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Billet de blog 15 mai 2017

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Je veux un scooter

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je veux un scooter.

Je veux être à la pointe de l’actualité.

Je veux suivre un premier ministre pressenti dans son taxi, disserter à l’envie sur la couleur de sa cravate, la tension de son auriculaire quand il s’enfouit dans sa cavité nasale et la douce pression de son majeur quand il se gratte les couilles.

Je veux être au cœur de l’événement.

Car il n’y a rien de plus essentiel, il n’y a rien de plus crucial que les arabesques d’un G7 transportant celui entre les mains duquel repose l’avenir du pays.

Savoir quelle musique berce ce trajet de l’obscurité à la lumière, de quoi il s’entretient avec le chauffeur qui, à son corps défendant, se trouve embarqué dans ce voyage mystique, s’il a demandé que l’on change de station, qu’y-a-t-il de plus crucial ?

Maintenant que nous sommes entrés dans l’ère de la politique à deux temps, la politique du logarithme roi et de la pensée binaire, qu’y aurait-il de mieux pour l’observer qu’un poste vissé sur un moteur qui fonctionne sur le même rythme ?

Car le scooter n’est-il pas l’emblème de la pensée politique contemporaine ? N’en est-il par le plus parfait représentant ?

Y-a-t-il objet dont la simplicité de fonctionnement se marie aussi parfaitement avec celle du mécanisme dont il transporte quotidiennement les observateurs routiniers et inattentifs ?

Le scooter n’est-il pas l’emblème absolu de notre Monde, le  peignant alternativement en noir et blanc, au hasard de ses pétarades et ne laissant jamais, dans sa course folle, à personne le temps de s’interroger sur le sens du vacarme qu’il produit ?

Je veux un scooter. Je veux penser comme tous les producteurs de notre récit collectif, je veux raisonner comme tous ceux qui ont conçu l’exercice du pouvoir en regardant Lady Diana s’encastrer dans une colonne du Pont de l’Alma.

Je veux croire que l’essence du monde tient dans un pot d’échappement et dans la fumée papale qui s’en échappe.

Car là est l’avenir, là est le progrès, là est la félicité.

Le bonheur est, non pas dans la fuite, mais, à l’inverse, dans la poursuite. Mais attention, pas dans la poursuite d’un but, non ; ce serait vulgaire ; non dans la poursuite de l’événement, dans ce souci mystique de ne point manquer la moindre seconde du présent qui s’enfuit.

Je ne veux plus comprendre, non. Je ne veux plus analyser, diantre. Je ne veux plus mettre en perspective, fi. Non, je ne veux plus rien de tout cela. Je ne veux plus rien qui puisse m’amener vers l’inconfort, rien qui puisse m’extraire de cette extase infinie de l’excitation perpétuelle.

Je veux devenir l’outil de cette haletante attente.

Je veux les visages tour à tour soucieux et souriants des personnes qui comptent. Je veux leurs gestes, la légère torsion de leur buste quand ils s’engouffrent dans la berline, l’air grave avec lequel ils empoignent leurs téléphones. Je veux être une part de cette attente meublée qui aboutit sur du vide, ce vide qui nous remplit.

Je désire plus que tout le bruit de ces voix accompagnant le moteur à deux temps tout au long de sa course, ces voix qui, avec l’intonation traînante du planteur devisant de la hauteur des cannes et de l’énergie des esclaves, nous disent tout ce qu’il nous est absolument inutile de savoir.

Je me languis de ces voix sensuelles et puissantes, meublant, par petites touches notre conscience politique, comme un décorateur d’intérieur le ferait d’un palais somptueux et oublié dans une émission destinée à un vaste public.

Je veux naviguer entre les pensées décoratives et les mots meublants, entre les engouements artificiels et les haines fabriquées, entre les images inutiles et celles qui ne servent à rien.

Je veux être l’un de ces nouveaux chevaliers du vide, un de ces hommes casqués qui tournent autour du monde sans jamais l’affronter.

Mais pour être un héros, il me faut un destrier.

Donnez-moi les deux temps sur lesquels ma pensée devra s’aligner.

Je veux un scooter.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.