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Billet de blog 25 juillet 2016

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Réflexions sur la Science contemporaine (1). Sur les épaules des gênants

La science se veut une activité cumulative, chaque chercheur ajoutant une petite pierre à l’édifice déjà construit par ses prédécesseurs. On connaît la phrase célèbre, d’Isaac Newton : « si j’ai pu voir plus loin, c’est parce que j’étais juché sur des épaules de géants » [1]. Ça c’est pour la carte postale, l’imagerie d’Epinal.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En réalité, le monde a évolué depuis Newton, la petite compagnie de chercheurs des temps anciens est devenue une armée planétaire, et les moyens mis à sa disposition sont de plus en plus gigantesques (au moins collectivement, sinon individuellement). Par ailleurs le champ individuel de chaque chercheur, pour reprendre le mot de Roger Caillois, s’est réduit par la spécialisation jusqu’à en devenir infinitésimal. On ne saurait tenir sur les épaules de qui que ce soit : sous nos pieds, ça grouille.

La compétition entre chercheurs, déjà sensible du temps de Gallilée, est devenue absolument féroce. En ces temps où l’on analyse le désir des psychopathes de faire quelque chose de « grandiose », il n’est pas sans intérêt de mentionner que ce désir de faire quelque chose de grandiose travaille les chercheurs depuis leur plus tendre enfance, et est constamment nourri par le « système ». Quel système ? Celui de la recherche et de la machine à progrès scientifique. La devise de l’école polytechnique n’est-elle pas « Pour la Patrie, pour les Sciences et pour la Gloire ».

 A la différence des « projets » des fanatiques  illuminés, type DAESH, la communauté des chercheurs suit un but intéressant, élevé, qui est d’arracher ses secrets à la nature. Cependant, cette poursuite acharnée a ses pathologies aussi, lesquelles sont connues : la fraude, le harcèlement, le burn out ou la dépression des scientifiques (je me souviens d’un jour où un collègue a failli me tuer à coups de scalpel). Une déviance radicale est cependant en train de toucher l’ensemble de la communauté scientifique à savoir la recherche à tout prix de « l’originalité ». Il devient très difficile de publier un article ou d’obtenir un financement, si l’on ne fait pas une démonstration jusqu’à l’absurde de l’ "originalité" de ses travaux. Ainsi, il est devenu impossible de reproduire des résultats, pour la raison simple qu’on ne publie plus jamais des travaux visant à vérifier le travail d’autrui : ce n’est pas original. Un échange confidentiel m'a opposé à un rapporteur anonyme qui ne veut que du nouveau dans un manuscrit, au point que cela devient gênant de citer le travail des collègues qui vous ont précédé. Or, suivant le mot de Paulhan : « le commencement de toute idée est l’idée d’un autre », et l’on ne peut cumuler des travaux que par l’extrapolation des travaux précédents. Les chercheurs sont donc confrontés à un double bind d’un nouveau type : faire du cumulatif, reproductible, extrêmement original, que personne ne reproduira.

Comme on le sait, le double bind rend fou, et parmi les symptômes de cette folie on peut observer les suivants : la tendance à ne pas citer les collègues qui font des choses qui vous ressemblent, surtout s’ils vous ont précédé, tendance connue dans le milieu comme « la conspiration du silence » (d’où le titre de ce billet, « sur les épaules des gênants »). Une autre conséquence est la production d’articles extrêmement léchés, où tout semble parfait, et dont toute forme d’erreur ou d’approximation doit être bannie. Ce qui conduit immanquablement à une forme larvée de fraude par excès d’exigences. Une troisième conséquence est une tendance à la personnalisation des résultats : dès qu’un résultat sort, il est attribué à une personne unique, et ceux qui gravitent autour sont anéantis (ce qui crée beaucoup de souffrances). Il y a quelques temps, Murray Gell-Mann, théoricien du Quark et prix Nobel avait eu ce mot hilarant : « si j’ai pu voir plus loin, c’est parce que j’étais entouré par des nains ». Cette boutade révèle malheureusement une triste tendance de la science actuelle, qui consiste à rabaisser les collègues, ces gêneurs. Même dans le monde merveilleux et brillant de la recherche scientifique, on voit poindre une course existentielle qui rend malade.

[1]Voir ici une analyse de l’origine de cette phrase http://enseignement-latin.hypotheses.org/6359

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