Nous voila donc au centenaire de ce qui restera sous le nom de révolution d'Octobre.
Octobre ne fut ni un coup d'Etat ni un "bount" plébéien désespéré. Ce fut une conjonction.
Celle, d'une part, d'un peuple de soldats qui, en désertant en masse, en refusant de monter au front, en fraternisant avec ceux d'en face, et en exécutant leurs officiers, ont entrepris de mettre fin à la grande tuerie. D'un peuple de paysan qui ont entrepris de prendre la terre et de réaliser le grand partage collectif - ni la petite appropriation, ni la collectivisation, le grand partage collectif : tchorny peredel. D'un peuple d'ouvriers beaucoup moins nombreux, mais concentrés aux lieux stratégiques, partageant les aspirations des paysans et voulant de bonnes conditions de vie et de travail en contrôlant la production, pas plus au départ, mais pas moins. Des peuples ukrainien, finlandais, baltes, caucasiens, tatars, juifs ..., voulant leur auto-détermination. Et dans tout cela l'explosion de vitalité de la jeunesse, les femmes au premier rang.
Conjonction de tout cela avec un parti qui résultait des luttes de fraction dans la vieille social-démocratie marxiste, avec une "vieille garde" qui, par elle-même, aurait laissé les évènements couler sans la pression des soldats, paysans, ouvriers, d'une part, et d'autre part sans l'intervention du vieux chef de la fraction, Lénine, prenant l'initiative en surprenant ses disciples, et d'un rallié de poids, Trotsky, organisant concrètement l'insurrection au moment où il le fallait.
Sans cette conjonction, la liquidation de l'armée, le grand partage collectif, le contrôle ouvrier et le début d'auto-détermination généralisé ne se serait pas produit, car la grande vague spontanée avait besoin d'un centre qui institue un gouvernement, son gouvernement - ce que furent les deux premiers gouvernements soviétiques, celui des seuls bolcheviks formé en octobre, et celui coalisé avec les socialistes-révolutionnaires de gauche et le syndicat des cheminots formé un peu plus tard. Sans résolution (temporaire) de la question du pouvoir central dans l'Etat, pas de révolution réalisée partout à la base.
Arrêter la guerre, faire le grand partage collectif, contrôler production et ravitaillement, assurer l'auto-détermination des nationalités : ces exigences démocratiques sont les raisons de la révolution de février. Sans Octobre nous ne serions pas en train d'en parler, car c'est par Octobre qu'elles ont connu leur plus grande victoire. Ce fut l'acmé de la poussée révolutionnaire, prolétarienne, dans toute la vieille Europe, dont le foyer central et le terrain décisif n'était pas la Russie, n'a jamais été la Russie, mais était l'Allemagne.
Isolement, arriération, guerre civile, blocus, ainsi que les contradictions et inachèvement des partis révolutionnaires à commencer par les bolcheviks (mais le bilan complet doit intégrer aussi les s-r, mencheviks et anarchistes), ont très vite montré que le terrain russe ne pouvait pas donner mieux que cela, mais cela était déjà beaucoup, cela était immense.
Le premier âge de la révolution prolétarienne a connu son reflux avec le replis de la révolution en Allemagne à partir de 1923 et pas avant. Hitler et Staline sont sur les rails à partir de ce replis là.
Les "pays socialistes", URSS formatée par la mise au pas de masse des années 1929-1933 (collectivisation, "plan", Holodomor, Jasandy Acharchylyk), ses duplicatas, pacte de Varsovie, Chine de Mao, de Deng, ont bien entendu un rapport avec Octobre. Mais ce rapport est celui de la réaction par rapport à la révolution (ce qui ne signifie nullement que le bilan complet doit épargner les bolcheviks qui n'étaient pas des enfants de choeur ainsi d'ailleurs qu'ils le disaient, et manquaient de la haine bakouninienne de l'Etat aussi bien que du sens lassalien du droit ...).
Aujourd'hui Octobre menace toujours les Poutine, Trump, Qim Jong Un, Bachar, Rajoy et jusqu'à notre exécutif macronien de la V° République française décidé à casser les conquêtes sociales du XX° siècles, elles mêmes liées à Octobre.
Il nous appartient. Il n'y a pas à commémorer, les statues hideuses doivent finir de tomber : le vent se lève, le deuxième âge de la révolution prolétarienne s'impose comme une nécessité, il faut, en possédant, c'est-à-dire en comprenant,le passé, souffler nous-mêmes notre forge.
Bount : émeute paysanne festive mais susceptible d'être meurtrière. Tchorny peredel : partage noir. Aspiration millénariste de la paysannerie russe, le "jour du grand partage". Holodomor : famine à dimension génocidaire, car en partie voulue, avec empêchement de tout secours et séquestration des populations, par Staline, Molotov, Kossior et Kaganovtich. Jasandy Acharchylyk : famine et déplacements de populations suite à la sédentarisation forcée et à la destruction des troupeaux au Kazakhstan, dès la fin des années 1920.