J’assistai un jour à une réunion de travail au cours de laquelle fut évoqué le nom de la DRH du CNRS : Mme Christine d’Argouges. A ma grande surprise, quelqu’un dans l’assistance, directeur de surcroît, eut ce mot : « c’est une d’Argouges, une grande famille du Cotentin ». Nous sommes certes devenus tous citoyens et même concitoyens à l’occasion d’un événement appelé Révolution et qui régla en principe la question de la place des aristocrates dans la société. Je dis en principe, car lorsqu’on voit le déferlement de gnan-gnance pipole à l’occasion de la naissance d’un bébé anglais moyen, et de l’abdication du roi des Belges, on se pince en se demandant si on n’a pas tous rêvé depuis 1789.
Mais revenons aux d’Argouges. Il se trouve en effet que les d’Argouges sont une « grande famille » du Cotentin, donc nous sommes pratiquement voisins (le pays Granvillais étant le seuil officiel du Cotentin). Mon grand-père était marchand de bois à Avranches, les d’Argouges étaient depuis le Xe siècle Chevaliers Normands, mais on est tous cousins de toutes façons. La famille d’Argouges est connue par la toponymie (village), la marque de chocolat et divers châteaux qui portent leur trace, éparpillés dans la Manche et le Calvados.
Dans mon coin, le château des d’Argouges est le château de Gratot, qui fut propriété de la famille jusqu’en 1771, puis fut vendu et tomba progressivement en ruines.
La morale de l’histoire est que ce château servait de grenier à foin aux agriculteurs des environs, et qu’un des paysans se prit d’affection pour cette belle ruine et décida de la racheter. Puis il confia le château à une association de bénévoles désireux de le retaper, et ainsi naquit le projet de restauration et d’ouverture au public. Le château est un comoda entre l’agriculteur et l’association ; je ne sais pas ce que ça veut dire, mais j’aime bien le mot. Le château est pittoresque et romantique à souhait, on y voit de très belles expositions de peintres locaux, comme Kim Rouch.
Cependant, la chute, c’est le cas de le dire, est que le château a donné à la France un topos qui fait des ravages dans les dortoirs de colos et les cours d’écoles : celui de la Dame Blanche.
La légende des d’Argouges raconte qu’en effet, une fée (c’est une allitération) vint à rencontrer un Chevalier d’Argouges et s’offrit à lui à la condition que jamais il ne prononce le mot « mort » (c’est une allitération aussi).
Il se trouva un soir que la fée tardait à se préparer pour descendre dîner et faire la fête avec les invités du Chevalier d’Argouges, lequel lança à sa fée qui lambinait en haut de la tour du Château de Gratot :
"Dame vous êtes bien lente dans vos besognes ! Seriez vous bonne à aller quérir la mort ?"
(On comprend d’ailleurs le Chevalier, c’est assez tuant d’attendre sa femme qui se pomponne, mais bon).
Le charme était officiellement rompu par le mot « mort », et la fée se jeta alors du haut de la tour, en sautant par-dessus la rambarde, et l’on montre encore l’empreinte de sa main sur l’appui de la fenêtre, ce qui ne laisse pas de sourciller le physicien moyen du CNRS.
Depuis lors, la Dame Blanche de Gratot apparaît sporadiquement au bord des routes (lesquelles sont fort mauvaises dans ce coin-là), à travers le brouillard du Cotentin (lequel est fort mauvais dans ce coin-là), en faisant hou-hou.
Le site officiel du Château de Gratot :
http://www.chateaugratot.com/fr/home_fr.htm
Site des chocolats Chevaliers d'Argouges :
http://www.les-chevaliers-dargouges.com/
Page Wikipedia d'Argouges :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Argouges#cite_note-5