En visite en Espagne, le touriste est frappé par les chantiers à l’abandon, un peu partout. Il ne s’agit pas seulement de villas, dont la construction serait brutalement interrompue : de vastes programmes immobiliers sont arrêtés et des collines entières exposent le spectacle désolant de carcasses de béton mort défigurant le peu de paysage encore présent le long de la Costa del Sol. Discutant avec un chauffeur de taxi, celui-ci d’abord me confirme que les chantiers sont bien arrêtés en raison de la crise, puis d’un ton bas et douloureux, il m’apprend qu’il est lui-même charpentier, et qu’il a dû prendre un emploi de chauffeur de taxi pour survivre.
Le soir au restaurant, je laisse distraitement mon portefeuille sur le bord de la table : le patron se précipite et me dit « eso no señor, que se lo cogen y se van corriendo. No hay mucho trabajo » ; (Ne laissez pas votre portefeuille là, « ils » le prennent et partent en courant : il n’y a pas beaucoup de travail ). Rentré au chalet que nous occupons, je regarde canal 24horas (sorte de LCI locale), et n’ai pas la présence d’esprit de photographier pour mon blog le reportage sur les travailleurs saisonniers espagnols, qui font leurs bagages pour venir travailler en France. Compte tenu du taux de chômage très élevé en Espagne (25%), nombreux sont en effet les jeunes et aussi les moins jeunes qui viennent faire les récoltes et autres vendages chez nous. Une partie importante du reportage était consacré au contrat de travail, les journalistes insistant pour que ces travailleurs obtiennent un contrat avant d’arriver sur place, sous peine de subir mille misères et exploitations dans ce beau pays qu’est la France. (Faut aller à l’étranger pour se faire une idée de notre réputation)
Cependant, parmi tous les bâtiments laissés à l’état brut de béton, il en est un plus symbolique, c’est la grande place située au dessus du front de mer, à Nerja. Ironiquement, Nerja est connue comme « le Balcon de l’Europe » (voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Nerja, c’est Alfonse XII qui a donné cette appellation à la ville en 1885).
Au bord de la mer s’étend une fantastique esplanade qui est en fait une forteresse arabe arasée après la reconquista et transformée en promenade (on marche sur le château sans le savoir). C’est assez beau, n’étaient les pickpockets qui patrouillent en escadrilles de 3 le long du parapet.
A cent mètres de cette place, la mairie a fait construire une nouvelle esplanade, dont les travaux sont interrompus.
Cela donne un spectacle assez triste, tous les rez-de-chaussée étant murés, sur le pourtour d’une esplanade de plusieurs milliers de mètres carrés, laquelle aurait dû être un centre commercial très animé. C’est remis à plus tard . Inch Allah.
En vacances avec mes enfants, je les éduque à la fois aux joies du farniente et du tourisme culturel, mais aussi à prendre conscience de ce qui les attend, et de ce à quoi on peut avoir à faire face dans la vie. Entre la plage et le désastre, l'abysse et l'abîme, on n’échappe pas, en Espagne, à la démonstration.
Cependant, si nous avons poussé jusqu’à Nerja, c’est en fait pour voir ceci : à la sortie de Nerja sur la route de Maro se dresse une ancienne sucrerie en ruine, difficile à photographier depuis la route.
Ruiné par le désastre de l’emprunt russe, mon aïeul dut s’exiler et quitter sa Normandie pour devenir gérant d’une sucrerie dans la province de Malaga.
A l’époque, le boom économique industriel, c’était Malaga. Une légende familiale raconte qu’à Rouen, il allumait le feu dans la cheminée, avec des titres d’emprunt russe transformés en boules de papier, il en avait des caisses. Pour les jeunes qui ne sauraient pas ce qu'est l'emprunt russe, ni même ce qu'est l'URSS : au début du XXe siècle, la Russie tsariste lança un immense emprunt destiné à construire des lignes de chemin de fer transsibérien. Une révolution ayant eu lieu en Russie (dite bolchévique), les Russes décidèrent unilatéralement de ne pas rembourser l'emprunt (comme quoi, ça peut arriver) et des millions de boursicoteurs furent ruinés.
La véritable richesse, dit un proverbe arabe, c’est de savoir ce qu’on fera demain. Demain est incertain et même les vacances ont changé de couleur.