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Billet de blog 13 septembre 2017

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Faudrait voir à penser complexe

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Mais qu’est-ce qu’on est bien, là, depuis quelques temps. Qu’est-ce qu’on est détendus, joviaux, libérés, sans entraves. On ne jouit pas encore, certes, mais cela commence quand même à sentir bon.

On se sentait oppressé et, là, d’un coup, c’est comme si on venait de nous enlever une paire de pompes trop petite. J’ai réfléchi à la question (je réfléchis beaucoup, vous vous doutez bien) et j’en suis parvenu à la conclusion que l’on était bridé par la simplicité.

On était tout couillon, basique, bas du front pour tout dire et, du coup, on était limité. Nous ne pouvions nous exprimer à loisir, empêchés que nous étions par cette trop grande simplicité qui nous privait de cette joie que l’on éprouve lorsque l’on peut enfin donner sa vraie mesure.

Quand on parlait aux autres, trop simples que nous étions, nous nous sentions obligés de leur manifester, la plupart du temps, une forme de respect minimum. On ne pouvait, par exemple, insulter impunément autrui, surtout s’il était plus petit que soi. On se sentait coupable de mépriser, honteux d’écraser, gênés de cracher trop ostensiblement à la gueule de son prochain.

Engoncés dans cette politesse invalidante, nous ne pouvions exprimer à tous ceux qui ne sont pas comme nous toute l’étendue de la détestation dans laquelle on les tenait non plus que la profondeur de la condescendance et du mépris que l’on éprouvait à leur égard.

C'était écœurant de simplicité, cela n’avait aucune profondeur, ça n’allait pas au fond des choses.

Mais ça change, vous avez vu ? C’est en train de changer. Emmanuel a montré la voie, avec cette énergie disruptive, issue d’un process de création destructrice tout schumpeterien, il a bousculé les codes, brisé les barrières, abattu les murs, refait les cloisons et il nous a remis en marche la pompe à complexité, c’est rien de le dire.

Grâce à lui, on peut se livrer tout à loisir au plaisir délicat du complexe, cet art que l’on avait oublié et qui consiste à prendre son interlocuteur pour, selon les jours, l’atmosphère du lieu et l’énergie créatrice qui nous anime, une grosse merde, un névrosé, un feignant, un illettré, un abruti, un cynique, un extrémiste, voire un demeuré et, bientôt, si la pensée complexe persiste à se développer comme elle le fait, pour une grosse truie pourrie qui sent le purin et dont les enfants sont des débiles mentaux.

Laissez-moi vous dire que ça va swinguer sur les plateaux télés et dans les rapports sociaux.

Finie la petite simplicité qui nous amenait à ménager notre semblable, dans une courtoisie bourgeoise, voire ancien, régime, qui fleurait bon son encaustique et ses escarres encroûtés.

Place à l’immense et libératoire complexité des rapports humains portés à vif, du mépris érigé en règle de société, de la hauteur condescendante comme étiquette et de l’insulte pour étendard.

C’est fini, l’écoeurante médiocrité qui vous amenait à écouter votre contradicteur et à lui répondre poliment, à respecter son existence, à écouter son avis, à essayer d’éviter le conflit.

Le temps est venu de la complexité.

Attention, toutefois, pour votre propre sécurité et pour pratiquer ce nouvel art de vivre dans les meilleures conditions possibles, de comprendre les règles simples qui devront guider votre action.

La complexité, il convient de s’en convaincre, ne s’exerce d’abord que contre ceux dont vous pensez n’avoir rien à craindre. Elle accompagne évidemment la supériorité écrasante de celui qui se situe sur un barreau de l’échelle sociale plus élevé que celui de son interlocuteur et qui se sait également protégé de toute agression physique à son endroit.

Il conviendra évidemment, face à ceux qui vous sont supérieurs, par le prestige ou par la force, d’adopter une attitude - toute aussi complexe, rassurez-vous - consistant à plier souplement l’échine et à endurer sarcasmes, injures et avanies tout en conservant en toutes circonstances un sourire de bon aloi.

La complexité, il est essentiel que vous le compreniez, n’est en effet en rien un bouleversement de l’ordre social, non. Elle n’en est qu’une représentation plus conforme à ce que tout homme avisé, qui ne vit pas dans le passé, voudrait qu’il soit, idéalement.

Elle est aux rapports humains ce que la Start-Up est au capitalisme, une évolution naturelle, pas un changement de paradigme.

Il est par ailleurs essentiel de noter que la complexité se pratique de préférence à distance. Idéalement, il est préférable d’aller à l’étranger, loin de ceux qui pourraient, leur cerveau étant incapable d’assimiler la rupture fondamentale à laquelle vous œuvrez, manifester une certaine animosité à votre égard.

Si vos fonctions ne vous amènent pas à aller prononcer de longs et laborieux discours dans des capitales européennes, vous pouvez user des plateaux de télévision ou de radios.

Cela suppose évidemment, que vous ayez un titre à pomper l’air que vous respirez, c’est à dire que vous n’êtes pas un nobody, un rien, un péquenaud qui n’est pas connu du plus grand nombre, un raté, en somme.

Si c’est le cas (et je ne suis pas sûr, dans ce cas, d’apprécier que vous me lisiez), vous pouvez, si vous voulez progresser quand même (ce qui est tout à votre honneur) vous rabattre sur Internet ou, pour les plus old school, sur les appels téléphoniques anonymes, grâce auxquels vous pourrez insulter à loisir vos contemporains.

Evidemment, pour des exercices plus efficaces et de proximité, votre femme, vos enfants voire vos animaux de compagnie si vous en possédez, pourront représenter un réceptacle satisfaisant à votre pensée complexe.

Quoi qu’il en soit, libérez-vous !

Frère Emmanuel et ses disciples nous montrent la voie. Suivez-les ! Brisez les chaines qui vous enserrent ! Engagez-vous avec allégresse dans la voie de la complexité joyeuse, de l’injure libérée et du crachat triomphant.

Pensez complexe ! Jupiter vous le rendra.

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