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Billet de blog 3 novembre 2020

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Covid à l’école : santé publique et santé mentale

Si des associations de pédiatres insistent à juste titre sur l'importance de la scolarisation, ils minimisent cependant les risques bien réels de contamination et évacuent complètement la culpabilité des enfants susceptibles de provoquer la maladie voire la mort de leurs parents ou grand-parents, de leurs enseignants.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Aussi bien en Belgique, l'auto-proclamée « Belgian Pediatric Covid-19 Task Force »1 qu'en France, la Société Française de Pédiatrie2 émettent des messages relatifs à un soi-disant « consensus » sur le fait que les enfants, et en particulier ceux de moins de 10 ans, ne contribuent pas significativement à la transmission du Covid-19. Les transmissions entre enfants, ou d’enfants à adultes, sont très peu fréquentes, disent-ils.

Hélas, de consensus il n’en est rien et de très nombreuses études donnent d’autres indications.

Les enfants, vecteurs de transmission aux parents et grands parents

Certes, il semble évident que les enfants sont souvent asymptomatiques ou développent pour la plupart une forme bénigne de l’infection mais cela ne limite pas pour autant leur rôle dans la transmission. Il y a lieu de clairement séparer maladie de transmission pour lesquels émergent des consensus que nous pouvons aujourd’hui résumer comme suit :

  • En ce qui concerne la maladie, « les enfants sont exposés à un risque d'infection similaire à celui de la population générale, bien qu'ils soient moins susceptibles de présenter des symptômes graves », conclut une étude du Lancet3, confirmée par d’autres travaux.

  • Par contre en ce qui concerne la transmission, le European Centre for Disease Prevention and Control4 indique que « lorsqu'ils présentent des symptômes, les enfants excrètent la même quantité de virus que les adultes et sont donc contaminants comme le sont les adultes". Les enfants seraient même plus contagieux comme l’indique une étude américaine publiée fin juillet dans JAMA Pediatrics5, selon laquelle le taux de matériel génétique du coronavirus détecté dans le nez d'enfants de moins de cinq ans est 10 à 100 fois plus élevé que celui trouvé chez des enfants plus âgés et des adultes. Différents graphiques montrant l’évolution de l’épidémie en croisant l’âge et le temps indiquent la contamination des plus jeunes vers les plus âgés.

 Et si l’on s’interroge sur les effets de la fermeture des écoles sur la pandémie, dans une récente étude, le Ministère de la Santé israélien6 indique que le fait de renvoyer les enfants à l’école à un moment où la mortalité liée à la Covid est élevée "pourrait accélérer la propagation du virus". Ceci va dans le sens d’une étude basée sur les interventions dans 131 pays7 qui indique que les interventions les plus efficaces pour baisser le R, et donc avoir un confinement plus court et efficace sont fermer les écoles et les lieux de travail.

Compter sur les enfants et les jeunes pour atteindre l’immunité collective ?

Quand un certain pourcentage de la population est immunisée contre un virus, c’est l’ensemble de la population qui est protégée car le virus ne trouve plus d’hôte, c’est ce que l’on dénomme immunité collective. Ce pourcentage dépend d’un virus à l’autre, il est de 90 à 95 % pour la rougeole ou moins pour d’autres virus. On notera que l’immunité collective est un concept de vaccinologie (c’est grâce à une vaccination qu’on y arrive) mais pas une stratégie de contrôle d’une épidémie8.

Néanmoins, certains ont émis des scenarii dans lesquels les enfants, puis les jeunes pourraient se laisser contaminer - puisqu’il y a peu de risques pour leur santé – et qu’ainsi peu à peu nous arriverions à l’immunité collective. Cette option ne tient pas la route pour de nombreuses raisons ; reprenons en trois :

  • Le fait que nous assistons à des contaminations de personnes ayant déjà été contaminées pose la question de la durée de l’immunité. Pour prendre un exemple, nous n’arrivons pas à l’immunité vis à vis de la grippe saisonnière, ce qui oblige à une nouvelle vaccination chaque année. En ce qui concerne le covid-19, nous manquons encore de recul et d’information pour comprendre cette question.

  • Si l’on considère que la létalité du virus9 est de 1,15 % et que nous sommes très optimistes en considérant qu'une immunité collective serait atteinte avec 50 % de la population et qu’il n’y a pas d’autres décès dus à l’engorgement des structures de soins, cela nous donne à minima pour la Belgique (11.000.000/2 *1.15%) 63.000 décès et pour la France (68.000.000/2 *1.15%), c’est à dire « au moins 400.000 morts supplémentaires à déplorer », chiffrait E. Macron dans son allocution du 28 octobre.

  • La question ne se pose pas qu’en nombre de décès mais aussi en terme éthique; car il faut bien le reconnaître, toute stratégie visant à l’immunité collective relève de l’eugénisme : laisser mourir les plus faibles, à savoir les vieux, les obèses, ceux qui souffrent de problèmes cardiovasculaires, d'hypertension, de diabète, de maladies pulmonaires chroniques, …

S’il y a un consensus scientifique10 de plus en plus large contre toute stratégie relevant de l’immunité collective, le consensus est loin d’exister au plan sociétal. Avec des concepts politiquement corrects (Protection Ciblée, Focused Protection11) ou des excès de langage (les mesures liberticides, en finir avec l’état d’urgence et d’exception12), patrons, complotistes et émeutiers se retrouvent alliés. Quant aux gagnants à long terme, nous les connaissons : ils peuvent compter sur un lumpen proletariat inépuisable et dont la traversée de la misère ou de la Méditerranée est moins tranquille que celle du capitalisme qui surfe sur les crises.

Inégalités et santé mentale

Les principaux arguments en faveur d’un retour à l’école « malgré tout » sont le fait que l’école, outre son rôle éducatif, est un lieu de socialisation très précieux. De plus, le confinement maintient les familles les plus défavorisées dans des espaces réduits, ce qui n’est pas sans maltraitance infantile ou conjugale. Il est clair que le manque de distance augmente le risque de péter les plombs. Il est clair aussi que sans soutien ou stimulation, le décrochage scolaire peut menacer.

On s’étonnera cependant de ne pas voir mentionnée la culpabilité de ceux qui auront mené à la maladie ou à la mort leur parents ou grands-parents. Dès la rentrée scolaire, Christian Drosten13 attirait l’attention sur les vacances de Toussaint : « Si je veux rendre visite à grand-mère et grand-père en toute sécurité avec les enfants, alors il serait bon d'y réfléchir »

Quant à la contamination des enseignants, elle pose très rapidement autant la question de la culpabilité que celle de la continuité scolaire.

Alors, on fait quoi ?

Il est étonnant de constater que la période estivale de répit n’a pas été utilisée pour mettre en place différentes mesures susceptibles de permettre la continuité de l’enseignement à l’école, ou à la maison si nécessaire.

  • La transmission par aérosol est insuffisamment expliquée. Pourtant, une fois comprise14, il est évident qu’il faut ouvrir régulièrement les fenêtres ou, comme l’Allemagne l’a fait, dégager un budget pour des purificateurs d’air.

  • Pourquoi donc avoir limité le port du masque aux enfants de plus de 12 ans ? Certes, les enfants plus jeunes peuvent le porter de manière imparfaite, mais c’est mieux que rien. Si la France est en passe de l’imposer à partir de 6 ans, d’autres pays le font bien avant : les grecs dès la maternelle, les Chinois à partir de trois ans, les Coréens à partir de deux ans,... ce que recommande le CDC et l’American Academy of Pediatrics15 : « Les enfants de 2 ans et plus ont démontré qu'ils pouvaient acquérir des compétences de base en matière de contrôle des infections (comme le lavage des mains et la distanciation physique), y compris le port d'un masque en tissu ». Mais qu’en est-il au plan psychique ? Marie Rose Moro16 estime que « les craintes sur les effets négatifs des masques sur les enfants ne sont pas justifiées » alors que d’autres psy17 y voient un « risque de nuire aux besoins d'expression de l'enfant sur le plan affectif, langagier, émotionnel, corporel ». Aucune étude n’existe à ce jour et il est douteux qu’il soit possible d’en mener une quand on sait à quel point l’angoisse de l’enfant est fonction de celle des adultes qui l’entourent. Et nous savons aussi à quel point les enfants peuvent être compliants de manière ludique quand on leur explique… avec foi.

  • En Chine, les enseignants ont inventé un jeu : les jeunes enfants construisent et portent des chapeaux fantaisistes aux ailes d’hélicoptère qui les empêchent d’être trop près l’un de l’autre.

Sans doute cela vaudrait la peine de faire le relevé de toutes les idées créatives qui circulent de part le monde, mais le plus important serait surtout de soutenir les communautés éducatives, parents et enseignants dans l’invention des meilleures manières d’éviter la transmission de la covid dans leur école. Si les ministères peuvent suggérer des protocoles, ceux-ci ne pourront jamais suffire. Comment limiter ici les contacts dans les classes, dans les couloirs, à la cantine ? Un établissement scolaire n’est pas un autre, l’épidémie peut être une excellente occasion de penser le rôle de l’école, d’imaginer des dispositifs créatifs… N’est ce pas le rôle des pouvoirs publics que d’impulser cet élan ? En laissant des marges de manœuvre au plan local, en mettant en avant et soutenant les bonnes idées.

Il en va de même pour la mise en place de programmes nationaux ou régionaux qui peuvent impulser de la créativité. On regrettera par exemple ce programme d’achat de PC18 alors que le recyclage d’ordinateurs obsolètes aurait pu offrir une excellente occasion pédagogique autour de l’obsolescence et des programmes open source.

Combien de fois faudra-t-il répéter qu’une pandémie se combat par l’ouverture à une vraie participation citoyenne et non à coup d'injonctions, quand bien même elles seraient empreintes des meilleures volontés ?

1L’Echo – 15/10/2020 "Les écoles ne doivent pas fermer une seconde fois"

2Société Française de Pédiatrie – 14/09/20 - Rentrée scolaire et covid19 : les enfants ne posent pas de problème !

3The Lancet – 01/08/20 - Epidemiology and transmission of COVID-19 in 391 cases and 1286 of their close contacts in Shenzhen, China: a retrospective cohort study

4European Centre for Disease Prevention and Control – 06/08/20 - COVID-19 in children and the role of school settings in COVID-19 transmission

5Jama Pediatrics – 30/07/20 - Age-Related Differences in Nasopharyngeal Severe Acute Respiratory Syndrome Coronavirus 2 (SARS-CoV-2) Levels in Patients With Mild to Moderate Coronavirus Disease 2019 (COVID-19)

6Time of Israël – 22/10/20 - Les enfants seraient plus susceptibles d’attraper la Covid que les adultes

7The Lancet 22/10/20 The temporal association of introducing and lifting non-pharmaceutical interventions with the time-varying reproduction number (R) of SARS-CoV-2: a modelling study across 131 countries

8The Lancet 15/10/20 Scientific consensus on the COVID-19 pandemic: we need to act now

9Imperial College London - Report 34 - COVID-19 Infection Fatality Ratio Estimates from Seroprevalence

10The John Snow Memorandum

11La Déclaration de Great Barrington

12Tribune parue dans Libération du 27 octobre. Ferghane Azihari, un des signataires tweetait le même jour « Je vais dire ce que les gens pensent tout bas. Si le prix pour ne pas reconfiner, c'est de voir certains de nos proches mourir faute de place à l’hôpital, alors, c'est un prix tragique qu'il faut payer. » Voir son débat avec Monique Pinçon-Charlot « Interdit d'interdire : Le paradis des riches et l’enfer des pauvres ? »

13Expert allemand, dans son podcast du 1ier septembre Masques, immunité, mutation, 2e vague, percolation, Japon, quarantaine, tests. Podcast #54.

14 A la suite d’une étude réalisée par l’université technique (TU) de Berlin. Une vidéo montre comment les aérosols produits par un seul élève contaminé peuvent se répandre dans une classe fenêtre fermée : en 2 minutes seulement, un nuage de ces particules propagatrices du virus a envahi la salle… Dauerlüften, Luftfilter – wie umgehen mit den Aerosolen in Innenräumen?

15CDC 17/09/20 - Help Stop the Spread of COVID-19 in Children // American Academy of Pediatrics. Cloth Face Coverings 2020

16Libération – 8/09/20 Marie Rose Moro pédopsychiatre à l’hôpital Cochin, explique que les craintes sur les effets négatifs des masques sur les enfants ne sont pas justifiées. Et sur yapaka.be, par exemple Quand le jeu devient objet de jeu avec le bébé

17Libération 01/11/20 - Port du masque à 6 ans : avons-nous perdu (l’âge de) raison ?

18RTBF 29/10/20 - Coronavirus en Belgique : 10 millions d'euros pour des ordinateurs dans les écoles en Wallonie et à Bruxelles

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