Les médias ont assez peu commenté une décision prise à l’Elysée, sur la pression des partisans du système des classes préparatoires aux grandes écoles : le droit opposable à une place en classe préparatoire (mais aussi en IUT). Ainsi, les « meilleurs » lycéens auront automatiquement droit à une place en classe préparatoire. Le seuil est fixé à 10%.
Cette mesure, typiquement française (en ce qu’elle touche au système de formation globalement, et par en haut, sans aucune flexibilité au niveau local, et sans aucunement prendre en considération le caractère personnel des choix de filières de formation), pose toute une série de questions que les observateurs feraient bien, me semble-t-il, de creuser.
-A quoi sert d’entretenir des filières universitaires, si on objective que les classes préparatoires sont la voie pour les « meilleurs » étudiants. (On entend constamment le radada habituel selon lequel il est bien d’avoir deux systèmes pour les élèves plus « polards » qui doivent rester au lycée à subir « la pression », d’un côté, et les élèves plus « autonomes » qui pourraient survivre dans le laisser aller généralisé de l’université (ahem) de l’ « autre : ce décret objective la foutaise de ce type d’arguments.
-Les 10% semblent fixés sur les notes au baccalauréat. C’est une habitude bien française de vouloir à tout prix rendre la sélection des gens extrêmement cartésienne. Est-il raisonnable de fixer des seuils aussi objectifs, qui en quelque sorte créent des couperets nocifs pour la société ? Cela ne va-t-il pas augmenter la pression sur les enseignants, les élèves, les directeurs d’établissements. Et simplement modifier l’image de soi de ceux qui seront exclus à quelques dixièmes de points près.
-Pourquoi 10% ? Par quelle extraordinaire coïncidence entre la pensée de la société, la politique, la biologie de l’apprentissage etc., et le système décimal, existerait-il un seuil de 10% d’individus appelés à avoir une « vie décente » suivant le mot d’un directeur de lycée expliquant aux élèves pourquoi ils doivent faire une classe préparatoire (verbatim).
-Ceux qui poussent à cette décision la présentent comme une mesure « de gauche », consistant à ouvrir démocratiquement les classes préparatoires, vers des élèves un peu justes scolairement issus de milieux difficiles, ou qui n’auraient même pas eu l’idée de postuler. Donc, l’accentuation du système d’apartheid universitaire existant dans un unique pays au monde appelé la Frâââânce, serait de gauche ? Sans même soulever le point technique à savoir que rien ne garantit que la petite tranche d’élèves qui échappaient auparavant aux classes prépas, mais qui y auront désormais droit légalement par le biais du 10%, seront issus des dits milieux défavorisés (si ça se trouve, on va bourrer encore plus les classes prépas de fils de profs etc.).
Modification éditoriale : il s'agirait des 10% de chaque lycée, ce qui pourrait effectivement avoir un effet "démocratisant".
-la règle ne tient comme d'habitude aucun compte des disparités entre lycées. On pourrait penser qu'elle puisse contribuer à les réduire, Cependant ces disparités étant de nature économique et urbanistiques, on imagine mal le public visé par cette règle organiser une stratégie de carte scolaire, comme le font les habitants du Quartier Latin. Il y aura donc des injustices, encore.
Bref, c’est ça la France. La mesure n’est ni de gauche ni de droite (et je ne fais pas moi-même de politique), elle essaie d’accomoder à la marge un système aberrant de double cursus, issu d’une histoire française, et qu’on rapièce comme on peut pour le rendre acceptable, moralement et humainement, et aussi pour le rendre un peu plus efficace dans ses objectifs.
C’est le syndrôme du menhir d’Obelix: la France écrasée par les menhirs, que l’on soigne avec d’autres menhirs. Ce serait tellement plus simple d’avoir un système unique, progressivement sélectif, et aboutissant à la formation des cadres de la nation issus naturellement de leur génération par l’écrémage progressif des examens, sans avoir à objectiver dès la terminale la race des meilleurs.