Les Annales franco-allemandes.
Arnold Ruge s'est basé à Paris dès l'été 1843 et Marx avec Jenny viennent s'y installer mi octobre.
Pas de Français et pas de Feuerbach ...
Pour la revue "franco-allemande", Ruge escomptait la collaboration de pas moins que Lamartine, Louis Blanc, Lamennais, Leroux et Proudhon, liste à laquelle Moses Hess le poussera à ajouter Cabet, Dezamy et Considérant. Il s'était rendu chez Leroux, l'inventeur du mot socialisme, qui lui avait expliqué qu'une alliance franco-allemande devait plutôt se faire avec les idées de Schelling, identifiant philosophie et religion, qu'avec celles de Hegel, et qui était trop occupé alors par la mise au point d'une machine à composer. Il s'était aussi rendu chez Louis Blanc, qui s'était opposé à "l'athéïsme", au révolutionnarisme extrême, lui avait lui aussi parlé de Schelling, et avait évoqué le problème, franco-allemand en effet ... de la rive gauche du Rhin ! Lamartine avait vaguement laissé espérer son concours, mais ne l'a pas confirmé, comme Marx et Ruge seront conduits à le dire dans un communiqué à la Démocratie pacifique, le journal de Victor Considérant, suite à des rumeurs dans la presse sur sa participation. Celui-ci, également visité par Ruge, est justement trop occupé par son journal. Le contact avec Proudhon n'est pas encore effectif, bien que l'on ait une mention dans une lettre de Ruge à Marx, laissant supposer que ce dernier lui avait écrit.
En désespoir de cause, le 1° décembre, Ruge écrit à Marx – judicieusement – d'aller voir du côté "des femmes", mais il avait déjà approché George Sand, trop occupée par ailleurs, et l'on n'a pas connaissance de tentative du côté de Flora Tristan, bien que Ruge, Hess, et German Maürer, l'un de leurs contacts allemands de Paris, voisin de Marx et membre d'une association nommée Ligue des Justes, soient allés l'écouter à ses conférences - elle mourra d'épuisement, se prenant pour le Messie féminin, après sa magnifique campagne pour l'Union ouvrière, en novembre 1844.
Au total, il n'y aura pas de Français pour collaborer au premier n° des Annales franco-allemandes. Ce premier échec porte en germe le conflit entre Ruge et Marx, car Ruge a avant tout cherché des "noms", souvent trop modérés par rapport à ce que sera effectivement cet unique numéro.
Autre échec, L. Feuerbach ne s'engagera pas dans l'aventure.
C'est Marx qui lui a écrit le 3 octobre, en lui demandant très finement de prendre en charge la bataille contre Schelling, dont l'intronisation à l'université de Berlin s'est terminée en quenouille, mais dont la fausse réputation française a sans doute interpellé Ruge et Marx. Il lui explique qu'il est le "Schelling inversé", celui qui a développé sur des bases matérialistes et rationnelles les thèmatiques du jeune Schelling. Feuerbach est très sensible à cette interpellation, il tente d'écrire sur le sujet, mais il ne le sent pas et répond très honnêtement à Marx qu'il va, en somme, continuer à cultiver son jardin. Celui qui avait expliqué publiquement que philosophie et religion sont l'expression inversée des rapports réels entre les hommes et entre les hommes et la nature, sans aborder l'analyse de la société elle-même, demeurera un père tranquille le restant de ses jours - il rejoindra, à la fin de sa vie, la social-démocratie naissante.
... mais une publication exceptionnelle quand même.
Malgré ces déceptions, les Annales franco-allemandes sont une publication de tout premier ordre qui paraît début février 1844. A cette date, Marx s'est largement immergé dans un certain Paris, devenant un ami intime du poète Heine, et fréquentant les milieux ouvriers et artisanaux où l'on parle non seulement de démocratie, mais de socialisme et de communisme, aussi bien français qu'allemands.
Au sommaire, nous avons : un "Plan" de Ruge, une "correspondance de 1843" qui est un arrangement, fait par Ruge, de lettres (sans les signatures) entre lui-même et Marx comportant aussi une lettre de Feuerbach et une lettre de Bakounine, une tirade contre le roi de Bavière par Heinrich Heine, le dossier de la persécution judiciaire contre le démocrate Johann Jacoby, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel. Introduction, de Marx, des lettres de Moses Hess, l'Esquisse d'une critique de l'économie nationale d'Engels, un document divulguant une conférence ministérielle à Vienne en 1834 consacrée à la répression des chambres corporatives pour qu'elles ne prétendent pas devenir législatives, communiqué par l'émigré Bernays, un article pamphlétaire du démocrate Georg Herwegh, et trois recensions de livres ou de presse : F. Engels sur Past and Present de Thomas Carlyle, deux articles de Marx sur une brochure et un article de Bruno Bauer sur La question juive, et Bernays sur la presse allemande.
La Correspondance de 1843.
La correspondance de 1843, montage de Ruge, fait voir Marx comme force entraînante, ce que Ruge regrettera bientôt : Ruge se lamente sur l'incapacité du philistin allemand à produire quoi que ce soit d'intéressant, Marx lui répond qu'il faut étudier le philistin lui-même et la réalité en général, pour aller à la racine qu'elles qu'en soient les conséquences, et par la jonction de l'humanité pensante et de l'humanité souffrante, faire produire par la réalité elle-même le contenu dont elle est grosse.
Encouragé par ailleurs par Feuerbach et surtout par Bakounine, Ruge se déclare convaincu et produit un projet : celui que nous connaissons, d'association du démocratisme radical français et de la philosophie hégélienne allemande. Dans une dernière lettre Marx précise la méthode :
"Nous ne nous présentons pas au monde en doctrinaires armés d'un nouveau principe : voici la vérité, à genou ! Nous développons pour le monde des principes nouveaux que nous tirons des principes mêmes du monde." Cela avec un angle d'attaque : "… en partant de ce conflit de l'Etat politique avec lui-même, on peut dégager partout la vérité sociale. (…) Prendre pour objet la critique de la question politique la plus spéciale – par exemple la différence entre le système des ordres et le système représentatif – n'est donc nullement au dessous de la hauteur des principes."
Les articles de Marx.
Les trois articles de Marx, Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel. Introduction et les deux articles sur B. Bauer à propos de la "question juive", ont été rédigés soit peu avant, soit peu après son installation à Paris. Ainsi qu'il les a présentés plus tard, ils forment la conclusion de ses travaux sur la philosophie hégélienne du droit en même temps que le passage à autre chose, ce qui est évident à leur lecture : les articles "A propos de la question juive" introduisent la distinction entre émancipation politique et émancipation humaine, et la Contribution introduit ... le prolétariat révolutionnaire !
Bien que nous ne sachions pas dans quel ordre ils ont été rédigés, cette progression justifie de donner un aperçu d'abord des articles sur la brochure de Bauer, puis de la Contribution ...
Premier article contre B. Bauer à propos des Juifs.
Insistons-y : Marx n'a jamais écrit de livre sur "la question juive", mais deux articles visant à prendre publiquement ses distances avec Bruno Bauer en ciblant les écrits de celui-ci, dont un livre titré La question juive, critiqué dans le premier des deux articles de Marx. Titre malheureux mais significatif : dans l'Europe chrétienne féodale puis moderne, il n'y avait pas de "question juive" mais une question antijudaïque, et dans le monde capitaliste il n'y a pas de "question juive", mais une question antisémite, ce qui n'est pas la même chose. Ces deux articles ne forment donc en aucun cas un traité que Karl Marx aurait consacré à la "question juive" ...
Selon B. Bauer, les Juifs ne sont pas fondés à demander l'égalité politique et civique, d'une part parce que l'Etat chrétien ne peut pas la leur accorder tout en restant chrétien, d'autre part parce que eux-mêmes prétendent, pour leur propre compte, rester Juifs. Au nom de la thèse selon laquelle il faut, pour émanciper tout le monde, abolir la religion en mettant fin à tout caractère religieux de l'Etat, et faire de la religion une affaire privée individuelle, la revendication d'émancipation des Juifs n'aurait pas lieu d'être en Allemagne.
C'est là la première intervention directe de Bauer sur le terrain politique, le débat sur l'autonomie, l'égalité ou la discrimination des Juifs se développant, et c'est là que Marx choisit de croiser le fer avec son ancien compère.
Marx est, lui, inconditionnellement pour l'émancipation, pour l'égalité civique et politique.
Mais son sujet est le suivant : quelle émancipation ?
Bauer n'envisage que l'"émancipation politique" qu'en plus de ça il refuse aux Juifs, à savoir l'égalité civique dans l'Etat, qui est en même temps émancipation de l'Etat lui-même envers la religion. Mais, écrit Marx, " ... dans l'Etat, où il est considéré comme un être générique, l'homme est un membre imaginaire d'une souveraineté illusoire, dépouillé de sa vie réelle d'individu et empli d'une universalité irréelle."
Cette fois-ci la critique de Marx vise l'Etat démocratique lui-même : l'Etat démocratique est même le véritable Etat chrétien, sans dogme officiel ni immixtion dans les cultes, mais où la religion devient affaire privée, mais nécessaire, des individus atomisés et isolés de la société civile. Car l'abstraction de l'Etat va avec le fait que dans la société civile, les hommes se traitent mutuellement comme des moyens et non comme des fins (notons cette thématique kantienne).
Dans le manuscrit dit de 1843 la contradiction entre Etat et société civile était envisagée comme une contradiction essentielle conduisant à leur affrontement. Cette fois-ci elle est envisagée comme les deux revers de la même médaille : les hommes sont atomisés, ils nouent des relations utilitaires et mercantiles dans l'ordre civil, et ils forment une communauté abstraite dans l'ordre public.
Dans ces conditions, la religion, affaire privée, mais nullement déracinée comme l'espèrait Bauer, s'adapte, et devient la forme adéquate à ce rapport d'affrontement entre les hommes, comme on le voit bien, avec Tocqueville, De Beaumont et Hamilton cités par Marx, aux Etats-Unis, la République démocratique par excellence – Etat sans religion, société chrétienne.
Le fait, d'ailleurs, que la Déclaration des droits de l'homme de 1789, celle de 1793, la constitution française de 1791, la constitution de Pennsylvanie, et celle du New Hampshire, séparent les "droits de l'homme" des "droits du citoyen", montre que l'"homme" y est réduit au membre égoïste de la société civile bourgeoise, dont la liberté est propriété privée, l'égalité isolement réciproque, la sûreté garantie de l'une et de l'autre ainsi définies.
Tels sont les "prétendus droits de l'homme" : le mot "prétendus" est important, car il indique que Marx n'entend pas les abolir, mais les réaliser.
C'est ce qu'avait cru faire la Convention, qui, poussant l'abstraction souveraine de l'Etat à son maximum et proclamant "la révolution en permanence", les avaient contredits dans les faits en pérennisant en réalité leur existence ultérieure prosaïque.
La pleine et véritable émancipation serait "l'émancipation humaine", car "émancipation" signifie " réduction du monde humain, des rapports sociaux à l'homme lui-même", donc réunification de l'individu réel et du citoyen abstrait.
Second article contre B. Bauer à propos des Juifs.
Le deuxième article, plus court, est d'une autre facture : c'est une charge, un morceau de bravoure, un exercice de style, qui s'amuse à adopter un ton moraliste voire prophétique, contre l'article de B. Bauer L'aptitude des juifs et des chrétiens d'aujourd'hui à devenir libres, paru à Zurich et Winterthur en 1843.
B. Bauer y avait surenchéri en expliquant que les Juifs sont au dessous des chrétiens dans leur rapport à la religion, et qu'il faudrait de toute façon qu'ils commencent par rompre avec le judaïsme ... en se faisant chrétiens, avant tout début d'émancipation !
Marx adopte une outrance symétrique en rétorquant que les Juifs n'ont pas tant à s'émanciper du judaïsme que du fond profane de celui-ci : l'argent, ce en quoi ils sont comme tout le monde - n'oublions pas en effet, que dans l'article précédent, il a expliqué que la religion en général, dans la société civile bourgeoise, en tant qu'affaire privée, allait désormais de pair avec le règne des relations que représente l'argent.
Dans cette réplique, Marx reprend sans états d'âmes tous les clichés antijudaïques sur le mercantilisme et l'usure sordides des Juifs. Cela n'avait choqué personne à l'époque, et c'est au XX° siècle que cet article a pu paraître antisémite. Il est antijudaïque, assurément, et non sans user de préjugés, mais en assimilant le judaïsme aux rapports entre humains qui se sont généralisés dans la société civile bourgeoise, tout en reprenant une imagerie antijuive typique, que l'on retrouve aussi chez cet autre révolutionnaire allemand d'origine juive qu'était Heine.
Si ces clichés sont tout à fait regrettables (et Marx n'en a pas usé qu'envers les Juifs, mais aussi, et plus cruellement, envers les Allemands et les Russes), on ne saurait donc parler d'antisémitisme (de la part du "juif" Marx). Le fond du message est que l'émancipation humaine, des Juifs comme des autres, rompra avec le rapport social que représente l'argent, cette "essence aliénée du travail et de la vie de l'homme."
La Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel. Introduction : un grand texte.
Cet écrit est d'une envergure et d'une fulgurance exceptionnelles. A titre de jouissive ascèce, je recommanderai sa lecture à haute voix, au fond des bois, et de préférence en allemand, à la suite des Thèses provisoires pour la réforme de la philosophie de L. Feuerbach et de la Réaction en Allemagne de M. Bakounine alias Jules Elysard. Ceci montrerai que le style "jeune-hégélien" avec ses antithèses rhétoriques culmine précisément dans l'écrit qui marque la sortie de la philosophie et le passage au prolétariat.
On remarquera au passage qu'Arnold Ruge avait produit sa propre critique de la philosophie hégélienne du droit en préfaçant la réédition de celle-ci en 1840. Il critiquait inconséquence et accommodements de Hegel, qui dans sa philosophie du droit aurait cessé de procéder de manière "historique". La critique de Marx est quant à elle intrinsèque à la pensée même de Hegel – et ne cite strictement nulle part la contribution de Ruge.
Le préambule sur la critique de la religion.
Marx commence par un préambule célèbre consacré à la critique de la religion. Ce n'est pas le coeur du texte, mais c'est un préalable. On a là certaines des phrases de Marx les plus citées et les moins bien comprises.
D'abord, la religion "opium du peuple" : cette métaphore, courante dans l'extrême-gauche hégélienne, ne se ramène pas à en faire une simple tromperie montée par des escrocs, puisque Marx écrit aussi que "La misère religieuse est tout à la fois l'expression de la misère réelle et la protestation contre la misère réelle." -
Inversement toutefois, voir dans cette dernière phrase l'attribution de vertus libératrices à la religion est une déformation de ce qui est écrit.
La phrase décisive est, elle, est rarement citée, alors qu'elle est la toute première :
"Pour l'Allemagne, la critique de la religion est pour l'essentiel achevée, et la critique de la religion est la condition de toute critique."
Condition de toute critique, rien de moins ; mais on ne saurait s'y limiter.
Critique de l'Allemagne.
L'Allemagne est dans un état lamentable : " ...nous avons participé aux restaurations des peuples modernes, sans jamais participer à leurs révolutions."
Mais cette infâmie anachronique a un produit contradictoire :
"De même que les peuples anciens ont vécu leur pré-histoire en imagination, dans la mythologie, de même nous autres Allemands nous avons vécu notre post-histoire en pensée, dans la philosophie. (...) En politique, les Allemands ont pensé ce que les autres peuples ont fait. L'Allemagne était leur conscience politique."
Il faut maintenant dépasser cette situation, la théologie ne doit plus mettre en échec la révolution comme lors de la grande guerre des paysans au XVI° siècle. Réalité et pensée doivent tendre l'une vers l'autre : :
"De toute évidence, l'arme de la critique ne peut pas remplacer la critique des armes : la force matérielle doit être renversée par une force matérielle, mais la théorie se change elle aussi en force matérielle, dés qu'elle saisit les masses."
Quelle est cette force matérielle rendant possible la révolution allemande ?
Voici le prolétariat.
« Réponse : [la possibilité de l'émancipation allemande se trouve] dans la formation d'une classe chargée de chaînes radicales, d'une classe de la société civile qui n'est pas une classe de la société civile, d'un ordre qui est la dissolution de tous les ordres, d'une sphère qui possède un caractère universel en raison de ses souffrances universelles, et qui ne revendique aucun droit particulier, parce qu'on lui fait subir non un tort particulier, mais le tort absolu, qui ne peut plus s'en rapporter à un titre historique mais seulement à un titre humain, qui n'est pas en opposition partielle avec les conséquences, mais en opposition totale avec les principes politiques de l'Etat allemand, d'une sphère, enfin, qui ne peut s'émanciper sans s'émanciper de toutes les autres sphères de la société et, partant, sans les émanciper toutes ; en un mot, une sphère qui est la perte totale de l'homme et ne peut donc se reconquérir elle-même sans la reconquête totale de l'homme. Cette dissolution de la société, c'est, en tant qu'état [Stand] particulier, le prolétariat. »
Le prolétariat ainsi introduit n'est pas "la classe ouvrière" du marxisme standard, car il n'est pas une classe.
Il est une non-classe, produit de la dissolution de tous les ordres et classes, dissolution de la société, humanité nue, "dissolution de l'ordre présent du monde". Le "mouvement industriel" le fait surgir, mais nous voyons là que l'idée du prolétariat non-classe, masse atomisée de sujets humains comme tels, précède chez Marx celle selon laquelle il est la classe des vendeurs de leur force de travail.
Dire que Marx en fait le "sujet révolutionnaire" n'est donc pas évident du tout : le prolétariat a priori n'est que dissolution, donc, disons-le, sans mission, sans destin, sans vocation. S'il est "sujet" c'est bien parce qu'il n'est rien.
Comme tel, il est la seule voie possible pour la réalisation de la philosophie et réciproquement :
"La philosophie ne peut devenir réalité sans l'abolition du prolétariat, le prolétariat ne peut s'abolir sans que la philosophie ne devienne réalité."
Disons-le autrement comme Marx le dira bientôt : sans la conscience et la médiation de l'organisation révolutionnaire le prolétariat n'est rien et reste rien.
Prolétariat, résurrection allemande, coq gaulois !
Après cette dernière phrase, Marx conclut abruptement :
"Quand à l'intérieur toutes les conditions seront remplies, le jour de la résurrection allemande sera annoncé par le chant du coq gaulois."
Ces mots ne sont pas développés ni expliqués, mais ils manifestaient le ressenti du milieu dans lequel Marx évolue désormais : la reprise de la Révolution française sonnera la révolution allemande.
C'est bien ce qui se produira en 1848, dans cinq ans.
Après les Annales.
Notes sur la Révolution française.
Dés son arrivée à Paris, comme le montrent ses carnets de notes, Marx s'est lancé dans de nouveaux travaux, qui portèrent d'abord, cela peut se comprendre, sur la Révolution française et l'histoire sociale française : Guizot, Thierry, Mignet, les mémoires du conventionnel Levasseur de la Sarthe avec l'introduction d'Achille Roche.
Les annotations de Marx portent sur l'impuissance de la Législative, la diffusion du sentiment démocratique, la place des forces insurrectionnelles du 10 août et des semaines suivantes comme pouvoir de fait, la nécessité de l'initiative des « sociétés populaires et des municipalités », celle d'un pouvoir provisoire, « état transitoire entre la monarchie détruite et la république à organiser » (citation de Levasseur soulignée par Marx), les lourdes responsabilités des Girondins et de Danton, l'opposition de la droite jacobine au maximum qui y voyait « une menace portée à l'existence des propriétaires » (commentaire de Marx).
"Avec le 10 août 1792 commence un interrègne. Impuissance de l'Assemblée législative, impuissance du ministère qui avait été son émanation. Le gouvernement passe aux assemblées populaires et aux municipalités, centres improvisés du gouvernement, émanation de l'anarchie ... " (annotation de Marx).
Marx relève aussi plusieurs passages peu connus de Robespierre, diffusés par Levasseur, Achille Roche ou Buonnarotti, tels que celui-ci : "Les dangers intérieurs viennent des bourgeois. Pour vaincre les bourgeois, il faut rallier le peuple."ou encore cette lettre du jacobin Marc-Antoine Julien à Robespierre : "Il est temps que les pauvres et les sans-culottes dominent, puisqu'ils sont la majorité sur la terre ...".
Nous savons par Ruge, qui approuvait ce projet, que Marx envisageait d'écrire une histoire de la Convention, et il a sans doute compulsé l'Histoire parlementaire de la Révolution française de Buchez et Roux et l'Histoire populaire de la Révolution française d'Etienne Cabet, et très certainement aussi, puisque certains passages de Robespierre en proviennent, la Conspiration pour l'égalité dite de Babeuf, de Filippo Buonarroti, qui fut le bréviaire des premiers républicains communistes tels que Blanqui.
Entrée dans l'économie politique.
Mais en fait les travaux sur la Révolution française furent une étape dans une évolution rapide.
Sans transition, fin décembre 1843-début janvier 1844, ses cahiers de notes passent de Levasseur de la Sarthe au Traité d'économie politique (1803) de Jean-Baptiste Say, puis à son Cours complet d'économie politique pratique (1828-1829) et au vulgarisateur polonais Skarbeck (Théorie des richesses sociales, 1829), en français. Puis ce sont, en allemand, les Grundsätze der National-Ökonomie de Carl Wolfgang Christoph Schütz, paru l'année précédente, le Système de l'économie nationale de Friedrich Liszt (1841), deux traités, de 1840 et l'autre de 1844, de H.F. Osiander, puis à nouveau Skarbeck et Say, et - enfin – la Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations, en français, d'Adam Smith, la "Wealth of nations", ouvrage fondateur de ce que les Anglais appellent l'économie politique, terme qui n'est pas encore celui de Marx qui parle, à l'allemande, d'économie nationale : nous voici parvenus en mai-juin 1844.
Trois lectures ont joué pour lui un rôle de catalyseur, donnant un fil conducteur à ces travaux.
Qu'est-ce que la propriété ?, ou 1° mémoire sur la propriété (1840), de Proudhon, était déjà connu de lui en Allemagne de réputation, et par l'ouvrage de Lorenz von Stein sur Le socialisme et le communisme français (1842), mais il ne l'a sans doute vraiment lu une fois à Paris, en s'initiant vraiment à la langue française.
Fin 1843 il avait eu en main le manuscrit d'un essai sur l'argent de Moses Hess, Über das Geldwesen, qui sera publié en 1844-1845.
Mais ce fut surtout l'article envoyé de Manchester par le jeune Friedrich Engels, Esquisse d'une critique de l'économie nationale, pour les Annales franco-allemandes, qui donnait une vision à la fois synthétique et critique de l'économie politique anglaise, qui a frappé Marx. Il avait croisé son auteur sans plus, et même assez froidement, quand il dirigeait la Gazette rhénane et que celui-ci était un "Affranchi" de Berlin, mais cette fois-ci, impressionné, il entre en correspondance avec lui.
Rupture avec Ruge.
Lors de la parution du premier et unique numéro des Annales franco-allemandes, l'ambiance était déjà détériorée entre Marx et Ruge. Celui-ci avait financé l'affaire mais il avait "payé" Marx en exemplaires de la revue, et le couple Marx, qui va bientôt avoir un enfant, est aidé par une souscription des amis rhénans. Ruge n'arrive pas à suivre Marx qui travaille comme une brute mais, à son sentiment, n'importe comment, et il reste déçu par la revue produite, n'en saisissant pas lui-même la grande qualité.
Peu après, Marx et Ruge s'engueulent à propos du poète Herwegh qui menait selon Ruge une vie dissolue, et ils ne se voient plus. Ces tensions, et les difficultés financières et d'acheminement en Allemagne, font que lesAnnales franco-allemandes sont mortes-nées.
Le Vorwärts.
Un autre journal se met à jouer un rôle : le Vorwärts, lancé début janvier par un affairiste intelligent, Börnstein, et un aventurier parfois indic de police dont il se débarasse en cours de route, Bornstedt.
Pour se vendre dans les milieux émigrés, ce journal se met à publier des poèmes de Heine, puis des petits articles de responsables de la Ligue des Justes, et finalement des participants aux Annales franco-allemandes, par l'intermédiaire de Bernays qui, de permanent de celle-ci, devient dirigeant de fait du Vorwärts.
Une discussion s'y engage, Börnstein demandant publiquement à Ruge :
"Ne fondez-vous pas dans les Annales … votre doctrine sur les « droits de l'homme » et, dans ce même numéro, M. Marx ne va-t-il pas au delà de ces droits de l'homme ? "
Marx n'intervient pas publiquement, mais Ruge affirme que le point de vue de Marx se ramène à la défense des droits de l'homme et fait de la France le foyer de la révolution, alors que Bernays, anonymement, adresse ces lignes où l'influence de Marx se sent, déjà vulgarisée et radicalisée :
"La République est la forme la plus parfaite de l'Etat, mais il y faut toujours des juristes et des curés et un troupeau d'hommes asservis ; cependant l'Etat politique n'est pas la forme dernière dans laquelle doit vivre la société. L'Etat politique n'est que l'abstraction, le caractère inhumain de la société ; qu'elle devienne seulement humaine, et l'Etat cessera d'exister ...", Ewerbeck, de la Ligue des Justes, se prononçant dans le même sens.
De fait, les articles de Marx que l'on dit si théoriques sont la matière de regroupements et de différentiations politiques.
Les Gloses critiques en marge de l'article "Le roi de Prusse et la réforme sociale".
Ruge va provoquer Marx – assez grossièrement - en signant au Vorwärts deux articles "Un Prussien", ce qui désignait pratiquement Marx comme leur auteur à la police.
L'un, du 24 juillet, cancane sur la vie privée du roi de Prusse.
L'autre, du 27 juillet, se moque des philanthropes humanitaires français, qui s'illusionnent sur une ordonnance royale prussienne en faveur des pauvres, édictées suite aux graves émeutes, survenues fin juin, dans des villages de Silésie, où les tisserands révoltés ont démoli la maison des patrons, affronté l'armée – et aussi attaqué quelques magasins juifs.
Ruge présente ce que l'on appelle déjà "l'insurrection des tisserands de Silésie" comme une émeute désespérée, non politique, faisant le jeu de la réaction, montrant à quel point l'Allemagne manque d' "intelligence politique" alors que la seule révolution possible sera politique.
Marx va réagir, sous son nom, précisant par une note qu'il n'avait encore rien écrit dans le Vorwärts. Ainsi paraissent les Gloses critiques en marge de l'article "Le roi de Prusse et la réforme sociale", les 7 et 10 août 1844.
Il prend la défense de l'émeute des tisserands, et s'appuie sur la situation anglaise pour dénigrer un ordre éminemment "politique" dans lequel le "social" est bafoué. Reprenant sa critique de la bureaucratie, il la pousse à un point qui confine à la dénonciation anarchiste de l'Etat en tant que tel (il précède largement Bakounine sur ce plan) :
"Car cet écartèlement, cette bassesse, cet esclavage de la société civile, constituent le fondement naturel sur lequel repose l'Etat moderne, de même que la société civile de l'esclavage était le fondement naturel de l'Etat antique. L'existence de l'Etat et l'existence de l'esclavage sont indissociables."
Dans la seconde partie, il fait un éloge idéalisant le prolétariat allemand, sa "stature d'athlète" apparaissant dans le Chant des tisserands (dont Heine s'inspire alors), et dans les écrits de l'artisan-théoricien de la Ligue des Justes, Wilhelm Weitling, et il précise que la révolution à venir sera sociale dans son essence, tout en comportant un moment politique.
Le prolétaire, appelé ici "l'ouvrier", est coupé non pas tant de la communauté politique, que de toute communauté humaine, il est coupé "de la vie elle-même", "par son propre travail", et donc sa révolution à lui sera plus "immense" qu'une révolution simplement politique, "car l'homme est plus immense que le citoyen". Cette révolution sociale, notons-le, "part du point de perspective de l'individu singulier réel".
Son moment politique nécessaire, c'est "le renversement du pouvoir établi et la dissolution des conditions anciennes", acte politique, nécessaire pour que "le socialisme" devienne réalité, rejettant son "enveloppe politique".
Ces lignes font mesurer le chemin parcouru en un an et montrent bien que Marx est désormais engagé dans un combat social à dimension politique, celui d'une révolution ouvrant la voie au "socialisme", alors que Ruge reste sur le plan d'une révolution politique démocratique qui touchera peut-être à telle ou telle propriété, mais non pas aux rapports de propriété.
1844 : les Manuscrits "économico-philosophiques".
Amorce.
Dans l'article sur les tisserands, la formule sur le travail qui coupe l'ouvrier de la vie fait écho aux réflexions que Marx est alors en train de rédiger, connues aujourd'hui sous le nom de Manuscrits économico-philosophiques de 1844. Ce chantier ouvert s'amorce avec ses lectures économiques. Jenny a accouché, d'une petite Jenny, quelques semaines auparavant, et l'enfant étant soufreteuse, elle s'est rendue chez sa mère avec elle. Marx est seul à Paris pendant cet été 1844. Il a commencé un travail de bénédictin, qui le suivra toute sa vie : le commentaire des économistes. La différence avec les bénédictins est l'hostilité qu'il éprouve envers son sujet, mais ceci ne le rend pas moins rigoureux, au contraire.
Seul Boisguillebert (qui, comme beaucoup d'auteurs du XVII°, lui inspire de la sympathie), parmi les auteurs commentés de ses cahiers de note, échappe à cette réprobation. Comme l'a relevé Ernest Mandel, le concept de "valeur", en tant que catégorie générale, commence par lui inspirer la plus grande méfiance : ne vient-il pas de rompre avec le concept général d' "Etat"? Il s'inspire de l'article d'Engels pour en critiquer l'abstraction généralisatrice, alors que chaque prix est concret et particulier, lié à l'offre et à la demande, et il se réfère à Proudhon pour soupçonner que les prix finaux permettent le prélèvement des profits et des rentes. Sa conception propre n'est donc nullement formée.
Les textes connus sous le nom de Manuscrits économico-philosophiques de 1844, ou plus simplement Manuscrits de 1844, se présentent généralement dans un ordre reconstruit par les éditeurs. Il est vraisemblable - c'est la supposition des éditeurs de la MEGA (Marx-Engels Gesamtausgabe) et de Marcelo Musto , déduite de l'absence de référence à David Ricardo à cette étape -, qu'après avoir lu Adam Smith Marx rédige le premier cahier des dits manuscrits, début juillet 1844.
Le premier cahier.
Ce premier cahier, de 27 pages, est, sauf à la fin, divisé en trois colonnes, titrées Salaire du travail, Profit du capital et Rente foncière. Cette division tripartie de la société la plus moderne, celle d'Angleterre, vient d'Adam Smith. Marx en cite et critique un passage clef dont nous n'avons presque pas de mentions ultérieures de sa part : la conclusion du livre I de la Wealth of nations, où Smith oppose rentiers et salariés aux capitalistes, parce que l'intérêt général de la société, à savoir son enrichissement, correspond à la hausse des salaires et des rentes, alors qu'il fait baisser le taux des profits ; seulement, les rentiers sont trop oisifs, et les salariés trop abrutis par le travail, pour pouvoir agir vraiment sur le rapport de force, alors que les rusés et avisés capitalistes, eux, le peuvent. Adam Smith est, dans ce passage, plus néo-républicain agrarien que libéral. Marx conteste que l'intérêt des rentiers du sol puisse coïncider avec l'intérêt général, car ils cherchent à augmenter fermages et loyers et sont en concurrence entre eux.
La colonne Rente foncière est la plus développée. La forme initiale et par excellence de la propriété privée est la propriété foncière, qui est donc au fondement même du capital et de la propriété privée moderne : la propriété foncière, la terre en tant que propriété, domine le serf de la glèbe comme elle instrumentalise l'héritier du majorat, formant le "corps inorganique" du propriétaire d'origine féodale, tant que le fonds est celui de tel ou tel maître. Le trafic de la propriété privée suscitant le trafic de la terre, on passera de trois à deux classes, les rentiers du sol s'agrégeant aux capitalistes, et les paysans aux prolétaires. Marx poursuit par le dessin d'un avenir où le sol serait propriété commune mais du même coup véritable propriété individuelle et personnelle : "Grâce au travail libre et à la libre jouissance, la terre cesse d'être un objet de trafic et redevient la véritable propriété personnelle de l'homme."
La colonne Profit du capital est la plus fournie en citations et la moins en notations personnelles de Marx. L'essentiel, commun à la colonne Salaire du travail, est formé de passages de Wilhelm Schültz, dont le Mouvement de la production avait été envoyé à Marx par son éditeur fin 1843, et dont l'approche socialisante et surtout matérialiste est approuvée par Marx, Charles Loudon, médecin du paupérisme (Solution du problème de la population et de la subsistance, 1842), Eugène Buret (De la misère des classes laborieuses en Angleterre et en France,1840), un auteur à la fois fouriériste et chrétien, amplement cité mais non commenté.
La colonne Salaire du travail, sauf cette partie commune, contient un approfondissement de la manière dont le prolétaire est réduit à l'état d'outil, ou de machine, et de marchandise, et "devient une activité abstraite et un ventre". L'économie nationale "ne considère le prolétaire qu'en tant que travailleur", le prolétaire non travailleur ne relevant plus de l'économie, mais des flics, des travailleurs sociaux, des médecins, des curés, des bonnes soeurs, et des fossoyeurs.
Il est clair que pour Marx (à la différence de bien des marxistes), le prolétaire n'est pas qu'un travailleur et le prolétariat ne comporte pas que des travailleurs.
Le terme clef qui apparaît dans ce cahier est celui de travail abstrait, suite à l'idée que le prolétaire est réduit à une activité abstraite, et pour se demander quel est le sens de sa généralisation dans l'histoire humaine. Et juste là, Marx émet une première critique envers Proudhon, en s'écrivant pour lui-même qu'il va lui falloir éclaircir les erreurs des "réformateurs de détail" qui espèrent, par la hausse des salaires, ou par leur égalisation, résoudre la question sociale, là où il faudrait abolir le salariat.
Les dernières pages du premier cahier.
Dans les dernières pages du premier cahier, Marx se lance. Constatant que "L'économie nationale part du fait de la propriété privée", il veut démêler "l'enchainement essentiel" entre "toute cette aliénation et le système de l'argent" (cf. M. Hess). La valorisation du monde des choses, par le travail du travailleur, va avec la dévalorisation du monde de l'homme, la pauvreté du travailleur. Voila le fait primitif, qui résulte du travail :
"Ce fait n'exprime rien d'autre que ceci : l'objet que le travail produit, son produit, vient lui faire face comme un être étranger, comme une puissance indépendante du producteur. Le produit du travail est le travail qui s'est fixé dans un objet, qui s'est fait chose ; ce produit est l'objectivation du travail. La réalisation du travail est son objectivation. Cette réalisation du travail apparaît, dans la situation de l'économie nationale, comme déréalisation du travailleur, l'objectivation comme perte de l'objet et asservissement à l'objet, l'appropriation comme aliénation, comme perte de l'expression." (traduction de Franz Fischbach).
Attention : nous avons affaire ici à la première possibilité de gros contresens banal envers Marx. Une interprétation vulgaire fréquente est qu'il dépeint dans le Manuscrit de 44 l'aliénation du travailleur comme une sorte de malheur ontologique : je produis des objets et, mince alors, ces objets m'échappent et me font face, me dominent comme un monde étranger ; la faute à qui ? Au capitaliste ! Mais ce n'est pas là la pensée propre de Marx.
Pour lui, que le produit soit l'objectivation du travail et forme donc un monde extérieur n'a en soi rien d'aliénant. Par le travail, l'homme fait de la nature son "corps inorganique" (expression apparue quelques pages plus tôt à propos du rapport entre le propriétaire féodal et son bien-fond). Toute la nature est faite corps inorganique de l'homme, et cette appréhension fait de l'homme un homme en tant qu'être naturel. Elle est polyvalente, omnilatérale, et pas seulement utilitaire, ce rapport comportant l'art et la beauté.
Le problème, c'est ce qui se passe dans les rapports sociaux propres à la société civile bourgeoise et à son Etat moderne : leur spécificité n'est pas l'exploitation de l'homme par l'homme, que l'on rencontre ailleurs et antérieurement, c'est le travail aliéné. C'est là seulement qu'il y a identité entre objectivation du travail, caractère générique de l'homme, et déréalisation du travailleur, caractère spécifique de l'époque actuelle. C'est cela que Marx veut traiter par la racine.
Le terme d'aliénation, Entfremdung, à quoi l'on ramène souvent tout le Manuscrit de 44, n'y suffit pas, et s'insère dans une série conceptuelle négative qui comporte aussi Entäusserung (sens courant : extériorisation, mais sens propre au Manuscrit de 44 : perte de l'expression), Entgegenständlichung (perte de l'objet), Entwirklichung (déréalisation) (cf. F. Fischbach).
Aliénation, perte de l'expression, perte de l'objet, déréalisation, se produisent dans le travail aliéné, entre le travailleur et son produit, mais aussi entre le travailleur et son propre acte de travail : il lui faut travailler pour vivre et il ne peut pas travailler par lui-même, le "travail", ("l'emploi" ! ) doit lui être fourni, il doit le "trouver", et il ne dispose en rien des moyens de ce travail. C'est "la procréation comme castration".
La vie générique de l'homme - formule feuerbachienne que l'on peut tout simplement traduire par l'existence humaine, physique et morale, animale et spécifique – la vie tout court, devient pur moyen de vivre. "Mais la vie productive est la vie générique". L'humanité de l'homme est donc retirée au travailleur, dont le travail, vie générique de l'homme, devient le moyen précaire de vivre sans rien de plus. "... son corps propre non organique, la nature, lui est soustrait" - aussi bien le monde extérieur que son être et son corps propres.
Le travail aliéné, abstrait, lucratif, ainsi défini, produit donc "l'aliénation de l'homme à l'égard de tout rapport où l'homme se tient avec lui-même", et il pose donc un être étranger, auquel le travail, le produit du travail, et le monde des objets, appartiennent, cette appartenance consistant dans la privation du travailleur. Le propriétaire privé et la propriété privée résultent donc du travail aliéné.
Approche de Ricardo et second cahier.
C'est après ce premier cahier que Marx commence à approcher Ricardo, le plus important auteur de l'économie politique anglaise classique, par le biais de John Ramsay Mac-Culloch, Discours sur l'origine, les progrès, les objets particuliers, et l'importance de l'économie politique, et d'une étude de son traducteur français, Guillaume Prévost, jointe à l'édition genevoise de 1825, Réflexions du traducteur sur le système de Ricardo. Il revient ensuite à l'article d'Engels, puis s'occupe des Eléments d'idéologie de Destutt de Tracy.
Il rédige alors un second cahier, dont nous n'avons que les pages 40-43. Cette conclusion d'un développement perdu dessine une vue d'ensemble des économistes, aboutissant aux "cyniques" Ricardo et Mill, aborde la notion du rapport capital-travail comme rapport et mouvement circulaire, et approfondit la thématique de l'opposition entre propriété foncière immobile et capital mobile, lequel se réalise dans un "développement planétaire".
Le troisième cahier : premiers additifs.
Suit le troisième cahier, 46 pages, qui commence par trois additifs qui semblent se rapporter à des pages perdues de ce second cahier.
Le premier additif, après avoir appelé le travail "l'essence subjective de la propriété privée", précise le développement des idées économiques à partir du fétichisme initial des mercantilistes - la valeur réside dans les métaux précieux -, les physiocrates - la valeur provient du sol travaillé - faisant transition vers Smith et Ricardo - la valeur-travail.
Le second additif définit la propriété privée comme contradiction entre "le travail, essence subjective de la propriété privée comme exclusion de la propriété", et le capital, "travail objectif comme exclusion du travail".
Le troisième cahier : le communisme (points 1 à 5).
Le troisième additif est plus étendu et porte sur le communisme, rattaché au mouvement contradictoire de "suppression de l'aliénation de soi" qui "suit le même chemin que l'aliénation de soi".
Après quelques mots, d'une interprétation délicate, sur Proudhon, Fourier et Saint-Simon, sans doute en tant qu'ils n'envisagent pas encore la suppression de la propriété privée comme telle, Marx présente en effet le communisme comme "expression positive de la propriété privée supprimée". Son exposé est divisé en cinq parties numérotées, d'ampleurs inégales.
Première partie : une véritable charge contre le communisme ! - à savoir le plus évident, le plus banal et le plus courant des communismes, celui de la simple appropriation collective, la communauté devenant propriétaire. Ce n'est en rien, pour Marx, l'abolition véritable de la propriété privée, mais plutôt sa généralisation, un "capitaliste universel" exploitant une humanité entièrement réduite au travail. Bakounine écrira des lignes semblables, mais beaucoup plus tard, et en croyant contrer Marx ...
La généralisation du salariat dans ce "communisme" manifeste la vérité de la propriété privée, et de même la soi-disant "communauté des femmes" généralise la prostitution, comme vérité du mariage privé dans la société civile bourgeoise. Le rapport homme/femme est la pierre d'achoppement car il est à la fois naturel et humain. Des relations harmonieuses et désaliénées entre les individus et entre ceux-ci et la nature ont donc pour pierre de touche les rapports entre les sexes.
Seconde partie, très brève : voici maintenant un communisme qui "se sait déjà comme réintégration ou retour de l'homme en soi, comme suppression de l'autoaliénation humaine", ce qui se manifeste dans la conscience de son action politique : démocratique ou despotique, puis allant vers la suppression de l'Etat. Mais il n'a pas encore saisi l'essence de la propriété privée, présentée comme "nature humaine du besoin".
Cette saisie a lieu dans la troisième partie, clairement celle de la synthèse : après la position initiale et le rejet du communisme vulgaire, puis la transition du communisme politique, voici donc l'adhésion, si l'on y tient, de Marx au "communisme", un communisme qu'il a fait sien et profondément remodelé après en avoir rejeté les premières formes les plus courantes.
Ce communisme marxien est "dépassement positif" et pas seulement négation immédiate, ou médiatisée par l'action politique, de la propriété privée, et du coup "dépassement positif de toute aliénation, donc l'abandon par l'homme de la religion, de la famille, de l'Etat, etc., et le retour à son existence humaine, sociale", qui réunifie ou unifie les hommes entre eux et avec la nature :
"Ce communisme est un naturalisme achevé, et comme tel un humanisme ; en tant qu'humanisme achevé il est un naturalisme ; il est la vraie solution du conflit de l'homme avec la nature, de l'homme avec l'homme, la vraie solution de la lutte entre l'existence et l'essence, entre objectivation et affirmation de soi, entre liberté et nécessité, entre l'individu et l'espèce. Il est l'énigme résolue de l'histoire et il sait qu'il est cette solution."
La vie naturelle devient humaine et réciproquement, l'activité individuelle est en même temps sociale. Au passage, Marx a signalé que l'athéïsme, en référence à Owen, est un moment initial de ce communisme, mais reste une abstraction par rapport à lui. Reste la limitation de la mort individuelle ; mais l'individu étant devenu un "être générique déterminé" se sait mortel et générique à la fois.
Sauf que Marx ne s'arrête pas là : il présente dans une quatrième partie ce qu'il en est de l'abolition de la propriété privée, comme fait positif, au delà donc de la négation et de la révolution : "appropriation sensible de l'essence et de la vie humaines", où "L'homme s'approprie son être omnilatéral de manière omnilatérale, et donc comme un homme total.", "activation de la réalité humaine", laquelle est à la fois "efficience humaine et pâtir humain", par opposition à "l'aliénation de tous les sens" sous l'égide de la propriété privée, où le seul sens de l'avoir les a tous liquidés.
C'est "l'homme riche, à l'intelligence profonde et aux sens entièrement développés" qui, de façon pratique, surmonte les oppositions théoriques entre sujet et objet, matérialisme et idéalisme, action et passion, fondant réellement les sciences sur la base de la sensibilité.
Cinquième partie : ce que serait cet homme en tant qu'être, c'est-à-dire être indépendant, qui "se tient sur ses propres pieds".
La dépendance engendre naturellement la croyance en la création. L'homme indépendant n'est pas hors nature, il est mortel et il est souffrant, traits naturels qu'il intègre à sa réalisation, à son activité. Il est "l'homme socialiste", pour qui "l'ensemble de ce qu'on appelle l'histoire mondiale n'est pas autre chose que l'engendrement de l'homme par le travail humain, que le devenir de la nature pour l'homme" et de la nature en tant qu'humanité, "preuve tangible et irréfutable de sa naissance par lui-même, de son processus d'engendrement."
Athéïsme et communisme, en tant que mouvements pratiques de négation et d'abolition de l'ordre existant (de la religion et de la propriété privée), sont alors dépassés : on notera que Marx appelle ici socialisme, ou homme socialiste, le résultat du mouvement pratique qu'il appelle communisme.
Troisième cahier : la suite entrecroisée des points sur le communisme (points 6 et 7).
La plupart des éditions des Manuscrits de 44 ne permettent pas au lecteur de saisir que Marx va poursuivre son énumération tout en changeant de sujet, c'est-à-dire que cette réflexion unique sur le communisme va l'orienter dans deux directions, aux parties 6 et 7 de son énumération.
Sixième partie : "parvenu à ce point", le moment est venu de s'expliquer avec la dialectique hégélienne.
Pourquoi cette explication devient-elle soudain nécessaire à ce moment précis ? Marx est conscient que son envolée sur le communisme a précisément contredit la dite "dialectique hégélienne", en passant de 3 points à 5. Les 3 premiers points pourraient être vulgarisés ainsi en termes hégéliens : négation immédiate de la propriété privée (1), négation médiate car politique (2), négation de la négation faisant synthèse ou communisme "proprement dit"(3).
Mais la pensée propre de Marx s'est vraiment développée avec les points suivants : non plus la négation de la négation, certes nécessaire comme le sont sur leur propre plan communisme et athéïsme, mais l'affirmation positive de l'homme comme être et comme nature, et de la nature comme être et comme humanité (4), puis la détermination de l'homme socialiste comme être qui s'engendre par lui-même en tant qu'il produit, car il est objectif et naturel (5). C'est cela qui nécessite, maintenant, l'"explication".
Septième partie (qui interrompt l'exposé sur Hegel, p. 13 du manuscrit) : il faut aussi traiter des besoins, de cette richesse des besoins humains qui était au coeur des formulations des points 4 et 5 sur le socialisme.
C'est l'inverse dansla propriété privée : chacun spécule sur l'invention en autrui d'un nouveau besoin afin de le rendre dépendant de sa marchandise. Ainsi "la masse des objets" (s'annonce là "l'immense accumulation de marchandises" du Capital) croît, en relation avec la privation de toute objectivité du sujet humain, ce sujet vide dépourvu de besoins propres, par cela même susceptible de se voir conférer, en tant qu'acheteur, n'importe quel besoin.
Cette première analyse du rapport marchand est un complément nécessaire à l'analyse de l'aliénation du premier cahier.
Elle permet à Marx d'expliquer la misère prolétarienne, les besoins étant niés, mais elle n'a rien d'une analyse misérabiliste : la "spéculation" porte aussi bien sur le "raffinement" des besoins que sur leur "grossiéreté".
Sauf dans l'une des restitutions du texte de la seconde MEGA, aucun éditeur ne donne le texte du 3° cahier dans l'ordre de sa rédaction, car les développements sur Hegel et sur les besoins sont entremélés, ce qui en rendrait la lecture très difficile.
Mais il faut expliquer cet entrecroisement. Le coeur de la critique marxienne de Hegel est que celui-ci n'envisage la désaliénation que comme une désobjectivation, la conscience de soi posant le monde extérieur (première négation) puis se le réappropriant en tant que moment de l'idée (seconde négation). Or ce que Marx envisage et qu'il appelle l'émancipation, c'est la suppression de l'aliénation comme rapport réel, propriété privée, et nullement une suppression ou une idéalisation métaphysique des objets, des produits, bien au contraire.
Prendre Hegel au sérieux et donc le critiquer en ce qu'il se situe d'un bout à l'autre dans le cadre de l'aliénation, et formuler les termes de l'émancipation humaine, communisme et socialisme, forment donc un seul processus intellectuel et politique !
Troisième cahier : critique de Hegel.
La critique de Hegel commence par une charge contre la Gauche hégélienne et les Jeunes-hégéliens, surtout Bauer, déjà dans la tonalité du prochain ouvrage, la Sainte Famille. Marx amplifie le reproche déjà présent dans ses notes à sa thèse, en 1840 : ils n'ont pas pleinement analysé Hegel et ne peuvent donc en faire une critique sérieuse, à l'exception de Feuerbach dont il reprend, après la thématique de l'inversion, l'essentiel de sa critique de ce que devient, chez Hegel, la négation de la négation, à savoir que le point de départ de Hegel est théologico-métaphysique, qu'il est certes "nié", mais qu'il est finalement restauré (seconde négation), réintégré dans la sphère théologico-métaphysique.
Marx annonce vouloir faire l'analyse sérieuse et critique de Hegel en se centrant sur la Phénoménologie de l'esprit (1806), dont il fait aussi un puissant éloge :
"La grandeur de la Phénoménologie hégélienne et de son résultat final – de la dialectique, de la négativité comme principe qui meut et engendre – est donc, d'une part, que Hegel conçoit l'auto-engendrement de l'homme comme un processus, et l'objectivation comme désobjectivation, comme extériorisation et suppression de cette extériorisation ; c'est le fait qu'il saisisse l'essence du travail et qu'il comprenne l'homme objectif, l'homme vrai parce que réel comme le résultat de son propre travail."
Ce n'est pas rien : nul éloge comparable de Feuerbach, et pour cause, puisque celui-ci n'envisage l'extériorisation de l'homme que comme une activité théorique, sous forme intellectuelle ou esthétique.
Mais Hegel assimile extériorisation et aliénation, alors que la production d'objets, activité naturelle de réalisation de l'homme, n'a comme telle rien d'aliénant. L'homme est un être naturel, actif, souffrant en tant que mû par le besoin, passionnel – "La passion est la force essentielle de l'homme en tant qu'elle tend énergiquement vers son objet." - et l'homme s'engendre, la nature humanisée avec lui, être naturel, dans un acte d'engendrement conscient qui est l'histoire. Ces développements de Marx peuvent sembler utiliser les mots de Feuerbach, mais ils ne sont pas feuerbachiens : c'est la production (au sens le plus large et non étroitement "économique", reposant sur la nature, et comportant la conscience) qui, en tant qu'histoire, est ce par quoi les hommes se font. Son propre développement est contradictoire : Marx ne rejette donc pas son caractère dialectique, mais il critique l'usage hégélien de la dialectique qui, par sa suppression (aufheben) recycle et reproduit l'existant dans ses contradictions, dans son aliénation.
Cela, précisément parce que Hegel récapitule la philosophie et établit sa méthode, en partant de l'homme pris comme pure conscience de soi, non comme réalité naturelle objective présupposée, et en partant de la nature prise comme pure conscience d'objets, pur savoir de la conscience de soi, non comme, là encore, réalité naturelle objective présupposée.
L'aliénation est incorporée, en somme, dés le départ : Hegel est donc bien, par excellence, le philosophe de son temps – celui de l'avènement du capital triomphant -, et il ne commet nulle inconséquence, nuls accommodements, du point de vue de sa philosophie.
Mais la pratique émancipatrice doit l'analyser comme tel et intégrer la critique de la façon dont l'aliénation est présupposée, niée et restaurée dans sa propre dialectique, en lui opposant une dialectique fondée sur la réalité, dont Marx a dessiné les grandes lignes dans le Manuscrit dit de 1843.
Suite et fin du troisième cahier.
Les dernières pages du troisième cahier de l'été 44 comportent d'abord des reprises des thèmes concernant l'économie nationale et le communisme. Dans un texte malheureusement mutilé, le communisme est présenté comme une "négation de la négation", avec toutes les limites que la critique de Hegel a montré : la position positive et vivante sera encore autre chose.
Comme mouvement réel, comme action, ajoute Marx, ce sera "un processus très rude et s'étirant sur la longue durée" : notons ce pessimisme de la raison, contredit par l'impatience révolutionnaire d'autres textes.
Mais juste après, Marx s'illumine en dépeignant ce qu'il a découvert à Paris, également exposé dans une lettre à Feuerbach cet été là : des ouvriers communistes qui "s'approprient un nouveau besoin", celui de l'association, de la réunion, de la conversation, par quoi "la fraternité des hommes n'est pas un vain mot".
On notera aussi l'accentuation, déjà, de la critique de Proudhon, qui veut baisser les taux d'intérêt et contrer la rente foncière dans une perspective qui est en réalité "le mouvement du travail dans la détermination du capital".
Marx revient ensuite aux citations, et fait un résumé précis des conceptions fondamentales sur l'échange et la division du travail, d'Adam Smith, J.B. Say, Skarbek, et J. Mill.
A ce stade, il réalise qu'il est en train de rédiger les matériaux d'une oeuvre importante dont il faudrait faire un livre édité. Il écrit donc l'avant-propos d'une première brochure (placé au début dans les diverses éditions des Manuscrits de 44), où il explique que la critique de la philosophie du droit de Hegel, annoncée dans les Annales franco-allemandes, s'est heurtée à un problème d'exposition consistant à distinguer la critique de la matière même du droit de celle de Hegel. D'où la décision de publier d'abord une série de brochures critiques : droit, morale, politique ..., et in fine la critique de la spéculation philosophique sur tout cela. Cette brochure est consacrée à la critique de la société civile et de l'économie nationale, pour laquelle Marx déclare avoir fait l'étude critique des socialistes français, anglais et allemands, citant trois allemands : Weitling, Hess, Engels. Mais il fallait absolument, ajoute-t-il, avoir tout de suite, dans un dernier chapitre, l'explication requise avec la dialectique hégélienne, cela à cause des "théologiens critiques de notre époque" qui passent pour critiques alors qu'ils restent théologiens.
Il envisageait donc une brochure sur l'économie se terminant par un chapitre additif sur Hegel ...
Les toutes dernières pages du troisième cahier centrent la critique de l'aliénation et des rapports marchands des pages précédentes sur la chose qui les résume et les véhicule : l'argent. Marx y commente notamment de manière approfondie une citation du Faust de Goethe et du Timon d'Athènes de Shakespeare, citations qu'il reprendra régulièrement par la suite, dans ses travaux pour le Capital, qui ne sont nullement accessoires chez lui, tant par le caractère d'universalité de l'argent qu'elles expriment, que par la condamnation morale qu'elles portent.
Dans le tout dernier paragraphe, en contrepoint avec le monde de l'argent, il revient aux rapports humains émancipés de l'aliénation :
"Suppose l'homme en tant qu'homme et sa relation au monde comme une relation humaine, alors tu ne peux échanger l'amour que contre l'amour, la confiance seulement contre la confiance, etc. ..."
Dernières notes économiques de l'année 1844.
Dans la foulée du troisième cahier, Marx va lire Ricardo lui-même, Principes de l'économie politique et de l'impôt (1817-19) et James Mill (Principes d'économie politique, 1822), en traductions françaises, avec les notes de Say sur Ricardo. Suivront Eugène Buret, De la misère des classes laborieuses en Angleterre et en France (1840), puis Boisguillebert, Law, Lauderdale.
Dans ses notes sur Mill, l'expression "travail lucratif" fera écho à travail abstrait et travail aliéné, évoluant vers l'analyse proprement dite du travail salarié. Mais nous sommes alors à l'automne 1844 où la rencontre avec Engels l'a orienté sur un autre travail.
* * *
Nous venons de voir Marx devenir communiste : on aura compris qu'il est impossible de dire qu'il a adhéré au communisme, mais plutôt qu'il s'est emparé du communisme, incorporé à la critique pratique du monde.
J'ai utilisé ici l'édition Pleïade de Rubel pour les 3 articles des Annales franco-allemandes et celui du Vorwärts et les indications de divers éditeurs (dont François Furet dans Marx et la révolution française et les notes de Gérard Bloch dans sa traduction de la biographie de Marx par F. Mehring) sur les cahiers de l'année 1844. Concernant les manuscrits dits de 1844, la traduction, les notes et les explications de Franz Fischback, Manuscrits économico-philosophique de 1844, sont rigoureusement indispensables désormais. Dans mes notes et commentaires ci-dessus, je n'ai pas suivi l'ordre éditorial standard mais me suis rapproché le plus possible de ce que l'on sait avoir été l'ordre réel de rédaction de ces manuscrits.