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Billet de blog 25 juin 2023

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Wagner et la bulle postcoloniale

Au cours de la journée d’hier, la Russie de Vladimir Poutine nous a offert le spectacle d’un psychodrame, dont le monde n’a pas encore pris la mesure.

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Illustration 1
Evgueni Prigojine quitte Rostov-sur-le-Don. © ALEXANDER ERMOCHENKO / REUTERS

En effet jusqu’à hier, les forces armées russes se composaient de deux entités :

  • d’un côté, la branche « néolibérale » des milices Wagner, qui a permis à la Russie de prendre pied au Moyen-Orient dès l’année 2015  sur le terrain ouvert par la démission des Occidentaux ;
  • de l’autre, l’armée régulière d’un pays européen qui n’est entré formellement en guerre qu’en février 2022, par l’invasion militaire de l’Ukraine voisine.

En un an et quatre mois, la « bulle postcoloniale » séparant ces deux entités s’est résorbée peu à peu ; elle a finalement éclaté dans la journée d’hier, sans faire plus de dégâts. Au passage, la Russie de Vladimir Poutine s’est payée le luxe d’un psychodrame salutaire sur la « trahison des élites »…

Pour une lecture des évènements à chaud, dont je m’autorise dans la présente analyse, on pourra consulter les tweets hier matin d’Anna Colin Lebedev, et l’interview ce midi d’Emmanuel Todd :

Commentaires à chaud d'Emmanuel Todd, ce dimanche midi. © Sud Radio

Nulle doute que la Russie sortira de cet épisode considérablement renforcée, soudain consciente de sa capacité à surmonter les clivages de notre temps, qui plombent l’ensemble de nos pays développés. Ces prochains jours, la société russe s’apprête à vivre un Printemps Arabe* par contre-coup. Sous quelle forme ? Je ne connais pas assez la Russie pour le dire, mais cela découle de la séquence historique déclinée ici. Et il y a derrière des raisons anthropologiques : un rapport spécifique à la bulle postcoloniale, lié à la position intermédiaire du monde orthodoxe au sein de la matrice monothéiste*, vis-à-vis d’une part de la Chrétienté latine, d’autre part de l’Islam sunnite.

=> ce que j’appelle « bulle postcoloniale » (ce billet n’est qu’un teaser : je renvoie à mon site, sur la question générale des rapports entre islam et sciences sociales…) 

Pour d’autres pays, notamment le notre, je crains que le réveil soit beaucoup plus douloureux. D’autant que Volodymyr Zelensky tente naturellement de pousser son avantage par de la com’ : « La faiblesse de la Russie est évidente. Une faiblesse totale… », nous explique-t-il. Il est à craindre que notre jugement soit brouillé encore longtemps par l’inertie de notre appareil perceptif (les sciences sociales), des relations de clientèle sur lesquelles il repose, avec les risques que cela comporte pour la stabilité du monde (voir les craintes d’Emmanuel Todd, quant à la tentation d’ignorer la doctrine nucléaire russe - 37’ à 44’).

C’est pourquoi il faut se réjouir de l’indocilité de l’Arabie Saoudite ces derniers mois (cet épisode n’est pas de nature à la refroidir, contrairement à ce qu’avance Todd - 2’ à 3’), et plus généralement d’un nouveau rapport entre islam et sciences sociales, peut-être enfin en train d’émerger. Le retour de la franchise est dans le sens de l’Histoire : pas forcément pour un cataclysme terminal, peut être simplement pour un changement d’époque. 

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