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« Carnet de culture » est un blog personnel que j’anime sur Le blog de Médiapart. Dans ce dernier, je souhaite donner la parole aux acteurs, aux entreprises et institutions du monde culturel. Celui-ci est riche en initiatives qui profitent le plus souvent à tous. C’est aussi un monde en permanente mutations, sensible aux évolutions des sociétés. Je cherche également à montrer les conséquences qu’ont les technologies sur nos pratiques culturelles et l’appréciation que nous en avons. Comprendre ces évolutions, et leurs répercussions, c’est à mon goût un des défis de notre temps.
En échangeant avec Michel Pilot, je me suis rendu compte des évolutions du monde culturel depuis quarante ans au cœur desquelles il y a eu les années Lang. Quels chemins empruntent la création artistique ? Comment évolue le secteur culturel ? Ce sont les questions qui m’ont poussées à rencontrer Michel Pilot. Quels chemins empruntent la création artistique ? Comment évolue le secteur culturel ? Ce sont les questions qui m’ont poussées à rencontrer Michel Pilot.

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Un long combat pour la musique électronique
Michel Pilot est avant tout un passionné de musique. Il est aujourd’hui conseiller en musiques électroniques. Dès seize ans, aux prémices de la libéralisation de la bande FM, il anime à Blois la radio Val de Loire. Sa passion pour la musique électronique est partagée avec conviction lorsqu’il travaille dans différentes radios parisiennes et française, dont France Inter. De 1991 à 1994, Michel Pilot prend la direction d’antenne de Radio FG pendant les grandes années de la station techno. En dehors du monde de la radio, il démocratise la musique électronique par de nombreux biais : organisation de « raves party » aux côtés de DJs comme Laurent Garnier ou Jeff Mills, création d’une webradio « Technotuner ».
Originaire de Blois, Michel Pilot rencontre son maire, Jack Lang, en 1990. Une relation de confiance se tisse, une « bataille de politiques culturelles pour la défense des musiques électroniques » se mène. C’est aux côtés du Ministre de la Culture de François Mitterrand que Michel Pilot participe aux premières réflexions d’un événement mondialement connu : la Techno Parade. La Concrete et le Weather Festival lui doivent également beaucoup. Le Covid-19 a endormi le monde de la nuit. Aujourd’hui Michel Pilot aide les artistes DJs de la scène électro en détresse et contribue aux côtés de Technopol au rassemblement de la sphère des musiques électroniques. Il aime aujourd’hui comparer son parcours professionnel aux rebondissements multiples à un « grand témoin des musiques électroniques ».

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À son « QG »
Assis pendant quelques heures à son « QG » les sujets que nous avons évoqués ont été vastes. De la musique qui est le « moteur » de sa vie à la bande dessinée qu’il considère (à juste titre) comme « délicieuse », je souhaite connaître la perception que Michel Pilot a de la culture et de la création artistique.
Voici ce que nous nous sommes dit :
Vincent Mathiot : Pouvez-vous me parler de la culture en quelques mots ? Comment la décrivez-vous ?
Michel Pilot : Je crois que la définition de la culture pour moi elle est très simple, ce qui me fait pétiller finalement quand je suis face à de l’art quel que soit l’art, c’est la capacité d’une œuvre à provoquer en moi des réflexions qu’elles soient insupportables ou étincelantes. Si je prends de la musique électronique, qui est principalement sans paroles, elle a cette capacité d’ouvrir au maximum les imaginaires. Lorsqu’on est face à une œuvre et que tout d’un coup il y a en toi une petite lumière qui s’allume… Ça devient sublime quand cette lumière devient une révélation. Quand elle allume une lumière qui tout à coup… « wow ».
V.M. : Comment devons-nous concevoir la culture ? Pensez-vous qu’elle soit quelque chose de consommable ?
M.P. : François Mitterrand au début de son mandat dans les années quatre-vingt aux côtés de Jack Lang a mené une bataille pour changer la déferlante du cinéma américain qui avait conquis la France. La production américaine était omniprésente. C’est ainsi que l’exception culturelle a été créée. La culture n’est pas une marchandise comme les autres. Lorsqu’un artiste est dans son atelier, un musicien dans son studio, c’est une création de l’esprit. Celle-ci est complètement incompatible avec le marketing. La culture est certainement la représentation des époques de notre civilisation sous toutes ses expressions. Les artistes devraient faire des œuvres qui soient impétueuses, qu’on puisse les voir, et que ces œuvres nous interpellent. Ces œuvres devraient nous ouvrir les yeux sur ce que l’on devrait faire ou changer. Et dans ce sens, l’art ne joue peut-être pas suffisamment son rôle.
V.M. : Selon vous, quel est l’impact de l’économie dans la culture ?
M.P. : Un artiste qui travaille corps et âmes à la création de ses œuvres et qui in fine n’arrive pas à vivre avec les revenus de cette création ; c’est un immense préjudice. C’est difficile de ne pas réfléchir à la fois sur la façon dont l’économie et les créations devraient cohabiter. Mais plus on avance dans le temps, plus on a cette volonté de créer de l’économie pour créer de l’économie. Cela se fait parfois de façon complètement inconvenante dans certaines formes d’arts et qui, finalement, viennent contrarier la liberté de la création.
Lorsque je travaillais dans le monde de la musique dans les années 2000, j’ai vu arriver le marketing, représenté par une génération assez jeune, probablement issue des écoles de commerce. J’ai vu énormément de prises de décisions sur la non-signature de projets à cause de ce même marketing. Celui-ci sert à donner une orientation sur un produit en donnant des indicateurs de vente et de réussite pour permettre l’optimisation de la vente des produits. Ce même marketing lorsqu’il est arrivé dans les maisons de disques a fermé la porte à énormément de projets.
Et là je me dis, si le marketing avait existé dans une autre époque, combien d’artistes dans les années 50-60 n’aurait jamais été signé ?
Le nombre de projets artistiques qui ont pu se réaliser sur des coups de cœur de la part d’un directeur artistique est immense… Si ce coup de cœur est freiné par l’économie à cause des contraintes de vente, je considère que c’est une immense perte pour la création.
V.M. : Ces impératifs de rentabilité ont-ils des répercussions sur la création artistique ?
M.P. : Aujourd’hui tu arrives avec un album, tu fais un tube. Tout ce qui va suivre dans la création musicale est quasiment un copié-collé de ce qu’il y avait avant. On voit de moins en moins de diversité dans les projets car il y a une forte concentration sur une même esthétique. Tu allumes la bande FM à quelque chose prêt, tu entends la même chose. Ce qu’on oublie c’est que ça ferme la porte sur les projets différents qui ne s’inscrivent pas dans l’air du temps et du milieu. Il ne faut pas oublier que l’argent permet aux artistes de vivre. J’en reviens donc à la création artistique qui est mon obsession. Il faut avoir cette capacité à éliminer les contraintes dès le départ. Il faut arrêter de se dire que ça ne va pas marcher, que le public ne va pas être rendez-vous… Si on élimine ce point, on peut avoir de très belles surprises. Et quand le projet explose, il est encore plus sublime. Quand tu veux créer quelque chose, on te dit « ce n’est pas le moment, ça ne va pas marcher » et quand tu reviens quatre ans après en ayant réussi, le succès est encore plus pétillant.
L’argent est le leitmotiv de notre planète. C’est un modèle qui aujourd’hui montre des débuts de limites. Qu’est-ce qu’on peut faire, peut-on espérer qu’un jour notre planète soit orientée sur un autre modèle ? C’est une vraie question. Est-ce que dans soixante ans l’économie sera encore au cœur de la machine humaine ? Je n’ai pas la réponse. Le changement du climat sera le frein. Globalement je sais que mise à part quelques dingues qui ne veulent pas croire à ce changement de la planète, l’humanité a bien pris conscience qu’il y avait un changement. Ces changements qu’il faut faire sont extrêmement difficiles à appliquer. Il est difficile d’expliquer à un citadin que demain matin il va devoir utiliser un autre moyen de transport que sa voiture. Et je sais que ce sera difficile.
Revenons à la création artistique. Toute cette réflexion rejoint les pots de soupe renversés sur des Van Gogh. La Ministre de la Culture dit à juste titre que c’est stupide. La jeune fille répond : le jour où il n’y aura plus d’humanité, qui pourra regarder les œuvres ? C’est brutal. Mais c’est une vraie interpellation.
Pour clore ma réflexion, voici LA question que l’on devrait tous se poser : Ce que je fais contribue-t-il à aller vers un chemin où il y aura encore du monde, du public pour assister à ce que je suis en train de créer ? Si ma réponse est oui, je suis dans la bonne direction. Si j’ai un doute, je dois revisiter mon projet. Si la réponse est non, je devrais l’éviter. Et tout le monde devrait se poser cette question. Mais par habitude, on choisit le plus souvent de construire le projet qui va générer le plus de fric au bout.
V.M. : Cette conception standardise-t-elle la création culturelle ?
M.P. : Cite-moi une belle nouvelle, une info réjouissante qui a été diffusée sur BFM ? Il n’y en a pas. On est rentré dans un monde très sombre. Parfois je me demande si la part de magie qui est dans le film « Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain » existe encore. On nous entraine dans un cauchemar, comme si le traumatisme était la pierre angulaire de notre époque Où sont diffusés actuellement les films qui nous rendraient heureux ? Je n’ai pas la réponse.
V.M. : Pensez-vous que la création artistique suive une forme de circularité ?
M.P. : Tu regardes, ou tu écoutes une œuvre, et d’un coup tu retombes sur des sensations que tu as éprouvées par le passé. Alors tu te dis « lui, il a aimé ça il y a vingt ans en arrière » et tu t’aperçois que tout d’un coup une génération d’artistes s’inspire d’un mouvement antérieur pour le revisiter de façon contemporaine, avec des fondations qui te semblent très claires, très connues. Je prends un exemple dans la musique. La génération des tubes dans années quatre-vingt. Vingt ans après, pour une raison inconnue, il y a eu pendant plusieurs années où beaucoup d’artistes reprenaient des samples des années quatre-vingt. Et ce phénomène cyclique, tu le retrouves dans toutes les formes d’art. Je pense que ces cycles sont autour de quinze ou vingt ans. Dans l’art contemporain, c’est pareil. Je prends l’exemple de Warhol, les artistes reviennent à cette approche des années 80. Tu peux prendre n’importe quelle forme d’art, il y a une répétition. Pourquoi ? Je pense qu’il y a une grande part d’inspiration pour tous les artistes.
Ce qui fait que demain, je décide de créer une œuvre, quel va être l’élément déclencheur ? Cet élément déclencheur est lié à l’observation sensorielle de ce que tu as vécu autour de toi, celui-ci est un pourcentage que je ne peux pas évaluer, mais qui est énorme. Tu gardes ce que tu as envie de garder, et tu crées une œuvre. L’art est l’expression d’une forme d’observation ainsi qu’un regard sur leurs aînés sur ce qui a été fait avant eux. Je ne parle pas de copie : je m’inspire de quelque chose qui m’inspire et je réaménage cette chose avec ma vision contemporaine. C’est ça qui m’interpelle le plus, c’est que le fait que ce phénomène soit générationnel. La musique électronique des années 1990 a une sonorité qui est rendue
possible par les appareils de l’époque. En 2010, vingt ans après, on retrouve toutes les sonorités des années 1990. On retrouve les sonorités de ces années, je parle bien des sonorités, de ce qui s’en dégage, je ne dis pas que ce sont des copies.
La musique a quelque chose qui se vit et s’inscrit dans sa propre vie, à des moments très particuliers de nos vies. Un morceau dès qu’il a fait un certain temps dans son exploitation, il s’affaisse puis il s'éclipse. L’art est lié au temps de chacun. Je finis par me demander si nous-même nous ne sommes pas construits sur une forme de cycle où on cherche à revivre des périodes de nos vies. Et on s’y replonge par affection, par nostalgie, (et pourtant je ne suis pas nostalgique). Et je ramène ça dans mes créations. Ce qui pourrait expliquer ce mimétisme dans la création. Je n’ai jamais pu expliquer pourquoi ce phénomène de reproduction était un phénomène intergénérationnel. C’est un vrai sujet à creuser.
V.M. : Revenons à votre passion pour la musique. Avez-vous un morceau à nous suggérer ?
M.P. : Un morceau de musique électronique juste pour le plaisir ? Music & Wine de Blue Six, il me rend bien, je peux l’écouter n’importe où, sur le sommet d’une montagne, dans un avion ou sur une plage. Lorsque je l’écoute, je suis bien. Il n’y a pas d’explication. La sonorité est exactement ce que j’ai envie de percevoir. Lorsque je l’écoute ça correspond avec le plaisir que j’ai envie de ressentir. Et il y a deux mots qui me plaisent. Musique qui est le moteur de ma vie et le vin que j’aime uniquement quand il régale le palais !