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Écrivain, auteur de "Défaite des maîtres et possesseurs" et "Cora dans la spirale". Prochain ouvrage à paraître : « La Folie Océan » (Seuil 2025)

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Billet de blog 19 juin 2025

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Des éléphants dans l’océan – une semaine à la conférence de l’ONU

Du 9 au 13 juin 2025, la 3ème Conférence des Nations Unies sur l’océan (UNOC3) a réuni à Nice 180 délégations et des milliers de visiteurs. Travaillant sur les conflits liés à l’océan, l’écrivain Vincent Message a assisté à cet événement décisif pour la protection du milieu. Entre évocation de l’ambiance du sommet et analyse de ses non-dits, retour sur une mobilisation inédite.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

À quoi est-ce que cela ressemble, un sommet de l’ONU ? À force d’entendre parler de ceux qui ont rythmé notre histoire récente, de l’échec de la COP de Copenhague au succès des Accords de Paris, j’étais curieux de me faire mon idée – et me voici à Nice.

La conférence sur l’océan qui s’y tient du 9 au 13 juin se déroule sur deux sites. Sur le port, dans la zone bleue, qui nécessite une accréditation, le Centre des Congrès et de vastes chapiteaux blancs accueillent la plénière et les panels d’action pour l’océan. Sous la voûte en béton du Palais des Expositions, renommé la Baleine, la zone verte, elle, propose des débats ouverts au public, et recevra au cours de la semaine cent mille visiteurs.

Une demi-heure de marche sépare les deux sites. On court de l’un à l’autre, en se coltinant chaque fois la file d’attente et les contrôles de sécurité. Il fait beau mais très chaud, et à parler sans cesse de la mer et de la fascination qu’elle suscite, on courrait bien s’y jeter. Lors de la clôture du sommet, le délégué du Panama a critiqué cette double localisation qui tendait à maintenir la société civile à l’écart de l’événement. Il a été très applaudi.

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La Baleine, Palais des Expostions de Nice, 11 juin 2025. © Photo Mickaël Correia / Mediapart

De l’avis général, les débats de la plénière et des panels d’action ne sont pas les plus passionnants. Chaque participant n’a que cinq minutes pour s’exprimer. Le temps de remercier les organisateurs et de poser des constats déjà bien connus de l’assistance (nous venons de l’océan, nous lui devons l’habitabilité de cette terre, nous le maltraitons alors que notre survie en dépend), il reste trois minutes utiles.

Assis au fond, les spectateurs sont trop loin de la tribune pour bien voir les visages autrement que sur écran. Les noms des délégués qui interviennent depuis la salle ne sont jamais indiqués, et ceux des orateurs de l’estrade sont écrits si petit qu’on se met à plusieurs pour les déchiffrer. Pas de table pour poser un ordinateur, pas de prise pour le brancher, pas de quoi se restaurer – les conditions de travail ne sont franchement pas géniales, et beaucoup de journalistes se replient sur les Centres des médias où les débats sont rediffusés, ou repassent à leur hébergement entre deux rendez-vous pour les regarder sur internet.

De 9 h à 18 h, on entend répéter, dans un anglais à ce point figé qu’il devient inaudible, qu’il est urgent de promouvoir la coopération, de se fixer des objectifs élevés, d’associer les communautés locales à chaque décision. Rien à redire sur le principe, mais je vous assure que cela donne envie de ne plus entendre les mots sustainable ou resilience pendant au moins un an. De temps à autre, heureusement, l’oreille se dresse. Quelqu’un emploie des mots plus incisifs – comme Laurence Ndong, la Ministre de la Mer du Gabon, qui résume l’action du pays pour surveiller ses eaux avec des phrases si pragmatiques qu’on se dit que cela vaudrait la peine de l’interroger longuement là-dessus.

Voilà l’ambiance. La frustration, c’est que la négociation se joue ailleurs. Beaucoup d’arbitrages ont été rendus en amont, dans le dialogue entre diplomates ou entre dirigeants. Une première version de la déclaration finale est d’ailleurs disponible avant même l’événement. Le sommet est une chambre d’enregistrement, une scène où ce qu’on voit relève en bonne partie du théâtre. Même quand on y assiste, on garde le sentiment qu’on ne sait pas ce qui s’est passé, d’abord parce qu’il se passe trop de choses en même temps, ensuite parce que l’essentiel a lieu dans les coulisses.

Observer l'océan - une mission vitale et menacée 

En ce qui me concerne, je suis là car j’écris depuis quelques années sur le milieu marin. Comme je travaille en dialogue avec des océanographes, j’ai apprécié les écouter évoquer les enjeux que revêtait pour eux ce sommet.

La conférence s’inscrit dans le cadre de l’Objectif de développement n°14, qui vise à conserver et exploiter de manière durable les océans et les ressources marines.

Comme l’a rappelé Olivier Poivre d’Arvor, l’envoyé spécial de l’Élysée, dans son discours de clôture, cet objectif est très mal financé, puisque le budget de la recherche océanographique ne représente que 0,05% du bénéfice net de l’économie bleue. Le sommet a permis de cranter des engagements plus ambitieux, tout le monde s’accordant sur le fait que mieux protéger l’océan implique de mieux le connaître.

Comprendre l'océan, c'est la visée du Jumeau Digital mis en service par Mercator et que j’ai pu voir à la Baleine : ce modèle qui simule le fonctionnement physique, biologique et humain de l’océan a été conçu comme un puissant outil d’aide à la décision. Si on décide de planter des herbiers marins le long d’une côte pour freiner les inondations, à quelle profondeur faut-il les implanter ? Si on veut minimiser les risques de capturer des tortues lorsqu’elles migrent depuis le Costa Rica, dans quelles zones et à quelle saison vaut-il mieux restreindre la pêche pour que la mesure soit efficace mais pas trop coûteuse socialement ? Collectant les données des satellites, des flotteurs, des animaux équipés de capteurs, le modèle ressemble à un jeu vidéo dont on a très envie de tester les paramètres.

Au laboratoire de Villefranche-sur-Mer, à un arrêt de train de Nice, les scientifiques avec qui j’ai pu échanger s’inquiétaient de l’impact que risquait d’avoir le retrait étatsunien de ces programmes d’observation. La moitié des flotteurs Argo qui mesurent les composantes biogéochimiques de l’océan ont été mis à l’eau par les Américains.

Professeure à l’École Normale supérieure, Sabrina Speich m’a expliqué que dans cette situation, il allait falloir affirmer le leadership européen, mais aussi mieux prioriser les objectifs de l’observation en les alignant avec les besoins de la société, notamment en ce qui concerne la prévention des événements extrêmes, des cyclones aux raz-de-marée.

Pour contrer la politique antiscience de l’administration américaine, les injonctions au multilatéralisme se sont enchaînées tout au long du sommet. Jamais nommé publiquement, mais très présent dans les esprits, Donald Trump était le premier éléphant dans la pièce.

« Qui se cache derrière le pavillon ? »

Sur le port, le lendemain, en sortant du panel consacré à la pêche artisanale, une membre de l’ONG Terre Solidaire m’a présenté Ibrahima Sarr, qui dirige une fédération de pêcheurs artisanaux du sud de la Mauritanie. Tout en saluant les discours des intervenants, il m’a confié qu’ils ne reflétaient pas l’urgence de la situation qu’il vit : « Ce que nous on veut entendre, ils ne le disent pas. » Sur les côtes de l’Afrique de l’Ouest, l’océan va très mal. Frappés par la montée des eaux, beaucoup de villages vont devenir inhabitables d’ici dix à vingt ans. Le réchauffement pousse les poissons à migrer plus au Nord, ce qui contraint les pêcheurs à sortir plus longtemps, parfois à plus de cent kilomètres, sur des pirogues qui ne sont pas conçues pour cela.

Au large, le Grand Tortue Ahmeyim, un site de gaz naturel liquéfié, engendre des pollutions sonores massives qui perturbent la faune. Les chalutiers chinois et turcs accaparent ce qui reste des ressources, notamment pour alimenter les usines de farine qui se dressent sur la côte. En théorie, ces usines sont censées n’utiliser que les rebuts de pêche, mais elles achètent désormais du poisson frais, ce qui prive les femmes spécialisées dans la vente du gros de leur activité. On broie cinq tonnes de poissons pour obtenir une tonne de farine – importée ensuite en Europe pour nourrir les saumons d’élevage ou les porcs et poulets de nos fermes intensives. Face à une situation qui les condamne à la misère, beaucoup de jeunes préfèrent l’exil : « Leur dilemme, désormais, m’a soufflé Ibrahima Sarr, c’est le Barça ou le Barzakh : l’espoir d’arriver en Europe, ou la mort. »

La lutte contre la pêche illégale est décisive pour aider les pays du Sud à protéger leurs communautés littorales. Dans les 80 pages du programme recensant tous les side events (il y en a en zone bleue, en zone verte, et même un peu partout en ville), j’en avais repéré un consacré à cette thématique, et je m’y suis rendu.

Dans la salle du petit-déjeuner d’un hôtel Best Western, une trentaine de personnes assistaient à cet événement monté par l’ONG Oceana. Une fois tout le monde servi de cafés et de viennoiseries, Daniel Skerritt et Vanya Vulperhorst ont détaillé les résultats d’une étude menée par l’Université de Saint-Jacques de Compostelle. Partant des bases de données Orbis et Lloyd’s, les chercheurs ont analysé la liste des 19.000 grands navires de pêche qui y sont recensés, et se sont rendu compte que les informations sur leurs propriétaires légaux et sur les bénéficiaires effectifs de leur activité n’étaient disponibles que pour 7000 d’entre eux. Faute de transparence, les Organisations régionales de gestion des pêches ne peuvent ni infliger des sanctions aux responsables des infractions, ni attribuer des quotas équitables. Et bien évidemment, plus la structure de propriété d’un navire est complexe, plus le risque de pêche illégale ou de violation des droits humains est élevé.

Ce rapport intitulé « Qui se cache derrière le pavillon ? » m’a fait repenser au livre indispensable de Ian Urbina, La Jungle des océans (trad. Perla Slitack, Payot, 2019). Journaliste d’investigation pour le New York Times, Urbina montre que certains navires de pêche, liés à des armements chinois, coréens ou thaïlandais, sont devenus un centre névralgique de l’esclavage moderne : horaires démentiels, maltraitance des marins, séquestration à bord et sévices sexuels – les cas que rapporte Urbina sont terrifiants.

D’après l’Organisation internationale du travail, 128.000 pêcheurs seraient soumis au travail forcé dans le monde. C’est là, sans aucun doute, un autre éléphant des débats : même si la pêche illégale est mentionnée dans la déclaration finale, ni l’opacité des pêcheries, ni ces abus pourtant documentés n’ont été dénoncés avec assez de force – entre autres parce que, quand on a déjà perdu Trump, on n’a guère intérêt à s’aliéner les grands dirigeants asiatiques.

En France, les aires marines "protégées" ne le sont toujours pas

Un autre de mes fils rouges a été de suivre le dossier des aires marines protégées. Je m’intéresse à cette question depuis plusieurs années, car le roman que je fais paraître en août raconte notamment l’extension de la réserve des Sept-Îles, qui abrite au large des Côtes-d’Armor la plus grande colonie d’oiseaux marins de France et une petite population de phoques gris. Depuis la COP qui s’est tenue il y a trois ans à Montréal, l’objectif est de couvrir au moins 30% des océans par un réseau d’aires protégées d’ici 2030. L'Union européenne a pour sa part fixé une cible de 10% des eaux en « protection stricte ». Les engagements annoncés à l’UNOC ont permis de faire grimper le niveau global de protection de 8 à 12%.

Mais le feuilleton qui a rythmé la semaine a découlé des mesures dévoilées par le gouvernement français. Voici plusieurs années que les scientifiques reprochent à la France de se contenter d’aires marines de papier, qui autorisent les activités industrielles. D’après Joachim Claudet, Directeur de Recherche CNRS, seules 0,1% des eaux métropolitaines sont protégées selon les critères de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Au début du sommet, Emmanuel Macron a annoncé que 4% des eaux feraient bientôt l’objet d’une « protection forte » et seraient interdites au chalutage de fond. Insuffisant, mais un pas dans la bonne direction ? Eh bien… Comme souvent, le diable se cache dans les détails.

Première subtilité : la « protection forte » qu’invoque le gouvernement ne correspond pas aux critères exigés par les scientifiques, et elle est très loin de valoir la « protection stricte » de l’UICN, qui suppose l’arrêt de toute activité extractive, pêche artisanale comprise.

Deuxième subtilité : en planchant tard dans la nuit sur la carte fournie par le ministère, l’équipe de l’ONG Bloom s’est rendu compte que les nouvelles aires marines recouvraient largement des zones déjà interdites au chalutage ou des zones où il est techniquement impossible.

Improvisant une conférence de presse au premier étage d’un restaurant, Bloom a détaillé devant les journalistes son analyse de ces annonces : « C’est le sommet de l’hypocrisie, a constaté Claire Nouvian, la fondatrice de l’association, mais l’espace se réduit pour le mensonge : on est en capacité de faire de la contre-expertise. »

Les jours qui ont suivi, le président de la République et la ministre de la transition écologique Agnès Pannier-Runacher ont reconnu ces recoupements, tout en faisant valoir que la France respectait ses engagements globaux. Le problème, c’est que les seuils de protection visés ne sont atteints que grâce à la création de gigantesques aires marines dans les Terres Australes, en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie, où la pression humaine est infiniment moindre. Or, depuis 2020, l’Union européenne exige un réseau d’AMP écologiquement représentatif, qui assure une protection effective de la diversité des écosystèmes. Emmanuel Macron refuse ce qu’il appelle un « double compte », donc l’exigence que les objectifs soient atteints en métropole comme dans les outre-mer, mais il pratique ce faisant une forme pour le moins douteuse de double standard.

Appelons un éléphant un éléphant : après Nice, les aires marines de France métropolitaine ne sont toujours pas protégées. Le président a tenté de tromper l’opinion en présentant comme des avancées marquantes ce qui relevait au mieux d’une labellisation de zones déjà existantes. La manœuvre est d’autant plus malhabile qu’il se savait attendu au tournant. Elle est d’autant plus désolante qu’il avait avec ce sommet une opportunité pour améliorer son bilan, à l’heure où se multiplient les régressions écologiques.

Tandis que les aires marines annoncées par le Royaume-Uni, la Tanzanie ou Samoa s’adossent aux critères de l’UICN, cette façon de faire cavalier seul en invoquant une « protection à la française » est complètement incohérente avec la volonté maintes fois réaffirmée de fonder les décisions sur le consensus scientifique. La semaine qui a précédé le sommet, le congrès réunissant deux mille chercheurs s’est pourtant conclu sur une recommandation d’une limpidité imparable : « Agissez dès que la science est claire. L’inaction est injustifiable. » Or les études démontrant que le chalut de fond et la drague sont destructrices pour le milieu marin se comptent par dizaines.

L'art de gagner du temps

Du côté des industriels, cette focalisation sur les AMP a passablement agacé, même si le Comité national des pêches s’est satisfait du statu quo dans un courrier interne révélé par Le Monde. Le jeudi, je me suis rendu à un side event organisé à la Baleine par France Terre de Pêches, et consacré à la décarbonation de la flotte.

Je me doutais que les représentants des groupements de producteurs seraient là pour faire du lobbying. L’intuition s’est vite confirmée. Là encore, cela se joue dans les détails : on vous offre dès votre arrivée un tote-bag mettant en avant la filière ; il suffit de poser une question pour que plusieurs personnes avec qui vous n’avez pas eu du tout l’occasion d’échanger viennent vous glisser leur carte.

Les intervenants ont souligné que la flotte française était vieillissante, avec des bateaux d’une trentaine d’années en moyenne. La pêche européenne a réduit ses émissions de moitié entre 1990 et 2023, ce qui est une bonne nouvelle, mais pour aller plus loin, les organisations de producteurs voudraient lever les contraintes pesant sur la taille des bateaux, pour embarquer les futurs moteurs à hydrogène sans affecter le volume de captures.

Avant qu’une membre de Bloom présente dans l’assistance ne soulève l’objection, à aucun moment le chalutage de fond n’a été mis en cause. Pourtant, il libère chaque année à l’échelle mondiale 370 millions de tonnes de CO2 jusque-là emprisonnées dans le sédiment, ce qui n'est pas loin d'équivaloir aux émissions annuelles de la France.

Au sortir de la table-ronde, j’ai questionné Jérôme Jourdain, représentant de l’Union des Armateurs à la Pêche de France : il m’a dit penser que la solution passait par l’invention de chaluts plus légers, qui nuiraient moins aux espèces marines et à leur habitat. Je comprends qu’on espère ce genre d’innovations quand on défend le secteur, mais si tant est que la mise au point de tels chaluts soit techniquement possible, est-ce qu’il ne faudrait pas interdire en attendant ceux qui raclent chaque année dans les eaux européennes 674.000 km2, soit une surface aussi grande que l'Hexagone, la Belgique et la Suisse réunis ?

Quand on les interroge sur la protection du milieu, les industriels du chalut, qui appellent pourtant de leurs vœux un choc de simplification réglementaire, s’accrochent soudain au mille-feuille du Code de l’environnement, qui recense pas moins de onze catégories d’AMP. Ils demandent aussi qu’on attende la conclusion des analyses risque pêche menées par l’Office français de la biodiversité. Le point aveugle de cet argument, c’est que ni la filière ni l’exécutif ne se démènent (c’est le moins qu’on puisse dire) pour que ces analyses aboutissent.

D’après ce que me racontait Nicolas Fournier, directeur de campagne chez Oceana, l’Office français de la biodiversité rencontre une foule d’obstacles lorsqu’il souhaite récupérer les données VMS des bateaux, qui permettraient de se faire une idée précise de leurs zones de chalutage. Et même une fois que le diagnostic existe, les recommandations ne sont pas automatiquement appliquées, mais font l’objet d’un dialogue de gestion dans lequel les comités des pêches pèsent de tout leur poids. La Cour de justice de l’UE a condamné la France en 2000 puis en 2010 pour le retard qu’elle accusait dans la protection des habitats des zones Natura 2000. Et 12 ans après leur lancement, les analyses risque pêche ne sont toujours pas finies. Dans un sommet comme l’UNOC, autrement dit, nombreux sont les acteurs qui font tout pour gagner du temps tout en ne cessant de claironner qu’il n’y a plus de temps à perdre.

Inventer une pêche soutenable

« Depuis huit ans, j’ai une méthode assez simple, a expliqué Emmanuel Macron en conférence de presse, c’est que je ne fais jamais rien contre les pêcheurs. » La profession est en souffrance, il est clair qu’il faut la soutenir. Toutefois une telle formule crée de la confusion en mettant dans le même sac des bateaux qui n’ont rien à voir. Quoi de commun entre un ligneur de 12 mètres et un chalutier pélagique de 80 mètres, qui pêchera autant en une nuit que l’artisan en une vie ?

Je m’étais entretenu avant le sommet avec François Chartier, chargé de campagne chez Greenpeace. Dans une note de bilan, il a marqué combien il déplorait ce positionnement : « Le gouvernement reste arc-bouté sur une vision archaïque opposant conservation du milieu marin et activité de pêche. » Un réseau structuré d’aires marines consoliderait pourtant l’emploi dans la filière : 30% des eaux y seraient réservées à la pêche artisanale et 10% sanctuarisés pour que le milieu se régénère. Les effets de débordement rendraient en une dizaine d’années les zones autour de l’aire marine beaucoup plus productives : la protection des biomasses permettrait, de fait, de sortir moins souvent et de dépenser moins de carburant en capturant autant de poissons.

À la Baleine, j’ai croisé par hasard Didier Gascuel, spécialiste d’halieutique à l’Institut Agro de Rennes, et l’ai retenu pour un café. Il m’a confié ne plus croire en l’avenir du chalut. Il faut, selon lui, inventer une pêchécologie qui s’appuierait sur une flotte de bateaux de 12 à 25 mètres, capables d’aller pêcher plus loin des côtes, mais pratiquant des arts dormants, comme la ligne ou la nasse. Gascuel regrette que le gouvernement ait mis un point d’honneur à ne faire aucune concession : « Ils auraient pu au moins interdire la bande côtière au chalutage, pour protéger les petits pêcheurs. »

La pêchécologie serait une pêche aux captures plus raisonnées. Car le dernier éléphant dans la pièce, c’est que la meilleure chose que nous pourrions faire pour préserver les océans, et la plus simple, puisqu’elle n’exige l’aval ni de Donald Trump ni de Xi Jinping, ni financement colossal, ni technologies hasardeuses, ni satellites ni garde-côtes, serait de diminuer fortement notre consommation de poissons. À l’échelle mondiale, 3 milliards de personnes tirent de l’océan un quart de leurs protéines.

Mais dans un pays comme la France, doté d’une agriculture puissante et très diversifiée, nous n’avons pas besoin de manger des produits de la mer. Nous pouvons en avoir envie, et je compte parmi les amateurs, voir sur une carte de la daurade, des coquilles ou du poulpe me met l’eau à la bouche – mais si on est honnête : nous n’en avons pas besoin. Des produits végétaux à l’empreinte carbone infiniment plus faible et dont la production ne repose pas sur la souffrance d’animaux peuvent nous apporter tous les nutriments que notre corps réclame.

Nous savons désormais que les saumons ou les bars de nos élevages sont nourris de la farine produites avec ces sardinelles qui font cruellement défaut dans les filets que remontent les pêcheurs africains dont Ibrahima Sarr est venu défendre la cause. Si les plus aisés d’entre nous refusent de restreindre leur consommation, ou au minimum de choisir des espèces moins en vogue, pêchées plus près de nos côtes, ils doivent avoir en tête que leur hédonisme coûte très cher à d’autres. Notre joie de bons vivants crée une misère sordide ailleurs. Et est-ce qu’une joie consciente qu’elle ne prend son essor que sur le malheur des plus vulnérables peut encore être une joie pleine ?

Le dernier soir, j’ai tout de même été piquer une tête. La plage de galets tombe vite. Par dix mètres de fond, on ne voit plus aucun éléphant, seulement de petits poissons que je n’ai pas su reconnaître. À la pointe de la baie, un avion décolle toutes les six minutes. J’ai pensé à la côte de la Bretagne Nord, que je porte dans mon cœur. Et à la Méditerranée, splendide et abimée. Je me suis dit que nous avions la chance de vivre dans un pays d’une beauté exceptionnelle – et que pour tous les passionnés de la mer que l’UNOC a rassemblés, dans cette effervescence empreinte d’une crainte insondable pour l’avenir, étudier l’océan et travailler à en prendre soin ne serait pas une vocation moins noble que continuer à brûler du pétrole pour détruire avec une intensité aussi irresponsable les vivants qu’il abrite.

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