J'ai ouvert un blog sur Médiapart il y a plus de 5 ans. En dehors du titre, je n’y ai jamais rien publié. Velléitaire sans doute, pudique à l’évidence, inexpérimenté certainement, j’ai abandonné ma vocation naissante de billettiste. Et par-dessus le marché, mon abonnement au susdit cyber-journal. Depuis quelques semaines, aprés municipales et européennes, j’ai éprouvé un besoin de partage et de confrontation d’opinions, et me revoilà…
Nous, démocrates, devons effectivement prendre nos responsabilités !
D’une part, le propos de Plenel dans sa longue chronique du 4 juin « Notre responsabilité » me parait essentiel, et d’autre part, l’appel à une république nouvelle (de Fleury, Mignard et Stora) auquel j’ai eu accès grâce au lien inséré dans son texte semble tomber sous le sens. J’ai décidé de prendre position pour. Les sept « lieux de limitation et de sclérose » dénombrés dans cette tribune me semblent pertinent et en tout cas propices à servir de point de départ. Le constat de « fin de cycle historique marqué par la cinquième république » ainsi que le vœu de « recomposition des partis dans leurs fondements idéologiques » (ce qui suppose d’exposer au peuple en quoi l’idéologie est indispensable, alors même que le mot idéologie n’en finit plus d’être banni depuis plusieurs dizaines d’année), sont de nature à une amorce de « rassemblement au plus près du terrain, des villes et des quartiers ». Je laisse de côté l’injonction faite au président, dont je ne pense d’autant rien qu’elle me paraît venir en Xème position parmi la pléthore d’autres injonctions qui lui sont formulées, à juste titre ou pas…
Quoi qu'il en soit, il m'est apparu que l'article de Plenel ou « l’appel à une république nouvelle », indépendamment de l’histoire personnelle des signataires, constituent une introduction acceptable au travail pouvant amener vers une démocratie délibérative.
Pourtant, quelle n’est pas ma stupeur à la lecture des 160 commentaires : Suspicion vis-à-vis des auteurs, procès en social-traitrise, diatribes du genre « le front de gauche l’a déjà dit », etc. Cette radicalité des avis est effrayante dans un temps ou une seule chose compte : rompre avec des modalités d’expression politique qui ont fait la démonstration de leur stérilité, de leur incapacité à fédérer. Nous venons de sortir de deux épisodes électoraux qui montrent bien qu’aucune personnalité, aucun groupe inscrit dans l’actuel champ politique n’est en mesure d’endiguer l’abstentionnisme chronique que nous subissons. De toute évidence c’est bien de la pratique démocratique et républicaine qu’il faut se préoccuper. Désolé pour les déçus de la constituante, les ravi du parlementarisme, les dévots de la représentativité et autres inscrits patentés dans les mouvements de pensée qui participent au jeu dans la perspective d’y mettre fin.
L’urgence n’est pas de disserter entre anciens gauchistes (je suis moi-même un ancien de l’AMR et du PSU) mais de mobiliser. La raison de la démobilisation ne tient pas aux programmes, ni mêmes aux idées, mais à la nature, à la structure de l’espace de réflexion politique et aux modalités de cette réflexion. Elle tient aussi au langage. Elle tient enfin à l’absence de pratique de la coalition dans l’intérêt collectif.
Pour ce qui est de l’espace ou « des » espaces collectif de réflexion, tout est à rebâtir. Les partis, lancés dans des dynamiques diverses, ne souhaitent que des militants, des relais et des promoteurs de l’existant plutôt que des prospectivistes. Discipline camarades ! Les syndicats patronaux sont des clubs de rapprochement d’affaires et les entrepreneurs qui y siègent pour la plupart incompétents et suiveurs de stratégies nationales auxquelles ils ne comprennent pas grand-chose. Les syndicats de salariés que je respecte au plus haut point, ne constituent malheureusement pas que des havres de la consensualité sociale qui excluraient toute volonté de pouvoir pour le pouvoir. Outre l’indigence de leurs effectifs, ils recueillent les non reconnus du management et les sacrifiés de la sphère du travail et somme toute recrutent par défaut plutôt que par excès. Leurs unions locales ou départementales sont actives mais incapables d’éviter foires d’empoigne, tractations, intrigues, alliances et mésalliances. Les conseils et appareils municipaux outre le fait qu’ils constituent des camps d’entrainement à la bagarre politique dans ce qu’elle a de plus vil, l’éventration des rivaux, l’étouffement des idées, sont devenus des endroits « tendance » qui débordent de bourgeois en quête de rayonnement, de retraités désireux de chasser l’ennui ou la vieillesse, et d’apparatchiks prêts au meurtre comme au compromis de basse cuisine pour maintenir leur pouvoir. A Montpellier, j’ai voté pour l’homme de gauche que je connaissais le moins ; ça fait moins peur…
Pour ce qui est du langage, il me semble que depuis plus de 40 ans, nous sommes confrontés tour à tour à l’imbitable et au débilitant. De l’exergue du compliqué à l’exergue de l’évidence ! Souvenons-nous, pour l’aspect imbitable, de la référence à l’inflation ou au serpent monétaire des années 70, auxquels l’immense majorité ne comprenait rien. Nous avons bien sûr en tête pour l’aspect débilitant, le magique et contemporain « travailler plus pour gagner plus », ou le sinistre mais épatant « protectionnisme intelligeant ». La dictature du compliqué est un mécanisme visant à faire croire à l’incompétence du peuple. La dictature de l’évidence est un mécanisme visant à faire croire au peuple qu’il est compétent. Cette alternance drastique vise portant un seul et même résultat. Faire que le peuple donne sa bénédiction à la démocratie représentative, soit par sentiment de dépit, soit par sentiment de connivence. Dans les deux cas, c’est l’illusion qui domine. Hélas vient le temps de la désillusion et son corolaire, le désabusement.
Les raisons de l’absence de pratique de la coalition dans l’intérêt collectif ont variées au gré de l’histoire politique et des évolutions sociétales. Cependant, une constante : Alors que le champ des possibles est restreint pour les partis de gouvernement, du fait de l’acceptation de l’économie de marché comme fondement sociétal, les appareils politiques s’évertuent depuis toujours à donner l’illusion du « champ dangereusement ouvert » et, en tous cas, cultivent les vieilles dichotomies, entre pragmatisme et idéologie, laxisme et rigueur, obscurantisme et lumières, collectivisme et propriété, liberté et dictature. Cette logique bat de l’aile, bien sûr, mais elle perdure. Hélas, l’écologie, seule vraie nouveauté (déjà vieille de 20 ans), n’en finissant pas d’être émergeante et ambigüe, puisque d’abord maladroitement portée par ses promoteurs et finalement revendiquée par tous, préside non pas à des consensus de fond mais à l’élaboration de « pas grand-chose sociétaux », néanmoins présentés comme des révolutions coperniciennes (comme ce fut le cas pour le Grenelle de l’environnement).
On aura vu la droite de gouvernement avec l’aide des centristes faire une politique dite de gauche. On aura vu aussi le contraire, avec l’aide des même. Pour autant c’’est bien la suprématie des fonds de commerce qui domine; élections et occupation du pouvoir obligent. Dans la France libérale démocrate et élective, la pitoyable caution coalitioniste, c’est l’appel aux socio- professionnels, via l’adjonction dans les appareils de certains membres éminents de la société civile, ainsi que l’appel à « l’ouverture », à l’élargissement idéologique, via l’adjonction dans les appareils d’opposants modérés. Les premiers étonnamment, sont priés de ne pas confondre politique et entreprise, les seconds, curieusement, de ne pas développer de vision idéologique. Ça ne marche jamais vraiment mais ça décore.
Hors comme le dit avec raison Edwi Plenel, «… la question n’est pas celle du pouvoir mais de la politique comme possible, refus des fatalités et des résignations. La réinventer, lui redonner crédit et efficacité, suppose de sortir des certitudes confortables, des appartenances douillettes ou des vindictes complaisantes. En somme, de retrouver cette radicalité pragmatique qui, plutôt que de se payer de mots et de se définir en contre, prend les problèmes à la racine, invente des solutions, s’approche du concret, retrouve un langage commun ».
Je renvoie ceux qui dénoncent l’intellectualisme de ce propos à la notion de « complexité acceptable » en tant que voie médiane permettant aux hommes de bonne volonté de ne pas valser au ballet des évidences ou de renoncer face à l’incompréhensible. Ni les slogans, ni les programmes ne nous délivrerons du mal. Seul le sens retrouvé de l’effort, du don de soi et de l’empathie pourra entrainer une refondation républicaine et démocratique.
J’ai voté Mélenchon au 1er tour des présidentielles. Je crois volontiers à l’honnêteté et à la pertinence du parti de gauche et de son évêque. Pour autant, je constate que son combat, mené avec d’excellentes intentions, utilise les mêmes armes que celles que je dénonce, et se déroule sur un terrain ou je n’ai plus envie de m’ébrouer. J’ai voté Hollande au second. Je ne suis ni étonné de son insuccès, ni frustré par l’absence d’un changement auquel je ne croyais pas. Jusqu’ici, par mon vote, j’essayais de participer à forger le sens à l’histoire. J’ai bien peur, désormais, que la vitesse de l’érosion soit nettement insuffisante compte tenu de l’ombre qui avance.