sainte, et au pied de la statue figure un livre de prières, dans lequel on peut lire :
Voici donc en résumé, ce qui reste de la France-chrétienne-mérovingienne si chère à Millet, et pour tout dire, apocryphe : elle est réduite à de la lotion miraculeuse anti-séborrhéique. Comment peut-on être nostalgique de ça, en 2012 ?
Les prières ne sont pas toutes drôles, cependant, et le respect s’impose néanmoins à celle lue en la petite église romane de Saint Chély, à quelques kilomètres de Sainte-Enimie.
Voici la prière :
Nous prierons donc pour une fois tous ensemble, juifs, musulmans, chrétiens et même non-croyants pour que la maman d’Eleonore et Valentin revienne, que leur papa et leur maman retrouvent un peu d’amour l’un pour l’autre et surmontent leurs difficultés de couple. M. Millet, qui fait l’éloge des assassins d’enfants, n’a pas d’enfants lui-même (erratum : il paraît qu'il a deux enfants; on se demande encore plus comment il est capable d'écrire ce qu'il écrit), et raconte avoir "peut-être" lui-même tué des enfants, ne sera justement pas convié à cette prière œcuménique.
Pour finir, un jeu à deux balles. Les Gorges du Tarn sont une merveille de bout en bout, et le village de Sainte-Enimie en est l’un des joyaux. Dans ce village se trouve une place au beurre, où les femmes venaient vendre leur beurre.
Laquelle place est surplombée par une maison à double encorbellement (c’est-à-dire que le sol dépasse de l’aplomb du mur). En général, les encorbellements médiévaux sont bourrés, entre les colombages, de torchis. A Sainte-Enimie, le mur est de pierre, sur les deux étages de l’encorbellement.
Question : comment les maçons du moyen-âge ont-ils réussi à faire tenir un mur de pierre en double encorbellement ? On gagne un livre de votre serviteur.
Références :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Sainte-Enimie
http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89nimie
(-1) C’est assez pratique de parler de "collision de la France contre la Suisse", mais en réalité, le processus géopolitique est induit par la géologie : c’est parce que les plaques ont créé les reliefs alpins, que les états se sont formé de part et d’autre des lignes de crêtes.